VALENTIN AMOUREUX

33. ENQUÊTE EN CHAMBRE

Florian attendit que tout le monde soit couché pour faire part à Valentin de ses impressions sur la famille Gilmore.
— Je trouve ton Emily bien jolie pour une anglaise, mais qu'est-ce qu'elle est discrète, on l'a à peine entendue. Sa mère aussi est très jolie et très classe, d'ailleurs c'est une savoyarde, ça explique tout ! C'est surtout le père qui a parlé, un peu comme il skie d'ailleurs, impératif, massif, en force. Je dirais qu'il a l'habitude de commander. C'est quoi son métier ?
— En fait, je l'ignore. Je pense qu'il dirige une petite entreprise à Brighton.
— C'est moche ce qui leur est arrivé au village !
— Oui, très. Si nous examinions calmement les faits pour voir ce que nous pouvons en tirer ?
— Ne me dis pas que tu penses résoudre l'affaire ici, allongés sur nos lits, rien qu'en discutant.
— Nous pouvons toujours essayer. Écoute-moi. Mercredi vingt-trois...
— Le jour ou tu m'as battu au ping-pong ?
— Exactement. Ce jour-là il a plu une bonne partie de la matinée. Comme je déteste regarder tomber la pluie depuis la fenêtre de ma chambre, je suis allé faire une promenade jusqu'au lac. Il faisait sombre, personne nulle part, le désert gris froid et humide. J'ai quand même suivi le chemin des roselières jusqu'au ponton de Charles-Henri. Je suis monté dessus et suis allé jusqu'au bout, il était impossible de distinguer la rive d'en face, tu vois l'ambiance. À ce moment-là, j'ai eu l'impression qu'il venait de faire un éclair d'orage mais il n'y a pas eu de tonnerre. Je me suis retourné et j'ai vu que les lampes à détection de mouvement du perron de la villa des Dubois de la Capelle étaient allumées or ils sont en ce moment en voyage dans les Caraïbes. Alors pourquoi ?
— S'il n'y avait personne, on peut supposer qu'il s'agissait d'un animal, un chat par exemple.
— C'est ce à quoi j'ai pensé sur le coup mais à la réflexion, je ne pense pas que les chats sortent sous la pluie. Il n'y a rien à chasser quand il pleut, mais je continue. Le temps fraîchissait, la pluie commençait à se transformer en neige. J'ai emprunté le passage le long de la villa de Charly et là j'ai vu, dressée contre le mur sur la façade arrière de leur grosse maison, une échelle, celle-là même qui était couchée au sol la dernière fois que je l'ai aperçue, c'était le jour de son anniversaire. Sur le coup, je n'y ai pas attaché d'importance.
— Ben oui, ils ont peut-être tout simplement fait des travaux de peinture sur un volet ou sur l'extérieur d'une fenêtre.
— Tu vois les Dubois de la Capelle faire eux-mêmes des travaux de bâtiment ?
— Euh non, ce n'est pas leur genre.
— N'est-ce pas ? Bon, cela ne m'a pas tracassé outre mesure, je pensais surtout à Emily. J'ai pris une photo de sa villa au moment où il s'est mis à neiger très fort des têtes de chat. Je voulais lui envoyer pour lui montrer à quoi ressemble sa maison en hiver quand il neige. Elle ressemblait à une carte postale de Noël avec des gros flocons. Regarde, c'est cette photo-là, ajouta Valentin en la faisant apparaître sur son smartphone.
— Tu m'as habitué à mieux, elle est plutôt sombre et il y a cette camionnette qui gâche en partie l'image.
— Tu as raison, je me suis dit la même chose aussi je ne l'ai pas envoyée. L'après-midi, nous avons joué au tennis de table puis mangé la délicieuse tarte aux pommes de ta mère. En rentrant chez moi, j'ai vu la Mégane de la gendarmerie qui filait vers le lac. J'ai suivi la même route par curiosité. Quand je l'ai retrouvée, elle était stationnée près d'une belle grosse villa contemporaine. J'ai discuté avec le brigadier Guimard qui faisait le pied de grue près de la voiture. Il m'a dit que cette villa venait d'être cambriolée. Le lendemain, le vingt-quatre donc, il faisait très beau et très froid, rappelle-toi. Je suis retourné au lac faire des photos, les cailloux de la berge enveloppés de glace, les stalactites aux pieds des roseaux, la neige sur les pieux des pontons. Tu sais que la photo c'est un peu ma passion. J'ai, entre autres clichés, pris la maison de Charly avec sa pelouse toute blanche scintillant sous le soleil du matin. C'est là que ça devient intéressant : sur cette image apparaît au second plan la villa d'Emily. Cette photo, je la lui ai envoyée. Elle l'a montrée à son père qui a remarqué qu'un de leurs volets était ouvert alors qu'il ne devait pas l'être. Il s'est avéré, quand ils sont arrivés dans leur villa pour prendre leur matériel de ski qu'ils ont été eux aussi cambriolés. Qu'est-ce que tu déduis de tout ça ?
— Ben que la villa des Dubois de la Capelle a peut-être subi le même sort, probablement d'ailleurs quand tu 'étais sur leur ponton, d'où la lumière qui s'allume automatiquement et l'échelle restée debout contre le mur.
— Bien vu Flo. Je suis en train de me demander si le lendemain, quand j'ai pris la seconde série de photos, l'échelle était encore dressée. Il me semble bien que non. Maintenant, réfléchissons. Imagine que nous soyons des cambrioleurs, nous entrons dans une maison par une fenêtre du premier étage souvent bien moins protégé que le rez de chaussée. Nous volons tout ce qui nous semble avoir de la valeur. Que faisons-nous ensuite ?
— On cherche à revendre tout ça.
— Mais avant, ce que je te demande, c'est comment on embarque le butin. Les bijoux, l'argent, les bibelots de valeur peuvent prendre place dans un sac à dos, mais les appareils électroniques, les petits meubles de prix, les téléviseurs ?
— Là, effectivement, il faut un véhicule.
— Un véhicule de quel genre ?
— Une camionnette. Oh, j'y suis, la camionnette sur ta première photo.
— Tu y es. Examinons-la en détail. Tu t'y connais en véhicules utilitaires ?
— Montre. On dirait un vieux J5 Peugeot.
— Il a une nouvelle plaque d'immatriculation, attends, je l’agrandis, voyons, un gros flocon, un C, 72, encore un flocon puis AE et en petit, pour le département... rien à faire, je ne peux pas agrandir suffisamment.
— Toi qui est bon en math, tu vas calculer le nombre de numéros minéralogiques à vérifier. Ça doit être énorme !
— Pas tant que ça. Les immatriculations récentes commencent par quelle lettre ?
— Il me semble qu'on arrive à la lettre F.
— Donc AC, BC, CC, DC, et EC, peut-être FC soit six possibilités à multiplier par dix pour le chiffre manquant donc soixante vérifications à faire.
— On n'a aucun moyen de faire ça.
— Nous, non mais pour les gendarmes, c'est une simple formalité. Attends, j'ai encore quelque chose à vérifier.
Valentin reprit la photo sous la neige et examina le volet par lequel les cambrioleurs avaient pénétré dans la villa des Gilmore.
— Regarde Flo, ce volet-là, et maintenant le même sur l'autre photo, celle sous le soleil. Alors ?
— Sur la première il est fermé et sur l'autre, il est à moitié ouvert, donc le cambriolage a eu lieu après la prise de la première photo et avant la date de la deuxième.
— Oui, mais non, le créneau horaire est plus restreint que cela. Je dirais entre ma première photo donc le vingt-trois à dix heures du matin et la fin de notre partie de ping-pong, soit vers dix-sept heures.
— Qu'est-ce que notre match a à voir là-dedans ?
— Quand je suis parti de chez toi, il était dix-huit heures, j'ai vu la voiture de la gendarmerie se diriger vers le port pour faire le constat du cambriolage de la villa contemporaine des Suisses, donc si je compte le temps que les propriétaires se rendent compte du fric-frac, qu'ils préviennent Lemoine et que celui-ci organise le déplacement, tu vois que je ne suis pas loin du bon timing comme dirait le père Gilmore.
— Un peu de respect pour ta belle famille !
Valentin leva les yeux au plafond en secouant la tête avec un air faussement excédé, mais poursuivit.
— Donc nous avons le créneau horaire des méfaits, le mode opératoire et la description du véhicule utilisé selon toute probabilité. De plus la gendarmerie doit posséder la description des objets volés. Avec tout ça, elle a de quoi mener une enquête éclair. Tu sais ce que je vais faire ?
— Téléphoner à Lemoine ?
— Pas à cette heure-ci. Je vais lui envoyer un courriel résumant tout ce qu'on a trouvé en joignant les deux photos et juste après j'expédie un texto lui demandant de vérifier sa boite à lettres électronique.
— Tu lui parles des Gilmore ?
— Bien entendu, je vais même commencer par ça. — N'oublie pas de lui parler également de la villa des parents de Charly.