VALENTIN AMOUREUX

27. NEIGE

Tout heureux de sa victoire contre Florian le grand sportif, mais encore plus de sa proposition d'aller skier ensemble, Valentin gambadait sous la neige sur le chemin du retour à la maison. La nuit était tombée, la température avait encore fraîchi et les flocons tenaient au sol. Tous les bruits étaient amortis, les automobiles roulaient au pas sur le sol glissant. Au feu tricolore, les files de voitures s'allongeaient. Soudain, face à lui mais encore loin, les flashes bleus d'un gyrophare attirèrent son attention. Une voiture de la gendarmerie doublait la file des véhicules arrêtés. En arrivant vers le croisement, elle activa son avertisseur sonore deux tons, passa au rouge et tourna immédiatement à droite dans la route du port.
« Un carambolage dû au sol glissant, pensa Valentin, s'ils ont été appelés pour un constat, c'est probablement grave. » Le bourdon de l'église égrena six coups. « Six heures, j'ai encore un peu de temps. » Sans trop savoir pourquoi, il traversa la départementale au niveau du feu réglant la circulation et s'engagea lui aussi vers le lac. Sur le bas-côté de la route étroite et sans trottoir, ses pas marquaient dans la neige toute fraîche. Il s'amusa à marcher en canard puis pieds en dedans, jambes écartées, en arrière, riant tout seul à l'idée que quelqu'un suive ses empreintes. Arrivé au carrefour de la route et de la rue du port, les éclairs bleus du gyrophare excitèrent sa curiosité. Il avança vers la Mégane officielle garée devant une Volvo modèle de luxe stationnée au niveau d'une grosse villa contemporaine.
« Apparemment ce n'était pas pour un accident de la circulation » se dit-il en approchant de la villa.
— Qu'est-ce que tu fais là toi ? fit une voix à la fois autoritaire et bonhomme.
— Oh, bonsoir monsieur Guimard. J'aime bien marcher dans la neige tout simplement. Que se passe-t-il ici ?
— Une plainte pour cambriolage. Nous faisons les relevés habituels, indices, empreintes, inventaire mais à mon avis, on a peu de chance de retrouver les auteurs, les malfrats prennent leurs précautions.
— Qu'est-ce qu'ils peuvent espérer trouver dans ce genre de villa ?
— Tout ce qui peut se revendre, en particulier le matériel électronique, les bijoux, les petits meubles de luxe, les bibelots.
— Oui, bien sûr. C'est qui le propriétaire ?
— C'est la résidence secondaire d'un riche industriel suisse. Il s'est aperçu du fric-frac en arrivant dans sa propriété il y a une heure et nous a téléphoné aussitôt. Mais impossible de déterminer l’heure ni même le jour du cambriolage.
— Je suppose que cette villa était fermée. Comment sont-ils entrés ?
— Ils ont soulevé un volet roulant avec un système de vérin puis brisé une vitre.
— C'était risqué. Il n'y avait pas d'alarme ?
— Apparemment pas, et même s'il y en avait une, plus personne n'y fait attention de nos jours. Cela crée de la nuisance sonore sans apporter de protection.
— Vous avez sûrement raison. Au fait avez-vous réussi à coincer le dealer à la BMW ?
— Je n'ai pas le droit d'en parler, tu demanderas à l'adjudant-chef.
— Oui, heu excusez-moi monsieur Guimard, fit Valentin en sortant d'une poche son téléphone qui vibrait. Un coup d’œil à l'écran lui indiqua l'arrivée d'un courriel. Il ôta un gant et toucha l'icône correspondante. « Message d'Emily » lui indiqua le nouvel écran.
— Je vous laisse monsieur Guimard. Bonjour de ma part à l'adjudant-chef. Ne prenez pas froid !
— J’essaie mon jeune ami, répondit le brigadier en battant de la semelle, poiroter, c'est un des inconvénients du métier.
Repartant d'un pas accéléré, Valentin résista héroïquement à l'envie de lire le courriel de son amie sur son portable et ne découvrit la teneur de l'e-mail sur l'ordinateur familial qu'après le repas du soir, une fois ses grands-parents installés devant le poste de télévision.
Immédiatement il sélectionna toute la page pour changer la couleur du fond mais aucune seconde partie de texte masqué ne fut mise en évidence. Un peu déçu, il se mit à lire.

Bonjour Valentin,
Je suis contente que vous ayez accepté de correspondre avec moi. Je pense que nos échanges seront fructueux.
Je suis en Middle scool au huitième grade ce qui fait que l'an prochain j'entrerai en High scool pour quatre années avant de passer le diplôme.
Je pense qu'il est bien de savoir à qui l'on s'adresse quand on correspond comme nous le faisons aussi je mets en pièce jointe une photo de moi devant notre maison de vacances.
Toujours bien à vous,
Emily


Au premier abord, Valentin n'avait pas remarqué la pièce jointe. Il double-cliqua dessus et eut un coup au cœur en voyant son amie devant sa maison des bords du lac, habillée comme la première fois qu'il l'avait vue, comme au jour où la foudre les avait frappés au cœur. Il se mit à réfléchir. Que voulait lui faire comprendre son amie ?
Pas de deuxième partie, pourquoi ? Peut-être avait-elle écrit en présence de quelqu'un de sa famille. Pourquoi envoyait-elle une photo d'elle alors qu'elle savait parfaitement qu'il en possédait une série dans son smartphone. La réponse lui vint, évidente, lumineuse : elle souhaitait la réciproque pour la montrer à sa famille.
Comme beaucoup de gens, Valentin n'était jamais pleinement content des photos le représentant. Après une nouvelle réflexion, il en choisit une prise à Trafalgar Square par son ami Pascal Boulot puis se mit à rédiger sa réponse.

Bonjour Emily,
Je suis également très satisfait de pouvoir correspondre avec vous.
Dans les collèges français, il y a quatre niveaux : sixième, cinquième, quatrième dans laquelle je suis, et troisième, à la suite de quoi on entre au lycée pour trois ans et deux examens qu'on appelle baccalauréats. Nous sommes donc en fait dans la même classe.
Je joins également à ce petit courriel une photo de moi prise récemment à Londres par un de mes copains.
Amicalement,
Valentin
PS : En ce moment ici, chez moi, il neige et la neige tient au sol ! Nous allons avoir un Noël blanc !