VALENTIN AMOUREUX

6. PROJET

Monsieur Dissel entra le dernier dans la salle de classe. L'air songeur, il alla s'installer derrière le bureau professoral, ouvrit son cartable démodé et en sortit une abondante documentation qu'il ventila en plusieurs piles. Le silence du professeur d'anglais se prolongeant, un à un les élèves les plus bavards se turent. Quand le silence fut total, le professeur commença.
— Bonjour à tous. Vous avez reçu récemment une feuille d'inscription pour votre voyage scolaire à Londres...
— M'sieur, vous nous parlez en français maintenant ? lança Romuald.
— Bravo pour votre sens de l'observation monsieur Michaud. Je vous parle en français parce que je tiens à ce que tout le monde comprenne ce que j'ai à vous dire. Je ne suis d'ailleurs pas certain du résultat. Je vous prie donc de ne plus m'interrompre pour balancer d'aussi sottes évidences. Donc, premier sondage, y en a-t-il qui ne pourront pas participer ?
Margot, Eva, Lucie, Bouboule ainsi qu'Anaïs, Ludovic et Lucas levèrent la main.
— Oulà, c'est beaucoup. Puis-je en connaître la ou les raisons ? Je rappelle que le prix demandé, trois cent cinquante euros comprend le voyage aller-retour en TGV et Eurostar, l'hébergement en pension de famille, les repas et les visites.
Un silence de plusieurs secondes pesa sur la classe puis Lucas se décida.
— Mes parents trouvent que trois cent cinquante euros c'est beaucoup trop cher. Nous vivons à six dans un appartement et mon père est le seul à travailler.
— Je comprends bien Lucas. Je vous indique que la coopérative du collège va participer à hauteur de cinquante euros par élève, ce qui ramène votre participation à trois cents euros.
— Même comme ça, c'est beaucoup trop cher pour Eva et moi dit Lucie.
— C'est vrai que trois cents euros c'est une grosse somme dans le budget des parents, appuya Bouboule.
Margot, Lucas et Anaïs opinèrent. Charles-Henri à son tour leva la main.
— Vous aussi ? s'étonna le professeur.
— Non monsieur, je veux simplement vous informer que l'entreprise de mon père a décidé de sponsoriser le voyage en Angleterre à hauteur de trois mille euros. Il va contacter le collège.
Des applaudissements accueillirent la déclaration de Charly, comme avait décidé de l'appeler Valentin.
— Trois mille euros, c'est une belle somme. Nous n'oublierons pas de remercier chaleureusement votre père. Vous êtes vingt six, donc ce généreux don ramène la participation de chacun à voyons... trois mille divisés par vingt six, cela fait...
— Cent quinze ! lança Valentin.
— Merci Valentin, mais j'avais trouvé. Donc trois cents moins cent quinze, votre participation est ramenée à cent quatre vingt cinq euros. C'est plus raisonnable pour vous ?
Valentin cette fois leva la main.
— Votre famille veut également faire un don, Valentin ?
— Sans être pauvre, ma famille n'est pas riche, non, je veux seulement soumettre une idée.
— Nous vous écoutons.
— Trois cent cinquante euros, pour certaines familles, ce n'est pas un gros effort pour permettre à leur enfant d'effectuer un tel voyage culturel mais cent quatre vingt cinq euros pour d'autres, cela signifie encore un gros sacrifice. Je propose donc que grâce aux parents de Charles-Henri et à l'effort de la coopérative, le voyage soit entièrement ou partiellement offert à ceux qui ne peuvent pas le payer.
Une salve d'applaudissements salua la déclaration de Valentin.
— Voilà une généreuse proposition, mais sur quels critères allons nous définir l'aide à apporter ? Qui a une idée ?
Valentin leva à nouveau la main.
— Je propose dans un premier temps que nous examinions la faisabilité de ma proposition.
— C'est cela, oui, approuva monsieur Dissel.
— Donc que chacun d'entre nous dise le plus honnêtement possible la somme que selon eux leurs parents sont disposés à mettre. Le total augmenté de l'apport de la coopérative et du généreux don des parents de Charly dira si le voyage peut être totalement financé. J'ajoute que si un seul des élèves de cette classe ne peut pas venir pour une question d'argent, moi non plus, je n'irai pas à Londres.
Une vague d'enthousiasme souleva la classe, certains applaudirent encore, Bouboule, d'habitude si respectueux de la discipline se leva et vint taper la main de Valentin, imité par Gilles, Quentin et Charly.
— Nous pouvons faire le calcul tout de suite si vous le permettez monsieur Dissel. Je propose donc que chacun prenne un quart de feuille de papier et inscrive en plus de son nom la somme dont il pense pouvoir disposer, arrondie aux cinquante euros inférieurs. Je veux insister sur le fait qu'il n'y a pas de honte à être pauvre. Je propose ensuite que seul monsieur Dissel connaisse les noms correspondant aux sommes indiquées. Je n'ai besoin que des montants en euros pour faire le calcul final. Si la somme s'avère suffisante, personne ne saura combien les autres ont proposé. Qui n'est pas d'accord ? Personne ? Alors faisons le.
Si vous le permettez monsieur, je vais tenir le décompte au tableau.
Rapidement, sur un quart de feuille de copie, Valentin écrivit son nom et la somme que ses grands-parents étaient disposés à mettre puis alla vers le bureau, déposa son papier et se dirigea vers le tableau blanc de la classe. Il établit rapidement une grille au feutre noir sur la surface blanche et commença à noter les propositions déjà connues pendant que, un à un, les élèves se dirigeaient vers le bureau pour y déposer la proposition qu’ils pensaient que leurs parents pourraient supporter.
Valentin, un feutre rouge à la main, attendit calmement que monsieur Dissel fasse le dépouillement. Ce dernier déplia les papiers et les disposa en piles selon les sommes marquées.
Le professeur ayant fini de classer et de compter les papiers, Valentin put alors compléter son tableau, faisant de tête les multiplications puis additionnant les sommes trouvées pour obtenir le total disponible.

Quand Valentin eut fini son calcul, il déclara :
— Le total général disponible est de neuf mille trois cents euros. Puis il ajouta : e prix global du voyage pour tous les élèves de la classe est de trois cent cinquante euros multiplié par vingt six soit... neuf mille cent euros si je compte bien, donc... le voyage peut se faire !
Les cris de joie qui suivirent cette dernière déclaration résonnèrent dans tout le collège, Bouboule sautait d’allégresse, Florian et Charly se serraient la main, Lucie embrassait Eva, Margot pleurait, Tony et Clément se frappaient sur l'épaule, Olivier, Gilles, Quentin et Lucas soulevèrent Valentin et le portèrent en triomphe, les autres applaudissaient. Quand il fut reposé à terre, Océane qui s'était approchée lui murmura à l'oreille « Valentin, tu es formidable. »
Monsieur Dissel attendit qu'un semblant de calme revienne avant de continuer la présentation du voyage. Un large sourire montrait son approbation.
— Bien, voici un papier listant ce qu'il est nécessaire d'emporter : carte d'identité, autorisation de sortie du territoire, argent de poche. Vous trouverez aussi le numéro de téléphone de la pension dans laquelle nous logerons ainsi que les numéros personnels de vos accompagnateurs qui seront outre moi-même, monsieur Doucet et un surveillant étudiant l'anglais qui s'est porté volontaire. Ces numéros sont confidentiels, à n'utiliser qu'en cas d'urgence par vos parents. Vous avez aussi les horaires du voyage et le détail des visites prévues.
— M'sieur, on aura du quartier libre ?
— Oui Tony, quelques plages horaires sont prévues pour vous permettre de faire vos achats mais dans des secteurs très délimités. N'oubliez pas que la population de l'agglomération londonienne est d'environ dix millions d'habitants. Nous aurons la chance de loger près du centre ville. Je reviens sur l'horaire : le TGV part à cinq heures trente de la gare en ville. Pour la rejoindre, en prévoyant large, un car démarrera du collège à cinq heures du matin. Soyez à l'heure, nous n'attendrons pas. Nous devrions arriver en Eurostar à la gare Saint Pancras de Londres un peu avant midi. Ah oui, seulement un bagage par personne, valise à roulettes ou sac à dos.
— Combien doit-on prendre en argent de poche ? demanda Quentin.
— Cela dépend de vos parents mais je pense que trente livres constituent un grand maximum. Vous pouvez faire le change de vos euros ici ou à Londres. Plus de questions ? Donc départ dans trois jours. Et merci encore au père de Charles-Henri pour sa générosité ainsi qu'à Valentin pour ses idées. Vous pouvez sortir.