Quand Valentin se leva, ce deuxième jour des vacances de fin d'année, le ciel était gris, une pluie froide et serrée tombait sans discontinuer. Il jeta un coup d’œil au thermomètre qui captait la température extérieure : trois degrés. Son esprit mathématique lui dicta un bref calcul : la neige tient au sol quand il fait zéro degré, sachant que la température baisse d’un degré tous les cent cinquante mètres, à quelle altitude le sol est-il blanc ? « Il neige à neuf cents mètres, conclut-il, c'est excellent pour les stations de ski. Bon, qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire aujourd'hui ? VTT, hors de question...
— Valentin, le petit déjeuner est prêt cria sa grand-mère.
— OK Za, je descends.
— Tu en fais une tête ce matin mon petit Valentin, quelque chose te contrarie ?
— Oui, le temps ! Quand je pense qu'en Australie c'est le début de l'été...
— Tu t'ennuies avec nous ?
— Mais non, qu'est-ce que tu vas penser. Je m'ennuie quand je manque d'activité, c'est tout. Cet après-midi Florian m'a invité à jouer au tennis de table chez lui mais ce matin...
— Tu veux faire une partie de jeu de dames ?
— Non merci, tu me laisses toujours gagner.
— Tu gagnes toujours mais je ne te laisse pas gagner.
— Je crois que, malgré la pluie, je vais quand même sortir, aller jusqu'au lac.
— Habille-toi bien chaudement, il fait vraiment frisquet.
— Ne t’inquiète pas.
De retour dans sa chambre, Valentin enfila un pull en laine, son survêtement puis le ciré marin deux pièces de son grand-père qui le protégeait complètement, il chaussa ses bottes caoutchoutées, prit une paire de gants, hésita puis mit quand même son iPhone dans une poche de la veste de ciré. Avant de redescendre, il jeta à nouveau un regard au thermomètre qui indiquait cette fois deux degrés. « Oula, ça fraîchit encore ! »
Quand il sortit de la maison, une gifle de vent mouillé le frappa au visage. Nullement découragé, il baissa la tête et partit d'un pas allègre vers le chemin qui, par le petit bois, menait jusqu'à l'embouchure du torrent lequel roulait des eaux boueuses. Tout en marchant, il laissait ses pensées vagabonder, se revit à Londres avec sa classe mais rapidement il se projeta à Brighton avec Emily.
Emily... Pensait-elle quelquefois à lui ? Avec ses parents rigoristes et quelque peu vieux jeu, avait-il une chance de pouvoir un jour sortir avec elle, se montrer avec elle ?
Arrivé à l'embarcadère, il décida de poursuivre vers le sud par la promenade du port. Tout était désert, pas de navigation, personne sur le chemin. Les drisses et les haubans des bateaux amarrés cliquetaient contre les mats. Au large les eaux agitées étaient d'un vert tellement sombre que le lac paraissait noir. Plus loin, les roseaux se courbaient sous les bourrasques de vent du nord-ouest. Bien protégé par ses habits imperméables, réchauffé par sa marche rapide, Valentin prit le chemin des roselières. Il était seul mais se sentait bien. Quand il arriva au niveau de la villa des Dubois de la Capelle, il s'avança sur le ponton rénové et libre d'accès désormais. Il sourit en se remémorant le premier contact de ses amis et lui avec le propriétaire des lieux, les bombes éclaboussantes, les discutions houleuses...
Il eut soudain une impression bizarre, quelque chose venait de changer dans l'ambiance hivernale. Un morceau de ciel jaune éclaira fugacement le paysage, la pluie ne tombait plus. Il regarda le lac dont les eaux s'apaisaient puis les roseaux redressés et immobiles : le vent également s'était calmé. Puis à nouveau le ciel s'assombrit, quelques flocons de mirent à voltiger. Valentin eut le sentiment qu'un éclair venait de se produire, il compta mentalement les secondes pour estimer la distance entre l'orage d'hiver et lui mais aucun bruit de tonnerre même lointain ne se fit entendre. Il se retourna vers la villa de son ex-ennemi, la lampe à détection de mouvement était allumée. « Tiens, il y a quelqu'un ? Je pensais que Charly et sa famille passaient les vacances de Noël dans une île des Caraïbes, où ça déjà… Ah oui c'est ça, à Saint Martin. » En regardant mieux, il constata que tous les volets de la villa étaient clos. Pendant plusieurs minutes il scruta la grosse maison mais rien ne bougea et la lumière s'éteignit. Il haussa les épaules. « C'est sûrement un animal, un chat ou un chien, qui a déclenché le détecteur » se dit-il en poursuivant jusqu'à la maison de la famille d'Emily.
Emily... Une sourde inquiétude le prit. Pourquoi n'avait-il reçu aucune nouvelle ? Pensait-elle encore à lui ?
Les flocons tombaient dru maintenant mais ne tenaient pas encore au sol. Pourquoi saisit-il son téléphone, pourquoi se replaça-t-il à l'endroit où ils s'étaient rencontrés, pourquoi prit-il une photo de la villa de son amie et quelques-unes des environs ? Il n'aurait su répondre. Probablement pour un jour lui montrer à quoi ressemble son paradis en hiver.
Dépassant la grosse maison, il s’engagea à gauche dans une allée étroite qui menait à la petite route desservant les villas. « Je vais rentrer par cette rue » se dit-il. La neige tombait maintenant à gros flocons. « C'est sûrement ça que Yanco appelle des têtes de chat ! » imagina-t-il. Bouche ouverte, il tenta de capturer les boules blanches qui fondaient instantanément sur sa langue. « Je vais faire une photo de l’arrière de la maison d'Emily sous la neige ». Il ressortit son iPhone, recula au maximum pour l'avoir en entier sur son écran mais ne put éviter de prendre en même temps une camionnette qui stationnait à cheval sur la route et le bas-côté herbeux maintenant blanc de neige. Continuant son chemin, il passa sur l'arrière de la grosse villa des Dubois de la Capelle, se remémora le tas de gravats duquel il avait extrait un morceau de plâtre pour communiquer avec Emily. Il y avait toujours l'échelle mais elle était dressée sous une fenêtre du premier, fenêtre protégée par un volet clos.
Il venait à peine de remettre son iPhone dans la poche de son ciré que l'appareil se mit à vibrer. « Encore un de ces messages indésirables, non sollicité, qui ne servent qu'à encombrer le web et la mémoire des téléphones ! J'en ai marre ! » pensa-t-il en sortant néanmoins l'appareil. Un rapide coup d’œil lui montra la petite enveloppe blanche sur fond bleu en bas de son écran qui indiquait le chiffre deux. Il toucha la petite icône pour ouvrir l'application. « Moins dix pour cent sur vos achats de Noël » indiquait le titre du premier courriel. Il émanait d'un magasin de produits high-tech auquel il avait eu l'imprudence de laisser son adresse électronique lors d'un achat récent. Sans l'ouvrir, de l'index, il balaya le titre du message vers la gauche, l'envoyant ainsi directement dans la corbeille.
Le second était intitulé « Correspondance ». Il le toucha pour l'ouvrir et ses yeux se portèrent immédiatement sur la signature : « Emily Gilmore ». Son cœur fit un énorme bond dans sa poitrine. « Emily, elle ne m'a pas oublié, elle m'écrit ! » Refermant son iPhone dont l'écran se couvrait de flocons et de buée, il se mit à courir vers la maison de ses grands-parents.