L’adjudant-chef Lemoine secondé par le brigadier Dufournet frappa à la porte du premier appartement du rez-de-chaussée de l’immeuble C au Clos des Pins. Une femme en robe de chambre rose vint entrebâiller la porte. À la vue des gendarmes elle eut un air étonné mais pas apeuré.
— Bonjour madame, un renseignement s’il vous plaît, où habite le jeune prénommé Quentin dans cette résidence ?
— Quentin Malfroid ? Au deuxième, même situation que moi. Il a fait quelque chose ?
— C’est pour de simples renseignements. Merci. Ah, autre chose, quel est votre numéro de cave ?
— La sept, mais je ne l’utilise pas. Il y a des rats, vous comprenez.
— Merci madame, dit Lemoine en faisant signe du menton à son subordonné d’emprunter l’escalier.
— Sonnez brigadier, dit-il quand ils furent devant l’appartement indiqué.
Dufournet appuya sur le bouton de sonnette sans réveiller le moindre écho. Il regarda l’adjudant-chef en levant des yeux interrogateurs.
— Et bien frappez !
Le brigadier s’exécuta sans un mot. La porte s’ouvrit dévoilant un homme en pantalon bleu foncé et pull-over bleu plus clair, rasé de près, calvitie naissante, propre sur lui.
— Monsieur Malfroid ?
— Oui, c’est pourquoi ?
— C’est au sujet de votre fils Quentin, pouvons-nous entrer ? Nous avons quelques questions à lui poser.
L’homme acquiesça de la tête et s’effaça pour laisser pénétrer les deux gendarmes. L’adjudant-chef balaya la pièce du regard.
— Où est-il ?
— Il est dans sa chambre en train de tapoter sur son téléphone.
— Appelez-le. Quel âge a-t-il ?
— Seize ans. Quentin ? Viens ici tout de suite ! Et enlève cette capuche de ta tête, il ne pleut pas dans l’appartement. Qu’est-ce que tu as encore fait pour que la gendarmerie veuille t’interroger ?
L’intéressé, un soupçon d’inquiétude dans le regard, haussa les épaules.
— Ben rien !
— En tant que parents de mineur, vous pouvez assister à l’interrogatoire, monsieur Malfroid. Prenez des notes brigadier. Assieds-toi Quentin. Nous sommes en possession d’un sac de sport noir contenant divers objets pas très licites. Montrez le sac brigadier. As-tu une idée de quoi il s’agit ?
Quentin haussa de nouveau les épaules sans répondre.
— Ce sac a été récupéré dans la cave numéro treize de cet immeuble. Tu ne vois toujours pas ?
— Ben non.
— La cave numéro treize est la nôtre, mais nous n’y entreposons que du bric-à-brac, à cause des rats, intervint la mère de Quentin. Que contenait ce sac ?
— Des téléphones volés. J’aurais aimé que votre fils nous en parle spontanément. Il y a aussi des objets dont certains portent des empreintes digitales bien nettes. Il va être facile de savoir si tu es impliqué dans cette affaire.
— Mais de quelle affaire parlez-vous ? intervint le père.
— Patience monsieur Malfroid. Brigadier, allez chercher le matériel de prise d’empreintes.
— Pas question, j’veux pas ! s’exclama Quentin.
— Madame monsieur, dans ce cas nous allons être obligés de vous emmener à la gendarmerie avec votre fils.
— Mais si tu n’as rien à te reprocher, laisse-toi faire ! gronda le père.
— Oui, bon, j’le connais ce sac mais il n’est pas à moi, on m’a juste montré ce qu’il y a dedans.
— Qu’y a-t-il dedans ?
— Ben des étoiles ninja, des trucs comme ça.
— D’accord, parle-nous des téléphones.
— J’ai rien à dire.
— Ce sac contenait des téléphones volés. Nous avons retrouvé les propriétaires de quatre d’entre eux. Veux-tu une confrontation ?
— Celui qui dira que c’est moi qui lui a pris est un menteur !
— OK. Nous allons organiser un tapissage. Tu as déjà vu ça dans les films policiers ? Les témoins pourront te voir parmi cinq jeunes de ton âge mais pas toi car ils seront protégés par une glace sans tain. Je sais que tu as utilisé la violence pour voler, un coup de poing américain et une matraque.
— Moi je n’ai jamais frappé, je me contentais de les impressionner.
— Admettons. Dans ce cas qui est ton complice ?
— ...
— Tu ne dis rien donc tu assumes toute la responsabilité du vol des téléphones. Alors le nom de ton copain ?
—...
— Ce ne serait pas Ahmed dit Mehdi ?
— Pourquoi vous l’demandez si vous l’savez !
— Nous savons beaucoup de choses et nous te donnons la chance de coopérer, ce qui pourrait jouer en ta faveur. Parle-moi de la drogue.
— Le shit c’est pas de la drogue.
— Donc tu reconnais en posséder. C’est pour ta consommation personnelle ou pour revendre ?
— C’est Mehdi qui a eu l’idée d’en revendre pour se faire de l’argent de poche.
— Comment ? Tu n’as pas assez avec les trente euros qu’on te donne chaque mois ? explosa le père. Mon fils est devenu un dealer, un délinquant !
L’adjudant-chef laissa volontairement un blanc dans la conversation avant de reprendre. l’interrogatoire.
— Qui vous fournit en haschisch ?
Quentin, tête baissée, front buté, se mura dans le mutisme.
— OK, on y reviendra plus tard, revenons au sac. Tu as reconnu qu’il contenait des étoiles ninja et donc une matraque et un poing américain, quoi d’autre ?
— Je crois qu’il y avait aussi un couteau de chasse et un cran d’arrêt.
— Pas d’autres armes ?
— ...
— Bon, je vais être plus clair. Dans ce sac il y avait un chargeur et une arme à feu, un pistolet qui a récemment servi au braquage d’un bureau de tabac. Au cours de ce braquage, une balle a été tirée dans le plafond. Nous avons récupéré et analysé cette balle qui a permis d’identifier l’arme. Elle a bien été tirée par ce pistolet, aucun doute possible. Dons si tu ne veux pas être présenté à un juge pour attaque à main armée, il faut parler et tout de suite. Alors le nom du propriétaire de l’arme ?
— Mehdi et moi on n’est pour rien dans vot’ braquage !
— Je répète, d’où provient cette arme, à qui appartient-elle ?
— Si j’vous l’dit, je suis mort... murmura à voix presque inaudible l’adolescent en baissant la tête.
— Si tu ne dis rien, tu seras considéré comme l’auteur du braquage. Pour un mineur, la peine est de sept ans de prison et cent mille euros d’amendes.
— Quentin, tu dis tout aux gendarmes et tout de suite ! tonna le père en se levant.
— C’est à Tommy, fit piteusement le garçon.
— Tommy qui ?
— J’sais pas.
— Le type à la BMW ? reprit l’adjudant-chef.
— Si vous le connaissez, pourquoi vous m’embêtez ?
— Pour t’aider à t’en tirer. Il demeure où ce triste individu ?
— Dans la région de Grenoble.
— C’est lui qui vous fournissait en cannabis ?
Quentin hocha la tête affirmativement.
— C’est lui qui vous a demandé de cacher le pistolet ?
Nouvel acquiescement de l’adolescent.
— Et bien voilà ! Bon, monsieur et madame Malfroid, nous allons présenter le dossier au procureur. Comme votre fils a montré un peu de bonne volonté, dans notre rapport nous allons minimiser son action. Il n’en reste pas moins qu’il a fait des choses répréhensibles. Nous n’allons pas le mettre en garde à vue mais nous vous confions le soin de le surveiller de près. Il ne doit pas communiquer ni avec son copain Mehdi qui s’appelle en réalité Ahmed Elhadj, ni avec le prénommé Tommy qui est un individu dangereux, croyez-moi. Le dossier sera communiqué à la police nationale de la ville qui vous convoquera avec votre fils pour une déposition complète. Si Quentin continue à se montrer coopératif avec le juge qui va instruire cette affaire, il risque tout au plus d’être astreint à des travaux d’intérêt général. Monsieur Malfroid, veillez à ce que personne ne communique avec lui. Quentin, tu vas enlever la carte SIM de ton portable et la donner à tes parents, ceci pour éviter toute tentation. Indique-nous l’adresse de ton copain Mehdi.
— Il crèche dans le bâtiment D au premier.
— OK. J’espère que tu as compris qu’on vient de te laisser une chance de ne pas gâcher ta vie. À toi d’être assez intelligent pour la saisir. Madame, monsieur...