VALENTIN AMOUREUX

29. EN STATION

L’appartement loué par la famille Marlin au Chinaillon se composait d’une pièce principale en L avec une des branches constituant la cuisine-salle à manger et l’autre formant la partie salon. Bas des murs lambrissés de bois blond, mobilier alpin en bois massif, tableaux de fleurs de montagne sur les murs blancs, canapé couvert de coussins, la pièce à vivre était claire et cosy. Une grande porte vitrée coulissante ouvrait sur un balcon sud-est donnant vue sur le torrent, les pistes et les remontées mécaniques. Une chambre avec un grand lit, une autre plus modeste avec des lits jumeaux, une alcôve avec lits gigognes, un cabinet de toilette avec douche complétaient l’agencement. Les parents, Carine et Stéphane, s’étaient naturellement octroyé la plus grande chambre, Florian et Valentin avaient revendiqué les lits jumeaux et Chloé était tout heureuse de s’adjuger le lit supérieur de l’alcôve.
— Ne restez pas dans mes jambes, dit impérativement Carine au milieu des sacs de voyage, allez chercher les forfaits et louer le matériel pour Valentin. Vous passerez aussi par la fromagerie et vous achèterez un kilo de raclette et deux kilos de pommes de terre ainsi que la boisson à la supérette. Prenez aussi un pack de six petites bouteilles d’eau pour la nuit, ici l’air est très sec.
— Il est trois heures, je propose de passer tout de suite au magasin de sport pour la location, dans une heure ou deux ça va être l’affluence, dit le père.
— Comme vous voudrez, partez et laissez-moi ranger l’appartement.
— Tu veux que j’avance l’argent de la location du matériel Valentin ? reprit Stéphane.
— Non merci, mes grands-parents m’ont remis des chèques en blanc.
— Et bien, ils ont confiance !
— Haut les mains, c’est un hold-up ! s’amusa Florian, envoyez les chèques ! Bon, sérieusement Val, tu m’as dit que tu n’avais pas de préférence pour une technique particulière en ski. On va te prendre des skis polyvalents et des chaussures top niveau. À la limite, les godasses sont plus importantes que les planches.
— Je te fais confiance pour tout ce qui concerne le sport mon vieux.
— D’accord. On va choisir des paraboliques avec un carve moyen et pas trop nerveux pour la profonde.
— Je ne savais pas que tu parlais une troisième langue !
— Ah ah ah, trop drôle ! Ce sont des termes techniques, tu t’y feras. Rappelle-toi, pour les chaussures de ski, lors de l’essai, il faudra être très difficile sur le confort. Avoir mal aux pieds sur les pistes, c’est l’enfer ! L'enfer glacé mais l'enfer quand même.
— Allons ensemble au magasin de sport, proposa Stéphane, je m’arrange avec le patron et je vous laisse faire vos choix. Chloé et moi allons faire les courses.
— Ça roule, répondit Florian, je prends la clé du local à skis de l’immeuble pour ranger le matos de Val en revenant.

Dans le magasin de sport-location au pied de leur résidence, Florian et Valentin attendaient qu’un technicien s’occupe d’eux en flânant comme d’autres clients dans les rayons multicolores. Florian essayait des lunettes de soleil pendant que Valentin examinait les séries de skis à louer. Très absorbé, il ne prêta aucune attention au jeune de seize ou dix-sept ans qui passa derrière lui et lui envoya une bourrade dans le dos. Déséquilibré, il tomba en avant, entraînant dans sa chute un râtelier et son plein de skis dans un énorme fracas. Un vendeur arriva immédiatement.
— C’est toi qui chahutes le matériel ? fit-il avec un air furieux.
— Oui et non. J’ai été poussé dans le dos.
À cinq mètres d’eux dans le rayon des raquettes, le grand adolescent rigolait en cachant son visage dans le col montant de son anorak de luxe.
— Ah, par qui ? reprit le vendeur.
Valentin regarda autour de lui mais ne put désigner personne. Il fit une mimique d’ignorance.
— Bon, ça va, il n’y a pas de casse. Tu n’as pas de mal ? Alors aide-moi à tout remettre en place, passe-moi les skis.
Au moment du bruit, Florian avait immédiatement regardé vers le lieu de l’incident et avait noté la présence d’un jeune en tenue bleu ciel qui s’était vivement éloigné.
— Au fait, tu veux quoi ? enchaîna le vendeur.
— Je désire louer skis, bâtons et chaussures pour quelques jours.
Florian s’approcha de Valentin et dit au vendeur :
— Nous sommes ensemble, c'est mon père qui a parlé au patron tout à l'heure. Pour mon copain, il faut des paraboliques d’un mètre quarante, pas trop carvés, toutes neiges donc assez souples avec quand même une bonne accroche sur la tôle.
Le vendeur sourit d’un air entendu et alla saisir une paire de skis multicolores d’une grande marque française.
— Ceux-ci devraient convenir.
Florian saisit un ski, cala le talon de celui-ci contre son pied droit, maintint la spatule dans sa main gauche et de la droite exerça quelques violentes pressions au niveau de la butée de fixation.
— Oui, pas mal, dit-il en faisant de même avec l’autre ski avant de les rassembler semelle contre semelle pour en estimer la flèche de courbure puis côté contre côté pour mesurer le carve. Bon, on les prend. Il lui faut aussi des chaussures top niveau, thermo-moulantes, qui n’ont pas encore été louées.
— Nous en avons mais dans ce cas, ce sera un peu plus cher.
Florian consulta de l’œil son ami qui lui fit un discret signe d’approbation.
— D’accord, faites-lui essayer, du trente-neuf en pointure française.
— Venez vous asseoir par ici jeunes gens. J’ai ce modèle à trois crochets et celui-ci à cinq.
— Plutôt à cinq répondit Florian, le réglage est plus fin. Val, tu essaies de bien sentir ton pied.
— J’ai les pieds propres, s’amusa Valentin, ils ne sentent pas !
— Je veux dire prends conscience de tes orteils et du reste, tu dois être maintenu sans être comprimé, tu comprends ?
— Mais bien sûr Flo.
— Je vous laisse un instant les jeunes, reprit le vendeur. Le mieux serait que vous chaussiez les deux et fassiez quelques pas dans le magasin.
— OK, merci, on vous fait signe dès que la décision est prise. Alors Val, qu’en penses-tu ?
— Je suis comme dans des chaussons.
— Bien, regardes derrière la tige de chaque chaussure ce petit sélecteur, tu le mets sur M, ça veut dire marche et donc permet plus de flexion de la cheville, expliqua Florian, puis constatant que le vendeur était hors de portée d’oreille, il reprit à voix basse : le mec là en tenue bleu ciel, c’est lui qui t’a bousculé tout à l’heure. Va te mettre derrière lui mine de rien et quand tu me verras arriver, tu lui cales les jambes en t’accroupissant derrière lui.
Valentin opina. Il se leva et suivit les indications de son ami. Il marcha vers son bousculeur qui se donnait une contenance en essayant un bonnet extrait d’un présentoir en vrac près du rayon des bâtons de ski. Quand Valentin vit Florian se diriger vers le type, il se baissa derrière lui et fit mine de resserrer un crochet de chaussure. En regardant ailleurs, Florian heurta violemment de l’épaule celle de son opposant qui, sous la poussée, bloqué qu’il était par le corps de Valentin, s’écroula dans les bâtons de ski lesquels par rebond furent éjectés de leur présentoir. Florian avait immédiatement fait demi-tour tandis que Valentin continuait ses essais de marche en pliant les genoux laissant leur adversaire seul au milieu de son désordre.
Le vendeur se précipita vers le fautif qui tentait de s’esquiver.
— Holà toi, tu remets en place ce que tu as dérangé. Attends, montre-moi ce bâton... Oui c’est ça, il est tordu. Bon et bien c’est douze euros.
— Mais je n’ai pas besoin de bâtons moi !
— Tu n’es pas obligé de les prendre mais c’est quand même douze euros et ce bonnet-cagoule sur ta tête est à quinze euros, vingt-sept euros en tout, la caisse est là-bas.
Alors jeune homme continua-t-il en s’adressant à Valentin qui attendait à quelques mètres, les chaussures vous conviennent ?
— Admirablement. Pour les skis les chaussures et les bâtons, je vais vous laisser un chèque de caution signé par mon grand-père - qui porte le même nom que moi - répondit Valentin en souriant et en sortant chèque et carte d’identité de son portefeuille en toile.

— Je l’avais bien repéré quand il t’a bousculé ce sale type, fit Florian quand ils furent dehors, je ne pouvais pas laisser passer ça. Finalement c’est lui le dindon !
— Finalement, je ne sais pas mais pour le moment oui. Dis-moi Flo, tu connais le hameau du Venay ici au Chinaillon ?
— Ben oui, regarde, c’est là-bas, répondit Florian en désignant un groupe de chalets situés de l’autre côté du torrent en amont. Je passe en ski à côté quand je descends par là.
— Est-ce que tu situes le chalet des Soldanelles ?
— Je n’ai pas trop la mémoire des noms mais il me semble qu’il y a un vieux chalet typique qui s’appelle comme ça. C’est quoi des soldanelles, des animaux ?
— Des petites fleurs de montagne en forme de petites clochettes mauve frangées. Elles poussent juste après la fonte des neiges.
— Ah bon. Et il y a quoi dans ce chalet ?
— Je t’en parlerai peut-être bientôt, répondit Valentin après quelques secondes de réflexion. Et ta brasserie au bon chocolat chaud, où est-elle ?
— Tu veux me payer à boire ?
— Tu m’as bien aidé pour le matériel de ski, cela mérite une récompense ! Mais même sans cela, je t’en aurai offert un.
— Chouette, merci, c’est à deux pas, viens.

Le ciel était un peu gris ce premier dimanche au ski, le soleil se laissait deviner sans vraiment se montrer. Stéphane Marlin avait décidé de skier avec les deux garçons, essentiellement pour estimer le niveau de Valentin et lui apprendre les pistes de la station. Il était neuf heures un quart, Florian tournait comme un animal en cage dans l’appartement.
— Vous piaffez d’impatience et nous ne sommes pas prêts. Flo, tu vas partir avec Valentin. Allez skier sur les pistes du Châtelet en nous attendant, rendez-vous à dix heures au pied de la Floria au départ des cours de l’école de ski pour Chloé.
— D’ac p’pa ! Je prends une clé du local à ski. Viens Val. N’oublie pas ton forfait.
— Comment y va-t-on au Châtelet ?
— Par l’ascenseur public, un petit pont sur le torrent et deux minutes à pied. Tu veux commencer par une piste verte ou une piste rouge ?
— Comme toi.
— Commençons par la verte. Elle est beaucoup trop facile mais pour s’échauffer c’est l’idéal. J’ai bien peur qu’on ait jour blanc.
— De quoi s’agit-il ?
— C’est quand on ne voit pas bien le relief pour skier, c’est piégeux quand il a des bosses mais sur la verte ça ne craint pas.

Après une rapide montée en télésiège, les deux amis s’élancèrent sur la piste facile. Florian enchaînait les grandes courbes et les petits virages serrés que Valentin bien que moins stylé n’avait aucun mal à suivre et imiter.
— Ben dis donc, tu te débrouilles pas mal sur les planches ! Ils vont bien tes skis ?
— Ah oui, super. Il faut dire que la neige est facile.
— Passe devant un peu.
— OK, fit Valentin en démarrant par une petite godille.
— Tu as vraiment un bon niveau pour un trois étoiles, lui dit Florian en skiant en parallèle avec son ami, on va se régaler pendant ce séjour. Tiens, hier tu voulais savoir où se trouve le hameau du Venay, on va passer à côté, suis-moi.
Florian donna deux coups de pas de patineur pour prendre de l’élan, se mit en recherche de vitesse et fonça sur la piste encore peu fréquentée. Valentin plus léger que son ami fut un peu distancé mais réussit néanmoins à suivre. Après s’être redressé, Florian exécuta un large virage frein qui le fit légèrement remonter dans la pente et s’arrêta en bord de piste toujours imité par Valentin qui vint se mettre en aval de son ami.
— Le Venay, c’est là. Ces chalets immeubles de l’autre côté du nant, ce groupe de chalets neufs en bois clair plus ces quelques autres plus anciens et plus authentiques de ce côté-ci.
— C’est lequel le chalet des soldanelles ?
— Le deuxième en amont de ce bouquet d’arbres je crois.
— On dirait bien qu’il est fermé.
— C’est souvent le cas pour les résidences secondaires. Je suis passé à côté en raquettes en fin de saison l’an dernier et il était déjà fermé. Allez viens, on va rejoindre mes vieux au départ de la Floria.