Quand Valentin ouvrit les volets de la fenêtre de sa chambre ce vingt-quatre décembre, la neige avait cessé de tomber. Les endroits ensoleillés étaient blanc doré, les ombres blanc bleuté, dix centimètres de neige chapeautaient les poteaux du portail.
Cette neige lui fit penser à la proposition de séjour au ski de son ami Florian. « Je vais moins m'ennuyer que je le craignais pendant ces vacances » se dit-il, « ce soir réveillon, demain Noël, après demain en route pour le Grand Bo puis cinq jours de ski, redescente pour le réveillon du jour de l'an, vivent les vacances ! En attendant, avant que toute cette belle neige soit piétinée, je vais retourner au lac faire quelques jolies photos. »
Le trajet fut un enchantement, arbres givrés, cristaux scintillants dans les champs, silence ouaté de l'air, montagnes crépies de blanc, bleu marine de l'eau du lac, toute cette beauté le pénétrait jusqu'au fond de son être.
Arrivé au port, il emprunta une fois de plus le chemin des roselières encore vierge de traces. Quand il arriva au niveau de la villa d'Emily, il s'appliqua à prendre des photos : les roseaux courbés, les stalactites de glace tombant des basses tiges, les montagnes plâtrées aux crêtes irisées et fumantes, les mouettes perchées sur les pieux des pontons. Il prit également une photo de la superbe maison de Charles-Henri éclaboussée de soleil.
Satisfait de ses prises de vues, il décida de rentrer par les petites routes et se trouva bientôt au niveau de la villa contemporaine devant laquelle la veille il avait discuté avec le brigadier Guimard. Il examina toutes les fenêtres visibles et constata effectivement que le volet roulant de l'une d'entre elles donnant au nord présentait des lamelles tordues, disjointes, sorties de leurs guides. « Sacrément outillés ces malfrats pour réussir à forcer ce type de volet. Évidemment, une maison un peu isolée est un gage de sécurité pour eux. Tout de même, saccager le bien des autres, entrer dans une maison vide pour se servir, c'est dégueulasse, tellement moins fatigant que de travailler dur ! J'espère que Lemoine réussira à les pincer ces tristes individus ! »
Revenu chez lui, il constata avec joie qu'un nouveau courriel d'Emily l'attendait. Dans l'unique partie du texte, Elle lui disait que son père avait vu sa photo et qu'il avait eu une réaction forte en l'examinant.
« J'ai l'impression d'avoir déjà vu ce jeune homme ! » a-t-il dit et il a ajouté « Je n'oublie jamais un visage important. »
Un quart d'heure plus tard, il m'a demandé de rouvrir ton courriel et il a de nouveau détaillé la photo. « Ce cliché a été pris à Londres, à Trafalgar Square, c'est un anglais ce petit gars-là. » Comme je lui ai fait remarquer que tu étais venu en voyage scolaire dans notre pays mais que tu es français avec un nom bien français, Valentin Valmont, il est reparti en se grattant la tête. Mais quelques minutes après il est revenu et il a déclaré en revoyant ta photo : « J'y suis ! C'est le garçon courageux du train Londres – Brighton. Je suis formel, je n'oublie jamais un visage important. C'est un français ? Étonnant... mais bravo à lui quand même. Essaie d'avoir confirmation de ce que je te dis dans tes prochains échanges et demande-lui où il habite, j'aimerais bien le connaître. »
Donc voilà. Valentin, est-ce toi le héros du train, le gars qui est venu au secours d'une jeune femme anglaise ?
J'attends ta réponse.
Emily
Valentin cliqua sur le bouton répondre et sachant que le père d'Emily allait lire son courrier, il tapa rapidement :
Emily,
Lors de mon séjour en Angleterre, j'ai effectivement été amené à faire le trajet aller – retour Londres – Brighton. J'ai un peu aidé une femme à se débarrasser d'un homme qui l'importunait, mais je ne veux pas de publicité sur mon nom. Je n’ai fait que des choses banales que tout le monde devrait faire en pareilles circonstances. Remercie ton père pour l'appréciation qu'il a de moi.
Maintenant je change complètement de sujet, comme dit mon professeur de français. Ici, dans mon village à Saint Thomas du lac, j'ai plusieurs bons copains et les parents de l'un d'eux qui se prénomme Florian m'ont invité à faire du ski dans la station savoyarde du Grand Bornand où ils ont loué un appartement. Donc nous ne pourrons pas correspondre du 26 au 31 décembre.
Je te souhaite un fort Merry Christmas.
Valentin.
La réponse espérée et quelque peu provoquée ne tarda pas.
Cher Valentin,
Je te réponds tout de suite, j'espère que tu n'as pas encore éteint ton ordinateur.
Je suis vraiment heureuse de correspondre avec un authentique héros.
C'est extraordinaire, imagine que la famille de mon père a acheté il y a quelques années une belle maison au bord du lac justement à Saint Thomas et nous y allons quelquefois. Je suis heureuse de cette coïncidence incroyable qui permettra un jour de se rencontrer, je l'espère. Mais ce n'est pas tout. Ma mère qui est française savoyarde d'origine a hérité de ses parents un petit chalet au Chinaillon, un hameau du Grand Bornand et nous allons partir dès le vingt-cinq passer quelques jours à la neige.
J'ai montré ton précédent message à mes parents qui pensent eux aussi que c'est une extraordinaire double coïncidence et mon père a dit qu'il aimerait bien te rencontrer.
Notre adresse au Chinaillon est « chalet des soldanelles, hameau du Venay », il se situe tout au bout de la station vers la route du col de la Colombière.
Je suis inscrite pour des cours particuliers avec une monitrice du ski français en vue de passer ma troisième étoile. J'espère qu'il sera possible que nous nous voyions, j'en serais très heureuse.
Emily
Valentin lut et relut le mail d'Emily. Comme elle avait bien amené ses parents à l'accepter ! C'était la preuve de la finesse d'esprit de son amie. Elle avait misé sur la photo et la mémoire visuelle de son père et implicitement suggéré à Valentin d'indiquer le nom de son village. De plus, trois fois elle avait employé le mot « heureuse », c'était à n'en pas douter intentionnel.
Après un court temps de réflexion, il cliqua sur « Écrire » et se mit à rédiger sa réponse.
Chère Emily,
Je serai content d'échanger un cordial shake hand avec tes parents, mais je ne cherche absolument pas les compliments et ne veux pas m'inviter chez vous.
Je me suis renseigné auprès de mon copain Florian, nous logerons dans un appartement d'un chalet - immeuble du Chinaillon près de l'ascenseur public. Il y a non loin de là un café bar salon de thé où ils servent parait-il d'excellents chocolats chauds. Je pourrais y être avec Florian par exemple le lundi qui suit Noël vers dix-sept heures trente. Donc peut-être à bientôt Emily.
Ce matin je me suis allé au lac. Je me suis promené sur le chemin des roselières que vous devez probablement connaître. J'ai pris quelques photos et j'en joins quelques-unes à ce courriel. La maison est celle d'un camarade de classe qui se nomme Charles-Henri Dubois de la Capelle. Jolie cette pelouse enneigée sous le soleil, n'est-ce pas ? Ce camarade est actuellement en vacances dans une île des Caraïbes mais je ne l'envie pas.
À bientôt donc, je l'espère également.
Valentin
Après avoir soigneusement relu son texte, il cliqua sur « Envoyer » puis, au lieu de fermer sa session, baissa la fenêtre du logiciel de courrier et lança le navigateur internet. Il chercha et trouva le site web du Grand Bornand, afficha les images des webcams de la station pour admirer le superbe paysage montagnard tout enneigé. Il afficha ensuite le plan des pistes qu'il étudia pendant plusieurs minutes, mémorisant noms des remontées mécaniques et itinéraires de descente et finit en lançant Google street afin de repérer son immeuble ainsi que la situation probable du chalet « les soldanelles ».
Il allait clore sa session sur l'ordinateur familial quand une mini-fenêtre dans le coin inférieur droit de son écran lui indiqua l'arrivée d'un nouveau message. Il émanait encore d'Emily et disait :
Valentin, cher Valentin,
Pourvu que tu sois encore devant ton PC. J'ai aimé ton mail et tes photos. Mes parents les ont vues et appréciées. Tu dis qu'elles ont été prises ce matin n'est-ce pas ?
Parce que sur la photo de la villa de ton camarade, on aperçoit au second plan une seconde villa. Figure-toi que c'est la nôtre. Le cliché a beaucoup intéressé mon père qui l'a enregistré pour lui faire subir diverses manipulations avec un logiciel spécialisé. Oui, il s'y connaît ! Bref, il a réussi à agrandir l'image au maximum à la suite de quoi il a, disons, « grondé »ma mère parce qu'il a constaté que le volet d'une fenêtre à l'étage, façade sud côté rue, était légèrement ouvert. Il l'a accusée de l'avoir mal fermé. Ma mère lui a dit qu'elle était certaine de tout avoir bien vérifié, alors nous sommes légèrement inquiets car cela pourrait tenter des visiteurs indésirables. Nous serons de toute façon bientôt fixés car notre matériel de ski se trouvant dans le garage de la villa (il ne nous serait d'aucune utilité ici à Brighton !) nous allons y passer avant de monter dimanche en station.
Je suis impatiente d'être en France, à la montagne, de skier, de peut-être te voir.
Emily.