Valentin traînait au lit pendant que Florian très actif enfilait déjà son pantalon de ski.
— Qu'est-ce qui t'arrive aujourd'hui Val ? Tu es malade ?
— Non mais hier tu m'as tué avec ta descente non-stop. J'ai encore les cuisses en béton.
— Il fait beau, allez hop, debout ! Les courbatures partent mieux en s'activant qu'en restant « racagoiné » sans rien faire.
— Nous avons le temps, non ?
— On s'arrêtera plus souvent, promis. Allez debout, les remontées ne vont pas tarder à se mettre en route.
— Je n'ai pas trop envie de commencer si tôt. Attendons que le soleil passe au-dessus des montagnes. Tiens, je vais accompagner Choé au départ de son cours, cela lui fera plaisir de me montrer son moniteur. Le rassemblement est bien à dix heures ?
Valentin avait bien conscience de manipuler son ami mais pouvait-il lui dire maintenant que c'était pour tenter d'apercevoir son amie Emily qui, lui avait-elle écrit, prenait un cours particulier niveau trois étoiles.
— Comme tu voudras finalement, ça va arranger mes parents qui sont toujours à la bourre le matin. Bon, on part tous les trois à dix heures moins dix, je les préviens.
Sur le replat de terrain non loin du départ de la Floria, près des panneaux ronds indiquant les niveaux de ski, beaucoup de jeunes âgés de six à seize ans, vêtus de tenues multicolores, casqués, lunettes de neige masquant les yeux, attendaient leurs moniteurs. Patientant près du panneau deux étoiles avec Chloé et Florian, Valentin jetait de fréquents regards vers le piquet suivant décoré de trois étoiles, détaillant chaque personne présente. Dominant un peu le brouhaha, la voix haut perchée d'une monitrice lança « mademoiselle Gilmore... Miss Gilmore ! » Valentin scruta les présents avec plus d'acuité encore. Un mouvement sur le chemin de montée vers le rassemblement attira son attention. Un homme corpulent et une dame plutôt mince, tous deux en tenues de ski mais chaussés de simple après-skis, précédaient une personne plus jeune, pantalon couleur prune, casque blanc, chaussures de ski blanches, anorak blanc avec sur une manche un écusson représentant le drapeau britannique et sur l'autre le drapeau français. Valentin ôta prestement son casque et ses lunettes pour mieux se faire reconnaître. La jeune personne eut un mouvement de surprise puis fit de la main un geste qui pouvait passer pour anodin mais que Valentin interpréta comme un signe de reconnaissance.
Le groupe de Chloé composé d'une dizaine d'élèves se dirigea vers le grand télésiège débrayable et prit la travée réservée à l'école de ski, suivit par trois autres groupes de jeunes.
La monitrice répéta : « Miss Gilmore ? Mademoiselle Gilmore ? L'homme et la femme levèrent chacun une main tandis qu'Emily s'avançait vers elle en souriant. Valentin donna un léger coup de bâton dans les jambes de son ami.
— Viens, prenons la queue.
— Ah, tu te décides.
Trois groupes précédaient Emily et sa monitrice. Dans la queue des clients ordinaires, beaucoup plus lente, Valentin supputa le moment où son amie et sa monitrice allaient se présenter pour prendre place sur le tapis roulant du télésiège débrayable. Il laissa volontairement passer quelques skieurs puis au dernier moment, quand ce fut le tour d'Emily et de sa monitrice, voyant qu'il restait une place pour compléter le siège, il s'avança prestement et prit place près de son amie.
— Je t'attends en haut, dit-il à Florian, plutôt bêtement.
— Oui ben j'espère, quand même ! s'énerva celui-ci.
Quand le siège à six places eut accroché le câble de montée et que la barre de protection eut été baissée, Valentin lança un « Bonjour ! » à la cantonade.
— Bonjour, répondit Emily avec un charmant sourire en modulant sa voix, la monitrice leva une main en souriant également, un homme émit un vague grognement, une femme répondit « bonjour, belle journée hein !» et un jeune trop occupé à sortir son smartphone ne répondit pas.
— Vous êtes en cours vous aussi ? demanda Emily à son voisin sachant bien qu'il n'en était rien.
— Non, je skie avec un copain qui est dans le siège suivant.
— Vous êtes d'ici ou en vacances ? questionna la monitrice.
— Les deux, j'habite en Haute-Savoie à seulement quarante kilomètres d'ici.
— Moi je viens d'Angleterre, de Brighton. Je suis arrivée hier soir avec mes parents. Nous aurions dû être là un jour plus tôt madame, continua-t-elle en s'adressant à sa monitrice mais en arrivant dans notre maison de Saint Thomas du lac, nous nous sommes rendus compte que nous avions été cambriolés. C'est ce qui explique pourquoi mon père a téléphoné à l'école de ski pour décommander notre cours d'hier.
— Comment le ou les cambrioleurs sont-ils entrés dans votre maison ? demanda Valentin.
— Par une fenêtre à l'étage. Un volet a été forcé et une vitre brisée.
— On vous a pris beaucoup de choses ? continua la monitrice.
— Oui, pas mal. Nous avons dû rester toute la journée de lundi pour le constat de gendarmerie, les photos pour l'assurance, l'inventaire, la remise en ordre.
— C'est bien embêtant tout ça, enchaîna la monitrice. Allez mademoiselle Emily, je vous conseille de tout oublier pendant deux heures et de ne penser qu'au plaisir du ski.
Le siège arrivait au sommet, l'homme bougon releva la barre de sécurité. En reprenant contact avec la neige, Valentin souffla à sa voisine : « À cinq heures et demie à la brasserie, amène tes parents. » Il esquissa deux virages, fit demi-tour et, tout en regardant Emily et sa monitrice qui enfilaient les dragonnes de leurs bâtons, attendit avec un sourire crispé que Florian le rejoigne et l'incendie.
— Dis-donc, lâcheur, tu aurais pu monter avec moi !
— Excuse Flo, je ne suis pas très sympa ce matin, il faut que je t'explique tout. Tu peux nous trouver un coin au soleil ?
— Retournons vers la Duche, c'est exposé sud-est au soleil du matin, on sera bien.
— ... et voilà toute l'histoire. Emily est mon amie de cœur depuis l'anniversaire de Charly et je veux tout faire pour elle.
— Et tu ne l'as dit à personne ?
— Gilles et Bouboule sont au courant depuis notre séjour en Angleterre, mais ils en savent moins que toi maintenant et j'ai leur promesse de ne rien dire.
— Moche son histoire de cambriolage.
— Oui, mais je crois que je peux les aider. Je lui ai donné rendez-vous à ta brasserie chocolat ce soir à cinq heures et demie. J'aimerais bien que tu viennes et même cela m'aiderait que tu viennes. On skie ?
Pendant le temps les séparant de midi, Florian et Valentin croisèrent plusieurs fois le parcours d'Emily suivant avec application sa monitrice, ce qui amena un commentaire de Florian.
— Ce n'est pas mal ce qu'elle fait ton Emily, Un peu timoré, un peu en recul mais plutôt bien en technique.
— Venant de toi, c'est un énorme compliment, merci pour elle.
L'après-midi, ils croisèrent Emily skiant avec ses parents. Quand Valentin les vit stationnant en bord de piste une cinquantaine de mètres en aval, il prit la tête du duo, skiant le plus légèrement et le plus souplement qu'il put, doubla le trio et s'arrêta quelques vingt mètres plus bas, Florian sur ses talons. Le trio repartit ce qui permit à Florian d'émettre un nouveau jugement.
— Un peu heurté le style du père, il skie trop en force, un peu bourrin quoi, mais sa femme a du style, elle est gracieuse sur les planches. Il y a sûrement très longtemps qu'elle pratique.
— La mère d'Emily est savoyarde d'origine, comme nous.
— Ceci explique cela. Je te propose de faire l'itinéraire jusqu'en bas du Grand Bornand et de prendre les œufs pour rentrer.
— OK, je tiens à finir tôt aujourd'hui.
Le soleil venait de passer derrière la montagne, l'ombre avait gagné le bas de la vallée mais l'air était encore doux quand les deux amis déchaussèrent leurs skis. Chloé, Carine et Stéphane étaient déjà à l'appartement.
— Alors Chloé, tu as bien skié aujourd'hui ? demanda gentiment Valentin.
— Oh oui ! Même que je t'ai fait coucou plusieurs fois mais tu ne m'as pas répondu.
— Il était trop occupé pour te voir, se moqua Florian.
— Vous voulez une tasse de thé rouge pour vous réchauffer ? demanda Carine.
— Non merci répondit vite Florian. Val m'offre un chocolat à la brasserie. On prend la douche et on y va.
— Moi aussi j'en veux un de chocolat, exigea Chloé.
— Je t'en offrirai un demain, éluda Valentin.
— Mais...
— Laisse les garçons Chloé, intervint Stéphane. Tu n'as pas le même âge qu'eux et ils ont sûrement à discuter de choses qui n'intéressent pas les petites filles.
— Demain alors, promis ?
— Promis Chloé, croix de bois, croix de fer...
— Si tu mens tu iras en enfer !