VALENTIN AMOUREUX

4. EXPLICATIONS

Valentin appuyait allègrement sur les pédales de son VTT en se dirigeant une fois de plus vers le lac. Il ne s'était pas donné de but mais empruntait le chemin qu'il avait fait à pied le matin même. Avec le souci d'éviter les flaques d'eau qui stagnaient sur le chemin de promenade du bord de l'eau pour éviter d'être aspergé par les projections des roues du vélo tout terrain, il arriva au niveau de la villa d'Emily. Son cœur tressaillit quand il l'imagina inscrivant son propre numéro en pensant à lui. Il descendit de vélo, l'appuya contre un buisson dénudé et se plaça à l'endroit où la veille il avait dansé en la tenant entre ses bras. Pendant quelques secondes, les yeux fermés, il mima sa danse avec Emily. Merveilleux souvenir. Un bruit de conversation sur le chemin le fit revenir à la réalité. Il continua à marcher quelques mètres pour se placer à l'endroit où elle était quand il l'avait vue pour la première fois devant le sublime paysage...
— Valentin, c'est toi ?
Il sursauta et se retourna, sourcils froncés. Charles-Henri debout sur le perron-terrasse de sa villa lui faisait de grands signes du bras.
— Ah, Charles-Henri. Je faisais mon tour en vélo. C'était mieux hier, hein ?
— Certes, et en grande partie grâce à toi. Tu as reçu mon texto ?
— Je comptais te répondre dans la journée.
— Tu pourras me refiler tes chansons ?
— Non, mais je te donnerai les titres et comme tu t'y connais en informatique, tu pourras aisément les enregistrer.
— OK, sympa. Tu t'es régalé toi aussi hier ?
— Pour être honnête, quand je suis arrivé, j'avais encore quelques réticences mais ensuite j'ai apprécié ta soirée.
— Tu n'as pas beaucoup dansé à ce que j'ai vu, mais tout le monde ou presque a adoré tes titres.
— Ils aiment les nouveautés ! Toutes ces chansons ont cinquante ans et plus.
— Incroyable ! Je me demandais pourquoi on ne les entend jamais à la radio ou à la télé.
— Oh il y a encore des gens qui savent les apprécier, ce furent en leur temps des succès mondiaux m'ont dit mes grands-parents. Dis-moi, pour changer de sujet, cette villa à côté de la vôtre est inhabitée ?
— C'est une résidence secondaire qui appartient à des anglais je crois. Ils la louent aussi quelquefois.
— Vous les connaissez ces gens ?
— Les Gilmore ? Oui, un peu. Le père est industriel en Angleterre à... à...
— Londres ? Birmingham ? Manchester ? Liverpool ? Bristol ?
— Oui, c'est ça, Bristol, heu non, pas Bristol, Brighton. Ils sont plutôt sympas pour des anglais.
— Ce sont des vieux ?
— Pas du tout, les parents ont à peu près l'âge des miens, la quarantaine.
— Ils ont des enfants ?
— Ils ont au moins une fille de treize ou quatorze ans, comme nous quoi. Je l'ai vue une fois ou deux, elle a un look démodé mais elle est plutôt jolie. Si elle voulait bien, je ne dirais pas non.
Une flèche de jalousie perça le cœur de Valentin mais il réussit à ne rien laisser paraître.
— Je croyais que tu visais Océane ?
— C'est plutôt elle qui me vise.
— C'est une jolie fille Océane, elle a voulu sortir avec moi l'an dernier.
— Ah toi aussi tu es sur les rangs...
— Mais non, elle est pour toi, n'hésite pas, vas-y fonce !
— Et Florian ?
— Florian est un bon copain et un mec sain. Il s'intéresse à Marine, pas à Océane ou plutôt Marine s'intéresse à lui, sur ton instigation je te rappelle.
— Il... il ne peut pas... confondre ?
— Absolument pas. Il est comme moi, il n'oublie jamais un regard, fut-il un regard jumeau.
— Tu n'oublies jamais toi non plus, hein ?
— L'oubli est impossible mais si la nouvelle donne supplante l'ancienne, alors c'est elle qui compte.
— Donc il serait possible que nous devenions amis ?
— Si tu ne te laisses pas trop influencer par certains dans la classe.
— Tu as une équipe soudée autour de toi. Ceux qui se sont mis avec moi ne pensent qu'à se contrer, à se mettre en avant, ils se houspillent, se chinent, s'engueulent...
— Ils ne se sont rapprochés de toi que parce qu'ils y voyaient leur intérêt, parce qu'ils ont vu qu'il y avait un contentieux entre nous deux.
— Un contentieux ?
— Oui, une dispute si tu préfères. Pour l'histoire qu'ils ne t'ont pas dite : je suis arrivé dans ce collège il y a à peine plus d'un an. Tony a alors profité de mon ignorance pour tenter de me ridiculiser en anglais et de me faire punir par Radissel, mais j'ai pu retourner la situation. Ensuite, j'ai réussi à le contrer en gym lors d'un cours de boxe et enfin, je lui ai mis une solide raclée devant tout le monde un jour qu'il avait organisé un guet-apens contre moi. Depuis, il cherche toutes les occasions pour s'opposer à moi sans prendre de risques car il me craint. Tu as été l'une de ces occasions.
— Je crois que j'ai compris, et les autres, Clément, Romuald, Morgane ne sont évidemment que ses satellites. Mais les jumelles là-dedans ?
— C'est par dépit qu'elles se sont mises avec le Thénardier, oui, c'est son surnom au Tony Thénard. Océane ne m'a pas pardonné et elle a entraîné sa sœur dans le camp opposé.
— Ah OK.
Charles-Henri resta songeur un moment puis il reprit :
— Valentin, j'ai honte de ce que je t'ai fait contre toi. J'ai vraiment été le roi des cons. Je te remercie de n'avoir pas profité de l'avantage que tu as su te créer. Mon père était furieux contre moi, je ne l'avais jamais vu comme ça. Si tes grands-parents avaient maintenu leur plainte, je serais en pension loin d'ici à l'heure actuelle. Surtout que tu avais la gendarmerie avec toi.
— Ne crois pas cela, elle n'est ni avec moi ni contre toi. Elle est du côté de la justice, j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'en rendre compte.
— On en est où maintenant, toi et moi ?
— Disons que la balance a retrouvé son équilibre. Nos prochaines relations la feront pencher d'un côté ou de l'autre. Personnellement, je préfère le côté blanc au côté noir. Nous verrons bien. Allez, salut Charles-Henri. Attends, Charles-Henri ça ne me plaît pas, ça fait trop aristo. Je t'appellerai Charly si tu veux bien. Charly, ta soirée d'hier était une réussite !