C'est un petit sixième qui, depuis la cour de récréation, remarqua l'anomalie. D'une voix aiguë il cria « regardez là-haut à la fenêtre » en pointant le doigt. Ses voisins se mirent à rire, rire qui de proche en proche gagna l'ensemble de la cour du collège.
Pendu par le cou à une fenêtre du second étage, lunettes à grosse monture sur les orbites, caleçon coloré pour la décence, souriant de toutes ses dents, Nestor, le squelette des cours de SVT, indiquait de la main le panneau de carton sur lequel les meilleurs yeux pouvaient lire : « Jocris est un con ».
Averti par un surveillant, monsieur Tardy sortit de son bureau pour constater les faits. Si la situation l'amusa, il n'en laissa rien paraître et, avec le surveillant, passa en salle des professeurs avertir monsieur Jobard puis le trio monta les étages vers la salle réservée aux cours de Sciences de la Vie et de la Terre.
— Attendez-là, dit-il aux élèves de troisième qui se présentaient pour le cours suivant. Monsieur Jobard, quelle était votre classe précédente ?
— Les cinquièmes C, monsieur le Principal.
S'adressant au surveillant, monsieur Tardy, visage fermé, ordonna :
— Allez au secrétariat consulter l'emploi du temps général, cherchez où se trouve la cinquième C. Ramenez-la ici en expliquant à leur professeur que c'est moi qui en donne l'ordre. Ensuite, vous conduirez ceux-ci de troisième en salle de permanence, faites vite !
— Entrez, placez-vous exactement à la table où vous étiez avant la récréation. Quelqu'un pour dépendre ce squelette ! aboya-t-il.
— Moi je veux bien ! se proposa Tony Thénard, un sourire hilare illuminant son visage.
— Il n'y a pas de quoi rire !
L'autorité réelle du principal n’empêcha pas les sourires contenus des élèves.
— Doucement, ce matériel est fragile et vaut très cher. Enlevez-lui cette corde et ces ridicules lunettes. Comment tiennent-elles ? Du scotch, c'est malin ! Ôtez cette pancarte débile et donnez-la moi. Cet oripeau également. Suspendez-le à sa potence pour faire ça, voyons !
Tony, un sourire de triomphe flottant toujours sur ses lèvres fit maladroitement glisser le caleçon qui s'accrochait. Quelques filles pouffèrent.
Un regard furieux du principal ramena le calme.
— Ce qui vient d'être fait est très grave. Grave envers monsieur Jobard qui est en droit de se sentir offensé et insulté par cet acte inadmissible et grave aussi envers ce... cet... cette chose, ce squelette qui fut un homme...
— C'est un squelette de femme monsieur le principal, murmura le professeur de sciences.
Monsieur Tardy jeta un regard glacial à son collaborateur et poursuivit :
— ...un être humain qui à fait don de son corps pour l'instruction des jeunes. Imaginez que dans cent ans, c'est peut-être vous qui serez-là, si toutefois vous avez autant de générosité qu'en a eu cette personne ! Aimeriez-vous qu'on vous traite de la sorte ? Il nous faut maintenant tirer cette affaire au clair. J'attends donc que l'auteur de cette mauvaise plaisanterie se dénonce.
Un silence gêné s'installa, les élèves se jetaient des regards interrogateurs et dubitatifs. Aucun n'osait bouger de peur d'attirer l'attention.
— Alors ? Un peu de courage. Il faut avoir celui d'assumer ses actes. Personne ne veut se dénoncer ? Dans ce cas je considère que toute la classe est coupable et la punition sera collective. Consigne générale samedi matin !
« Oh non, non, non ce n'est pas possible, non ce n'est pas vrai, non pas samedi... » La classe murmurait.
— Si l'auteur ne veut pas se dénoncer, alors que ceux qui savent le dénoncent ! Non, toujours personne ? Alors la punition est effective. Monsieur Jobard, je vous laisse car j'ai une réunion dans un quart d'heure.
Valentin leva la main.
— Ah, ça y est, le coupable se manifeste ?
— Monsieur le principal, je trouve vraiment injuste de punir vint-cinq innocents pour un coupable qui ne se dénonce pas. Il n'est pas juste de décider d'une sanction sans enquête pour établir la vérité.
— Comment vous appelez-vous ? Ah oui, je me souviens, Valentin Valmont, c'est ça ?
— C'est cela, oui monsieur le Principal.
— Et bien, jeune Valmont, est-ce juste d'insulter un professeur qui fait son travail ? Est-ce juste de manquer de respect aux morts ? Est-ce juste de ne pas assumer ses actes ? Non, trois fois non. La classe est punie samedi prochain. Je ne lèverai la punition que quand j'aurai le nom de l'auteur.
— Je ne suis pas sûr que répondre à une injustice par une autre injustice soit la meilleure solution.
— Vous n’êtes pas sûr ? Vous me semblez bien raisonneur pour un garçon de votre âge. Auriez-vous quelqu'un à défendre, monsieur Valmont ? Le choix est simple : j'obtiens le nom de l'auteur ou c'est la punition générale !
— Dans ce cas, monsieur le Principal, veuillez considérer que c'est moi le coupable.
Un brouhaha envahit la salle de classe. « Non, Val. Non, pas toi. T'es fou de t'accuser. Ça ne peut pas être toi. Ce n'est pas toi, on était avec toi ». Valentin ne broncha pas, attendant la réaction de monsieur Tardy. Celui-ci finit par énoncer :
— Dans ce cas monsieur Valmont, vous allez présenter vos excuses à votre professeur et vous viendrez samedi matin faire un devoir sur le respect dû aux morts.
— Au nom de la classe, je prie monsieur Jobard de nous excuser.
Le professeur accepta silencieusement d'un hochement de tête. Le principal intrigué regarda une dernière fois Valentin dans les yeux, attendant une autre réaction qui ne vint pas. Sans y mettre de défi, ce dernier ne baissa pas le regard.
Le principal parti, un silence gêné attendit la réaction du professeur de sciences.
— Qu'est-ce qui vous a pris Valmont ? Défier ainsi le principal, vous perdez la raison !
— Je n'ai défié personne monsieur. J'ai exprimé mon avis. Je trouve que la bonne démarche aurait été de faire une véritable enquête pour trouver l'auteur de ce qui n'est finalement qu'un mauvais canular.
— Comment auriez-vous fait vous, jeune homme si malin, pour enquêter ?
— Vous permettez monsieur que j'écrive au tableau ?
— Allez-y !
Valentin saisit un feutre d'écriture et inscrivit sur le tableau blanc :
Éléments matériels :
horaire
corde
caleçon
lunettes
scotch
ficelle du panneau
panneau de carton
encre du marqueur
Puis raisonnant à voix haute, il reprit chaque élément :
L'heure : Nestor, heu je veux dire le squelette a été pendu à dix heures donc c'est effectivement quelqu'un de notre classe qui a agit. Nous quittons la salle à dix heures moins cinq, l’auteur a laissé partir tout le monde et a donc disposé de cinq minutes pour sa mise en scène.
La corde est une corde à sauter provenant de la gym, n'importe qui aurait pu se la procurer, donc pas probant.
Le caleçon, sous-vêtement masculin met hors de cause la moitié de la classe.
Des rires étouffés de filles ponctuèrent cette affirmation. Imperturbable, Valentin continua.
Il y a deux marques de caleçons fort prisées des jeunes actuellement à savoir Freegun et Pullin. Là c'est un Pullin. Cela pourra servir de preuve supplémentaire.
Les lunettes, vieilles et cassées, semblent dire que lui ou un de ses proches en porte.
Le scotch transparent : pas probant, tout le monde en possède. Cela met cependant hors de cause ceux qui en ont du semi-transparent.
La ficelle du panneau est une ficelle agricole, on en trouve quelquefois le long des prairies autour du village, rien de probant non plus.
Le panneau en carton est très intéressant, il s'agit d'une moitié de carton à pizza. Il y a d'un côté l'inscription débile que tout le monde à vue et de l'autre un dessin de pizza avec le nom et le téléphone du pizzaiolo. En regardant mieux, il est possible de voir, écrit au crayon à bille : lundi 19h reine.
Prenons l'inscription maintenant. L'orthographe du texte prouve que l'auteur n'a pas compris le sobriquet, mais passons. Les lettres sont tracées à l'aide d'un marqueur à encre bleue très foncée. J’ai mouillé mon index et j’ai frotté quelques lettres sans rien pouvoir effacer. Il s’agit à l’évidence d’une encre indélébile qui résiste au lavage. Remarquez que la première lettre est en partie déformée.
En résumé l'auteur de cette mauvaise plaisanterie est un garçon qui porte un caleçon Pullin, qui à mangé de la pizza reine hier soir lundi, qui possède un marqueur à encre bleu foncé. Avec tous ces éléments, il est facile de savoir qui est le coupable.
— Alors c'est qui selon vous ? demanda monsieur Jobard intrigué et fortement impressionné par le raisonnement de Valentin.
— Je ne vais pas vous le dire monsieur, vous allez trouver tout seul en regardant la classe et vous en aurez la preuve en passant un simple coup de téléphone. J'ai expliqué que l'encre du marqueur était une encre indélébile, de celle qui reste longtemps sur la peau. La première lettre du surnom est en partie brouillée car l'auteur a dû toucher le carton avant que l'encre ne soit sèche. Il a donc encore une tache bleue sur les doigts !
Valentin, paumes en avant exposa ses mains à la vue de tous ; instinctivement quelques garçons regardèrent leurs doigts. Il continua :
— Si c'était moi qui était visé par cet acte - amusant une minute mais au fond blessant et irrespectueux -, en plus de ce que vous venez d'observer à l'instant, je me demanderais qui peut m'en vouloir à ce point et pourquoi. Enfin, pour confirmation, je passerais un coup de téléphone à la pizzeria pour savoir à qui ils ont livré une pizza reine à 19 heures hier soir. Vous obtiendrez probablement plusieurs noms mais le bon sera dedans. Si vous ne trouvez pas, j'accepte ma punition de samedi. Puis-je retourner à ma place ?
Valentin retourna s'asseoir, sortit le livre de sciences de son sac et plongeant dans la lecture, se désintéressa de la suite des événements.
— Monsieur Valmont, vous ne voulez pas savoir qui est le fautif ?
— Non monsieur, je me suis contenté de montrer comment monsieur le Principal et vous auriez dû faire plutôt que de décréter une injuste punition générale. Le coupable sait maintenant qu'il est piégé. J'espère que vous trouverez le moyen de le voir en particulier et de régler cette histoire entre vous. Personnellement je suis en paix avec ma conscience, je ne dénonce pas et je n'aime pas voir quelqu'un humilié devant tout le monde.
— Val, tu nous as tous assis ! admira Gilles, porte parole de ses copains. Comment tu fais pour trouver tout ça ? Tenir tête au principal et à Jocrisse, on peut dire que tu n'as pas peur !
— Il n'y a pas à avoir peur quand on est respectueux et dans son bon droit.
— Tu sais qui est le coupable ?
— Bien sûr, j'étais encore au tableau quand je l'ai su.
— Ben dis-nous ! insista Florian.
— Quand j'ai expliqué que les doigts du plaisantin devaient être tâchés, presque tout le monde à regardé ses mains, quelques uns n'ont pas bougé et... Clément a discrètement mis les siennes dans ses poches. Il savait sans les regarder qu'elles étaient marquées.
— C'est Clébar qui a fait ça ?
— Oui et il n'était probablement pas seul. Je vous laisse deviner qui est son complice ! Je pense que Jocrisse va trouver un moyen pour l'amener à avouer. Nous avons demain le cours de SVT de quinzaine, c'est à ce moment là qu'il lui fera savoir et lui donnera sa colle.
— Tu crois qu'il le fera devant tout le monde ?
— Au vu de tout le monde oui, mais sans que personne le sache.
— Je ne comprends pas, avoua Bouboule.
— Demain, il nous rend notre devoir sur le squelette et la charpente du corps. Je pense qu'il aura assez d'humour pour mettre un papier dans la copie de Clébar. Peut-être même en mettra-t-il un dans la mienne pour confirmer mes déductions.
— Et sinon ? s'inquiéta Gilles.
— Sinon, je ferai ma colle.
— Dans ce cas, on ira tous avec toi ! affirma fortement Gilles.
— Vous êtes des frères, sourit Valentin.