VALENTIN AMOUREUX

22. EXPLICATIONS

Valentin battait de la semelle depuis vingt minutes devant l'ancien palais de justice quand les premiers gradés sortirent du superbe bâtiment. Lemoine fut un des derniers à émerger. Il salua et serra la main de plusieurs collègues avant de se diriger vers Valentin.
— Ah, c'est bien, tu es à l'heure.
Devant le sourire ironique de l'adolescent il ajouta :
— Bon, c'est vrai, c'est moi qui suis en retard. Alors qu'as-tu vu de beau ?
— Ce bâtiment d'où vous sortez déjà.
— C'est vrai que c'est splendide. Sais-tu que c'était le siège de l'ancien parlement du Dauphiné ?
— Maintenant oui, se moqua Valentin.
— Qu'as-tu fait pendant ces deux heures ?
— Deux heures vingt ! Je me suis promené dans les vieilles rues, j'ai vu de très beaux immeubles, j'ai longé les quais de l'Isère. Grenoble est une belle ville, je trouve seulement qu'il y fait froid. Un moment j'ai dû rentrer dans un café boire un chocolat pour me réchauffer. C'était bien votre colloque ?
— Réunion de travail, de coordination, de mise au point, de doléances aussi. J'ai réclamé des ordinateurs plus performants pour ma brigade de Saint Thomas.
— Effectivement, ce ne serait pas du luxe.
— Bon, allez, en route, il fait déjà presque nuit. Attache ta ceinture.
— Vous allez mettre le gyrophare ?
— Seulement si cela s'avère nécessaire ! Nous ne sommes pas des cow-boys.

Quand ils furent sur l'autoroute, Valentin qui était resté silencieux pendant le trajet en ville commença à poser des questions.
— Dites-moi mon adjudant-chef...
— Quand nous sommes tous les deux, tu peux dire monsieur Lemoine, ou Laurent, c'est mon prénom, un peu démodé je te le concède.
— Pour le moment je préfère vous appeler par votre nom. Dites-moi monsieur Lemoine, est-il possible que deux voitures aient le même numéro d'immatriculation ?
— Non, absolument pas, l'immatriculation décernée par le service central des cartes grises est unique.
— Aucune exception ? Aucune confusion possible donc ?
— Si, il y a déjà eu des cas avec les plaques italiennes qui comprennent, comme nous maintenant, deux lettres, trois chiffres et deux lettres mais il y a quand même une différence, sur les plaques françaises il y a un tiret entre chaque groupe, tiret qui n’existe pas sur les plaques italiennes. J'ai entendu parler de personnes qui recevaient les procès-verbaux des infractions de voitures italiennes circulant en France parce que les agents verbalisateurs n'avait pas bien observé les plaques. Bien sûr les conducteurs verbalisés ont dû payer les amendes mais les réclamations ont fini par être reconnues fondées par l'administration et ils ont été remboursés. Il y a même eu un cas où un italien a été interpellé et menotté parce que le numéro français correspondant était celui d'une voiture volée. Qu'est-ce que tu fais avec ton téléphone ? Tu ne m'écoutes pas ?
— Si, bien sûr, je regardais simplement la plaque sur une photo de voiture. Comment obtient-on sa plaque minéralogique ?
— Elles sont fabriquées et posées par les garages sur présentation du certificat d'immatriculation.
— Il est possible de changer de plaques ?
— Oui si elles sont détériorées mais bien sûr il faut remettre le même numéro.
— Comment sont-elles fixées, elles sont vissées ? Je n'ai jamais bien observé.
— Ah non, interdit ! Elles doivent être rivées.
— Ah, pourquoi ?
— Pour que les hors-la-loi ne puissent pas les changer à leur guise pour échapper aux contrôles.
— Bah, il ne doit pas être beaucoup plus difficile de se procurer une riveteuse qu'un tournevis !
— Tu n'as pas tout à fait tort.
— Y a-t-il du nouveau dans l'affaire du pistolet et de la drogue dans le sac ?
— Nous avons trouvé des tas d'empreintes et l'une d'elles est connue de nos services. Il s'agit d'un jeune malfrat déjà condamné pour détention et trafic de drogue. Il est soupçonné d'une attaque à main armée contre un buraliste chez nous, en ville.
— Vous ne l'avez pas arrêté ?
— Pas assez de preuves.
— Si je vous indique un autre moyen de le coincer, votre affaire avancera ?
— Attends, tu ne vas pas te lancer dans une enquête où sont impliqués des gangsters quand même ! Interdiction absolue de mettre ton nez là-dedans, tu m'as compris ? Alors, c'est quoi ton idée ?
— Votre type roule dans une BMW X3 avec de fausses plaques.
— Hein ? Comment sais-tu ça ?
— C'est une longue histoire. Elle a commencé avec le vol du portable de Gilles, vous vous rappelez ?
— La récupération du sac noir ?
— Heu oui. Quelqu'un m'a averti qu'à la suite de... ça, nos deux voleurs se sont fait tabasser. Heu, pas par nous bien sûr. Alors j'ai réfléchi. J'ai pensé que ce ne pouvait être que par quelqu'un qui était directement impliqué dans ce recel, quelqu'un de plus grand, plus fort et plus méchant que capuche grise et capuche noire, qui s'appellent en réalité Medy et Tintin ou plutôt Ahmed et Quentin du Clos des Pins. J'ai donc demandé à mon... correspondant s'il avait remarqué un type plus âgé dans une voiture de frimeur qui venait quelquefois au Clos pour discuter avec nos deux loustics. J'ai demandé ça parce que ces mecs-là aiment bien les voitures tape à l’œil ! Il m'a alors décrit une BMW X3 conduite par un jeune adulte, ce qui pouvait correspondre. J'ai pu connaître le nom et l'adresse du propriétaire.
— Hein ? Comment as-tu pu avoir ces renseignements confidentiels ?
— Mais grâce à vous. Vous aviez dit devant le brigadier Guimard que s'il me venait une idée, je pourrais le contacter et qu'il devrait m'aider.
— Je te trouve un peu gonflé Valentin !
Celui-ci prit son air le plus angélique et répondit les yeux pétillant de malice.
— J'ai eu une idée et j'avais besoin d'un renseignement. Je suis resté exactement dans le cadre de ce que vous avez dit au brigadier Guimard.
— Oui, passons... Donc tu as obtenu le nom et l'adresse du propriétaire et si je ne m'abuse, il habite Grenoble, non ? Je crois que je comprends pourquoi tu as voulu venir ici avec moi. J'espère que tu n'as pas eu l'inconscience d'essayer d'entrer en contact avec lui ?
— Vous m'avez bien dit vous prénommer Laurent, n'est-ce pas monsieur Lemoine ? Ce prénom était à la mode en quelle année ?
— Celle de ma naissance, en 1970.
— Je suis d'accord. Le prénom du propriétaire de la voiture est Daniel, qu'est-ce que vous en déduisez ?
— Heu, qu'il est plus vieux que moi d'une génération.
— Exact, la mode de ce prénom se situe dans les années quarante du vingtième siècle. J'ai vérifié sur internet, j'en ai déduit que cet homme devait avoir plus de soixante-dix ans et n'avait rien à voir avec un petit malfrat frimeur.
— Continue.
— Je suis donc allé au dix-sept de la rue Saint François, c'est là qu'il habite, et j'ai sonné à l'interphone.
— Sous quel prétexte ?
— Aucun. En fait je n'en ai pas eu besoin, ça a sonné dans le vide, il n'y avait apparemment personne dans l'appartement, ce que m'a confirmé une dame qui rentrait à ce moment-là. Elle m'a expliqué que monsieur Ferrand était parti en train pour Paris voir sa famille. Je lui ai demandé pourquoi il n'y allait pas en voiture et savez-vous pourquoi ?
— Tu vas me le dire.
— Parce qu'il n'a plus de points sur son permis !
— Je crois que j'ai compris. Il a alors revendu sa voiture et l'acheteur n'a pas fait les démarches administratives de changement de propriétaire.
— Pas du tout. D'ailleurs sur le moment je n'ai pas pensé du tout à cette hypothèse et heureusement, vous allez voir. Donc je continue, j'avais froid, je suis allé dans un café boire un chocolat. Là je me suis renseigné sur les parkings les plus proches, imaginant bien que cet homme un peu âgé quand même en avait choisi un près de son domicile. C'est là que j'ai eu de la chance, j'ai repéré la BMW immatriculée CD 831 PB 38 dans un box du garage hélicoïdal. Superbe parking entre parenthèses. Alors, tenez-vous bien au volant, au même instant, j'ai reçu un SMS de... mon correspondant du Clos des Pins qui me disait que cette même voiture était là-bas. Je n'y croyais pas, j'ai demandé une preuve et il m'a envoyé la photo qu'il venait de prendre. Il a reprécisé que la voiture était conduite par un type d'environ vingt-cinq ans. Je tiens les photos à votre disposition.
Sourcils froncés, Lemoine resta longtemps silencieux, limitant volontairement sa vitesse à cent kilomètres à l'heure sur l'autoroute alpine. Valentin respecta son silence, essayant d'imaginer la suite. Il sentait bien l'impossibilité pour lui d'aller plus avant, que le reste des opérations allait lui échapper. Seuls l'autorité et la force publique pouvait tout vérifier, tout recouper et donner une suite favorable à l'enquête. Quelques kilomètres avant l'arrivée à Albertville, l'iPhone de Valentin vibra, l'écran afficha « Nouveau message ». Il toucha l'icône verte et un texto laconique s'afficha : Tommy.
Il répondit aussitôt « OK efface tout même moi. »
— Monsieur Lemoine ? Désolé d'interrompre dans votre tête l'organisation de l'enquête. Le type en question se fait appeler Tommy. Pas très utile comme information, n'est-ce pas ?
— Oh mais si ! Ça c'est une avancée ! C'est sur un Tommy, de son vrai nom Thomas Bertrand, que les soupçons de braquage d'un buraliste ont pesé. Faute de preuves, nous, enfin la police de la ville, avons dû le relâcher mais cette fois nous allons pouvoir le coincer pour fausses plaques, infractions au code de la route et par la même occasion le cuisiner à propos de ses empreintes sur les armes que tu as... disons récupérées. En plus s'il ne réussit pas à justifier l'achat de son véhicule qui va chercher dans les quarante mille euros au prix du neuf...
— Donc vous allez monter une souricière au Clos des Pins ?
— Et parallèlement donner l'ordre aux gendarmeries du secteur ainsi qu'à la police nationale de stopper le véhicule et d’appréhender le chauffeur.
— Vous allez pouvoir faire rendre ses points de permis de conduire à ce monsieur Daniel Ferrand et rembourser ses amendes, j'espère !
— Cela va prendre du temps, mais oui, cela va se faire. Tu veux qu'on lui parle de toi ?
— Non, absolument pas. Il a dû tellement maudire les gendarmes qu'il sera tout heureux de savoir que c'est grâce à eux qu'il a tout récupéré, pour peu que vous sachiez lui présenter les choses.
— Valentin, un jeune comme toi, ça n'existe pas !