Lorsque Florian tira le rideau obscurcissant leur chambre le lendemain matin, il fit la grimace, tout était gris sur gris, une décourageante pluie fine tombait sur la neige. Au lieu de sauter dans ses habits comme il en avait l'habitude, écœuré, il replongea sous sa couette.
— Qu'est-ce qui t'arrive mon Florian, tu es malade ?
— Regarde par la fenêtre et tu comprendras.
— Pas la peine de regarder pour savoir qu'il pleut !
— Ben comment tu sais ça toi, tu es devin ?
— Oui, tu le sais bien. Sérieusement, dans le cas présent, il suffit de se rappeler comme l'air était doux hier après-midi, c'était le signe d'un changement de temps. En ce moment, c'est ce que les météorologues de la télé appellent le front chaud qui donne la pluie. Suivra obligatoirement un front froid qui ramènera la neige.
— Le ciel t'entende !
— Je parie que cet après-midi il y aura des éclaircies et peut-être même que nous verrons le soleil.
— Tu dis ça parce que tu as envie de skier avec ton Emily, j'ai bon là ?
— C'est sûr. Je n'ai pas souvent l'occasion de la voir, je ne veux pas laisser passer une occasion d'être avec elle. Attends, mon téléphone vibre. C'est Lemoine, j'en étais sûr. « Allô ? » dit-il en mettant le hautparleur afin que Florian partage la teneur de la conversation.
— Valentin, je peux te parler ?
— Absolument Chief Warrant Officer.
— Ah, toi tu as discuté avec monsieur Gilmore.
— Oui, hier soir. Il se trouve que c'est le père d'une de mes amies.
— Donc c'est à partir de ses déclarations que vous avez enquêté.
— Ce fut le facteur déclenchant. Que pensez-vous du contenu de mon courriel ?
— C'est à ce sujet que je t'appelle. Nous avons vérifié l'authenticité des dates et heures des photos que tu m'a envoyées par leur données EXIF. Le créneau que tu indiques est le bon. Nous avons pu identifier la camionnette. Il semble bien qu'elle ait été revendue il y a deux ans mais le nouveau propriétaire n'a pas fait modifier le certificat d'immatriculation, ce qui en soi est répréhensible et donc nous n'avons pas son adresse.
— Alors vous n'allez pas pouvoir le retrouver ?
— Toutes les gendarmeries et les commissariats de police des deux Savoie ont ordre d'immobiliser le véhicule et d’interpeller les occupants si la camionnette est repérée. C'est une question de temps mais ça peut aller très vite, surtout s'ils pensent n'avoir pas été repérés.
— Merci d'avoir tenu compte de nos déductions mon adjudant-chef. Et à propos du sac avec le pistolet ?
— Ah oui, je voulais t'en parler. L'individu a été appréhendé et mis sous mandat de dépôt pour braquage, trafic de drogue, falsification de plaques, coups et blessures etc. Il est à l'ombre pour un bout de temps. Le grenoblois propriétaire de la BMW X3, monsieur Ferrand va se voir recrédité de tous les points de son permis de conduire. Je crois qu'il désire te contacter pour te remercier et donc je lui ai... Attends, une urgence, je te rappelle plus tard.
— Entendu, à plus tard.
— Ben on dirait que tout s'arrange, commenta Florian, et même dehors, regarde, il ne pleut plus, il neige. Qu'est-ce qu'on fait, on skie ?
— Nous sommes venus là pour ça, non ? Accompagnons Chloé à son cours puis allons explorer du côté du col de Châtillon, je ne connais pas les pistes par là.
Après une heure et demie passées à skier tantôt dans la bourrasque, tantôt dans le nuage, tantôt maltraités par le grésil, devant l'insistance de Valentin, Florian accepta de raccourcir la matinée et, à onze heures et demie, ils étaient de retour à l'appartement.
Après un repas vite expédié, Valentin pour une fois le premier en tenue, piaffait d'impatience en attendant son ami.
— Dépêche-toi Flo, nous allons rater Emily !
— Tu as raison, ça m'étonnerait qu'elle t'attende si tu es en retard, ironisa Florian, je me hâte, je me presse, je me dépêche.
À deux heures moins cinq, ils étaient au pied du grand télésiège débrayable de la Floria. Au loin vers l'ouest, un peu de clair illuminait les montagnes laissant espérer une embellie. Emily, skis sur l'épaule, arriva à deux heures cinq, les joues rosies par l'air vif.
— Excusez-moi, j'ai encore mal calculé le temps nécessaire pour venir du Venay.
— Montons, nous discuterons sur le siège, décida Florian.
Bien emmitouflés dans leurs anoraks, confortablement installés sur le long siège incomplet à cause du temps, Florian enchaîna : je propose que nous allions skier sur les pistes du Maroly.
Emily lui répondit avec son charmant sourire :
— Nous te faisons confiance Florian. Valentin, mon père a reçu vers midi un coup de téléphone de la gendarmerie, il y a du nouveau dans notre affaire. Leur enquête a pu déterminer l'heure du cambriolage et l'immatriculation du camion que les cambrioleurs ont utilisé. Leur arrestation est une question d'heures. La gendarmerie française est diablement efficace !
— Surtout quand... commença Florian foudroyé du regard par Valentin. Surtout qu'en... ce moment ils doivent gérer un surcroît de population avec l'afflux des vacanciers... se rattrapa-t-il, récompensé par un clin d’œil de son ami. Donc je propose qu'on descende doucement la Tolar puis on remonte sur Terres rouges et on skie sur les pistes du Maroly, ça vous va ? Valentin, tu passeras devant pour choisir les meilleurs passages, Emily te suivra et moi je suivrai Emily. Privilégie plutôt les bords de piste Val, il y a beaucoup moins de bosses, c'est mieux avec cette visibilité incertaine.
Une heure trois quarts plus tard, sous un ciel où le soleil le disputait aux nuages d'averses de neige, Valentin proposa d'arrêter pour avoir le temps de prendre la douche avant d'aller boire le chocolat promis. Florian qui aurait volontiers fait une ou deux descentes supplémentaires acquiesça pour faire plaisir.
— Bonne idée. Passons devant le Venay pour libérer Emily puis allons récupérer Chloé. À cinq heures à la brasserie, ça te va Emily ?
— Oui, super. C'est la première fois que mon père me laisse autant de liberté, je n'en reviens pas. Comment diriez-vous ? Il vous a « à la bonne » je crois.
Quand, un peu plus d'une heure plus tard, ils furent attablés devant quatre chocolats chauds récupérés par Florian plus débrouillard que jamais, Emily annonça :
— Le chef de la gendarmerie vient de retéléphoner à mon père, la camionnette des voleurs a été repérée et ils ont été arrêtés. Nous allons pouvoir récupérer ce qui nous a été pris. Mes parents sont ravis, tellement contents qu'ils vous invitent tous les deux à venir manger avec nous au chalet si toutefois vous avez la permission.
Florian sortit immédiatement son téléphone.
— Papa ? Tu peux mettre le son pour que maman entende ? Voilà, nous sommes invités à manger ce soir par les parents d'Emily, l'amie de Valentin, et la mienne aussi, êtes-vous d'accord ? Ah, merci, vous êtes super ! Oui, bien sûr, à dix heures nous serons rentrés. Oui, Chloé est contente, oui nous repassons par l'appartement. À tout de suite. C'est bon Emily, tout est arrangé, à quelle heure chez toi ?
— Vers six heures et demie, ce serait parfait. Mes parents ont dit de ne rien apporter, il y a tout ce qu'il faut.
— Nous allons te raccompagner un bout de chemin Emily, proposa Valentin.
Florian plus futé qu'il voulait bien le laisser paraître intervint :
— Va avec Emily, moi je rentre avec Chloé. On se retrouve à l'appart dans une demi-heure.
Valentin lança un regard de connivence et de remerciement à son ami et se leva pour aller payer la tournée promise pendant qu'Emily s'absentait en direction du fond de la salle.
Il eut le temps d'entendre Chloé demander à son frère :
— C'est son amoureuse à Valentin, Emily ? Si c'est ça je la déteste !
— Mais non Chloé, c'est simplement une amie à nous deux.
— Ah bon, comme ça, ça va.