Devant le car qui allait conduire les élèves de quatrième C du collège de Saint Thomas du Lac vers la gare SNCF de la ville, les yeux des adolescents étaient lourds de sommeil mais un semblant d’excitation commençait à gagner les esprits. Pour beaucoup, c'était le premier grand voyage sans les parents et avec les copains.
Tony, Clément et Romuald furent les premiers à enfourner leurs bagages dans les soutes. Dès l'ouverture de la porte d'entrée en accordéon, ils se précipitèrent vers les places du fond tandis que les autres s'installaient par affinité sur les doubles sièges, laissant les places avant aux accompagnateurs. Quand, à cinq heures précises, le car commença à rouler, après les derniers signes de la main aux parents, un brouhaha de joyeuse ambiance gagna les vingt six élèves car tous étaient présents.
À quatre rangs du fond, assis près de Marion, Valentin, les yeux fermés, souriait aux anges, le frais visage d'Emily occupant tout son cœur et toute sa raison. Les couples de la fête d'anniversaire de Charly s'étaient reconstitués, Gilles et Lucie, Bouboule avec Eva, Margot à coté d'Olivier, Charly près d'Océane, Florian avec Marine. Mathilde et Pauline s'étaient mises ensemble et Quentin discutait avec Adrien.
C'est pendant la traversée du village de Ville Semnoz, que des rires étouffés émergèrent du fond du car, bientôt relayés par de francs éclats de rire. Une voiture derrière le car klaxonna. Le chauffeur dans son micro ordonna impérativement : « Assis au fond ! Ceintures de sécurité bouclées ! » Tous ceux qui ne l'avaient pas encore fait se retournèrent et virent Tony, debout sur son siège, tourné vers l'avant, en position de skieur en recherche de vitesse. « Assis Tony ! enchaîna Radissel, ce n'est ni le lieu ni le moment pour faire une démonstration de ski ! » Les rires venant du fond redoublèrent. Sorti de son rêve bleu, Valentin demanda à Marion sa voisine :
— Qu'est-ce qui se passe ?
— C'est Tony, répondit-elle en masquant des deux mains son visage hilare.
— Qu'est-ce qu'il a fait ?
— Il a montré son cul aux voitures qui suivent le car... pouffa-t-elle.
— Comment ça ?
— En baissant sa culotte et son slip, tiens donc, commenta-t-elle en s'étranglant de rire.
Valentin secoua doucement la tête comme pour signifier « quel idiot ! » mais son sourire démentait son geste. « Sacré Tony, il ne sait pas quoi faire pour se rendre intéressant et être la vedette. Je sens que nous n'allons pas nous ennuyer ! » pensa-t-il.
Dans le TGV les conduisant vers Paris gare de Lyon, les adolescents se tinrent calmes, impressionnés par le décor puis la vitesse du train. Tony et sa bande essayèrent bien de lancer quelques chansons osées mais par méconnaissance ou non adhésion, personne ne les reprit. Moins de quatre heures après leur départ, ils étaient dans le RER de transfert vers la gare du Nord. À dix heures, ils montaient dans l'Eurostar.
Une demi-heure avant l'arrivée prévue à la gare Saint Pancras de Londres, Radissel demanda l'attention de la classe :
— Écoutez tous. Avec le supplément d'argent récolté pour le voyage, encore merci à la société du papa de Charles-Henri, je vous ai fait fabriquer à chacun un badge comme celui-ci. Il s'agit d'une pochette en plastique transparent tenue par un cordon à mettre autour du cou. Dans la pochette il y a un bristol indiquant vos nom et prénom, le numéro de téléphone à appeler en cas de problème, l'adresse et le numéro de téléphone de la pension ou nous allons loger.
Nous allons bientôt arriver, monsieur Doucet qui fut champion de course d'orientation dans sa jeunesse, nous conduira à pied jusqu'à la pension laquelle n'est pas très éloignée de la gare. Vous avez votre plan monsieur Doucet ?
— C'est bon monsieur Dissel, je suis au point.
— Donc je vous demande de rester groupés, ne nous perdez pas de vue. Si par un hasard incroyable vous vous trouviez séparé du groupe, seule solution, prendre un taxi en indiquant l'adresse de la pension, verbalement et visuellement avec votre badge. Bien entendu, le prix du taxi sera à votre charge. Des questions ?
— Oui m'sieur, quand est-ce qu'on mange ? demanda Morgane.
— Un packed lunch vous sera remis à votre arrivée à la pension, nous irons manger dans un square tout proche.
— C'est quoi un packed lunch, m'sieur ?
— Un panier repas, Olivier.
— Qu'est-ce qu'il y aura dedans ? reprit Morgane.
— En général on trouve un sandwich triangulaire en pain de mie, un paquet de chips, un fruit, souvent une pomme, et une boisson. Je voulais vous dire également qu'en tant que jeune français voyageant à l'étranger, vous êtes un peu les ambassadeurs de votre pays. Une action répréhensible de votre part laisserait à penser que tous les jeunes français font ainsi. Nous comptons sur vous pour être irréprochables. Autre question ?
Marine leva la main et posa immédiatement sa question.
— Quel temps fera-t-il pendant notre séjour ? J'ai oublié de prendre un parapluie.
— Tu viendras sous le mien, lui murmura Florian.
— J'ai regardé la météo hier soir et nous allons avoir de la chance : aujourd'hui, temps doux et gris, demain un peu de bruine, après-demain, temps doux et ensoleillé sur tout le sud de l'Angleterre. Tu as raison de sourire Valentin, en cette saison, il n'y a pas si souvent un temps aussi clément.
— Oui m'sieur ? fit Clément.
— Rien ! Continue à dormir Clément. À propos, vous serez dans des chambres de trois ou quatre. Pour les filles, trois chambres de quatre et une fille avec mademoiselle Dunant. Qui est volontaire ?
— Moi m'sieur fit Tony, faisant éclater tout le monde de rire.
— Je veux bien dit Mathilde.
— Entendu, merci Mathilde, je laisse les autres s'assembler par affinité. En ce qui concerne les garçons, trois chambres de trois et une de quatre, je vous laisse vous répartir.
Quand les collégiens furent descendus de l'Eurostar, l'immense verrière puis le style néogothique de l'édifice leurs firent ouvrir de grands yeux.
— Ne perdons pas de temps, dit monsieur Dissel, allez-y cher collègue.
Monsieur Doucet se mit à la tête de la double colonne de collégiens et dit d'une voix forte avec un geste théâtral du bras « À l'assaut ! » Valentin, écouteurs aux oreilles, son ami Gilles à côté de lui, emboîta le pas du professeur. Plan à la main, le prof de gym se débrouillait vraiment bien mais, après dix minutes de marche sur des trottoirs à l'intense circulation piétonnière, il s'arrêta, chercha le nom de la rue, sortit une paire de lunettes de la poche pectorale de son blazer et scruta son plan.
— À gauche monsieur, souffla Valentin.
La professeur se retourna, regarda à nouveau le plan, fit un petit signe d'acquiescement de la tête et se dirigea vers la gauche. À l'intersection suivante, Valentin dit à nouveau :
— Encore à gauche puis deuxième à droite.
Après un dernier regard à son plan, le professeur le remisa et suivit à la lettre les indications de Valentin. Deux cents mètres plus loin, ils arrivaient devant leur pension. Monsieur Doucet dit à son élève :
— Tu connais vraiment bien ce quartier de Londres, bravo.
Valentin, qui avait ôté ses écouteurs, sourit d'un air complice mais ne répondit rien.
Monsieur Dissel accompagné de la surveillante laquelle se prénommait Camille entra dans le petit hall de la pension, laissant les élèves sur le trottoir à la garde du prof de gym. Au bout de cinq minutes, ils ressortirent. Le professeur d'anglais, un papier à la main, réclama l'attention puis annonça :
— Je vais vous indiquer vos chambres. Vous aurez une demi-heure pour vous installer puis vous redescendrez dans le salon à droite de l'accueil pour la distribution des packed lunches. Comme il ne pleut pas, contrairement à la légende, nous irons manger dans un petit parc tout près d'ici. Commençons, chambre 207, c'est au deuxième étage par l'escalier face au bureau d'accueil, quatre filles.
Charlotte, Morgane, Océane et Marine se précipitèrent.
— Eh oh ! Votre carte magnétique ! C'est indispensable pour ouvrir votre porte. Qui s'en charge ? Charlotte, très bien. Quatre autres filles pour la chambre 209.
Plus calmement Pauline, Margot, Amandine et Louise prirent leurs bagages et entrèrent dans la pension, Pauline acceptant la responsabilité de la carte.
— Et enfin chambre 211 pour les quatre dernières donc Lucie, Eva, Anaïs et Marion. Lucie responsable. Mathilde comme prévu est avec Camille dans la 203. Vous pouvez y aller Camille, ajouta le professeur avec un sourire. À nous maintenant les garçons, vous logez au premier étage dans des chambres de trois donc chambre 101, qui la prend ?
— Nous monsieur, se précipita Valentin de façon fort inhabituelle. Gilles, Pascal et moi.
— Entendu, Tiens Valentin, prends la clé magnétique.
— Je préfère que ce soit Gilles ou Pascal qui s'en charge.
— Bon, à toi Gilles. Chambre 103 ?
— On la prend, dit Florian. Avec Olivier et Quentin. Je me charge de la clé.
— Très bien. Ensuite, la 105 pour ?
— Charles-Henri leva la main, accepta le sésame et entraîna Benjamin et Lucas.
— La chambre de quatre personnes, c'est la 111. Tony, Clément, Adrien et Romuald, elle est pour vous. Qui sera responsable ? Toi Adrien ? C'est d'accord.
— Et vous m'sieur ? osa demander Adrien, vous logez où ?
— Au bout de votre couloir, petit curieux.
Quand ils furent dans leur chambre 101, Gilles intrigué demanda à son ami :
— Pourquoi t'es-tu précipité pour avoir cette chambre-ci ? Ce n'est pas ton habitude de chercher à passer avant les autres, ni de refuser les responsabilités.
— Pour au moins deux raisons. D'abord pour être le plus loin possible de Tony et de sa clique. Ils ne vont pas manquer de faire du chahut et moi, j'aime bien dormir la nuit.
— Leur chambre aurait pu être à côté de la nôtre, objecta Bouboule.
— Dans un hôtel ou une pension, les étages sont identiques. Les filles sont par quatre et leur premier numéro de chambre est le 207, il est probable qu'à cet étage ci, ce soit la même configuration. D'autre part Mathilde et la surveillante sont dans la 201, donc une petite chambre, j'en ai déduit que les grandes chambres commençaient au numéro 7 de chaque étage.
— Et la deuxième raison ? continua Gilles.
— Les petits numéros sont plus près de l'escalier.
— C'est utile ça ?
— Peut-être pas en fait.
— Dis-moi, Val, tu as dépanné Filedoux quand il hésitait sur le chemin à prendre, tu connais ce quartier de Londres ?
— Je n'ai jamais mis les pieds en Angleterre.
— Ben comment tu as fait ?
— Une application sur mon iPhone qui s'appelle « Here we go. » J'avais programmé la destination dans l'Eurostar et j'ai lancé le programme en partant de la gare. J'étais guidé par mes écouteurs.
— Donc tu passes pour un génie alors que tu ne fais que reproduire les indications de ton smartphone ! Bien joué mec !
— Tu vois que le génie tient à peu de choses. Allez, il faut descendre.
— C'est pas un peu tôt ? demanda Bouboule.
— Il vaut toujours mieux être en avance qu'en retard, tous les grands stratèges te le diront, en sport, à la guerre, à la gare, au ciné, en classe...
— Stop, stop, on te croit. Descendons, coupa Gilles en souriant.