VALENTIN AU COLLEGE

25. LA RIVIÈRE

Les cinq garçons étaient rassemblés dans un coin du préau pour échapper à la petite pluie froide qui tombait depuis le début de la matinée.
— Avez-vous lu l'annonce au panneau de la mairie ? demanda Gilles.
— Non, personnellement je ne lis jamais ce panneau, s'excusa Olivier.
— Dis-nous, demanda Bouboule.
Valentin resta silencieux, un petit sourire ironique aux lèvres, sachant fort bien que la suite allait venir de toute façon.
— Le maire demande des volontaires pour nettoyer la rivière ce week-end. La mairie fournit des gants, des pinces et des sacs poubelles, il faut former des équipes de quatre ou cinq, ça vous dit ?
— S'il fait ce temps là, qu'on ne compte pas sur moi ! affirma fortement Florian.
— Pourquoi pas, décida Valentin après un coup d'œil à l'application météo de son smartphone, il va faire beau, nous serons ensemble et nous ferons œuvre utile. Je suis pour. Et vous autres ?
Tous même Florian hochèrent affirmativement la tête.
— Il faudra marcher dans l'eau ? s'inquiéta Bouboule, parce que moi, je n'ai pas de bottes et l'eau est glacée en cette saison.
— Moi non plus je n'ai pas de bottes, appuya Olivier.
— Pas grave, expliqua Gilles, on va faire deux groupes, Valentin, Florian et moi pour draguer le torrent, Bouboule et Olivier pour ratisser les berges.
— Si le niveau monte à cause de cette pluie, on ne pourra rien faire, objecta Florian.
— Je ne pense pas que ces quelques gouttes suffisent à faire monter le niveau, rétorqua Gilles qui tenait à son projet.
— Que ferons-nous des détritus, je suppose que l'évacuation est prévue ? questionna Valentin.
— Oui, il y aura des points de collecte.
— Il faut s'inscrire ? demanda Olivier.
— Oui. Comme tout le monde est d'accord, je me charge de l'inscription , décida Gilles. Je vous téléphonerai pour vous donner le point de rendez-vous. À samedi les gars.

Il était dix heures du matin ce samedi là quand les amis se retrouvèrent près du pont de la départementale sous un soleil radieux.
— On a de la chance, il fait beau et doux, se réjouit Bouboule.
— Oui, on peut dire ça, répondit Gilles. Alors, le secteur que j'ai choisi va d'ici à la passerelle des peupliers, soit à peu près quatre cents mètres de rivière. À la mairie ils m'ont dit de bien faire attention aux gouilles qui peuvent être dangereuses.
— Faire attention à quoi ? s'enquit Valentin.
— Aux gouilles, aux endroits profonds si tu préfères. C'est un mot savoyard, expliqua Gilles. Ils m'ont dit également de ne pas soulever les pierres pour éviter de déranger les chabots.
— C'est quoi ça ? questionna Olivier.
— Ça je le sais, le chabot est un petit poisson qui vit sous les pierres dans les torrents, expliqua Valentin.
— Bon, chacun prend ses gants, son sac poubelle et sa pince à détritus, reprit Gilles. Bouboule, tu fais la rive droite, Olivier la rive gauche.
— De ce côté pour moi ? demanda Olivier.
— Ben non, comme on va remonter la rivière, la rive gauche est à ta droite. Tu sais bien que les berges sont reconnues droite et gauche en descendant le fil de l'eau. Florian, Valentin et moi, on avance de front dans la flotte. Si on découvre un objet un peu gros, on s'y met tous et si c'est vraiment trop lourd ou volumineux, on appelle le service technique de la mairie. C'est bon pour tout le monde ? Allez, on y va.

— Une canette pour commencer, cria Bouboule.
— Pareil plus un sac en plastique, enchaîna Olivier.
— On n'a pas fini avec ça ! C'est vraiment dégueulasse de polluer la rivière alors qu'il y a des poubelles partout, appuya Gilles.
— Un tesson de bouteille pour moi, indiqua Florian.
— Aïe ! Oui, il faut faire gaffe où on met nos pieds, continua Gilles, ça peut percer nos bottes.
— Et blesser ceux qui s’amusent pieds nus l'été dans le torrent !
— Regardez, un vieux bouquin tout détrempé, dit Valentin. Attendez, je peux encore lire le titre : « Délit d'injustice », c'est un roman policier. Je n'arrive pas à lire le nom de l'auteur.
— Hé les gars, une balle de tennis, ça ne vous rappelle rien ? jubila Bouboule. Au fait, comment il va le mec ?
— Il boite encore un peu, mais ce n'est pas moi qui vais le plaindre ! répondit Florian.
— Attention les gars, une gouille, on ne voit pas bien le fond, prévint Gilles qui prenait très à cœur son rôle de chef d'équipe responsable.
— Regardez là, un objet allongé marron.
— Où ? demanda Valentin qui tenait le milieu de la rivière.
— Là, regarde. Là où la gouille se prolonge sous la berge, tu vois ?
— Qu'est-ce que c'est ? demanda Florian.
— C'est marron et gris mais ça ne flotte pas donc ce n'est pas du bois, déduisit Valentin.
— On ne peut pas l'attraper, c'est trop profond pour nos bottes, elles vont se remplir d'eau, se désola Gilles, nettoyeur en chef.
— Il y a une solution, reprit Valentin, attendez. Tiens, Gilles, récupère ma pince. Valentin remonta sur la berge, enleva ses bottes et ses chaussettes, ôta son bas de survêtement et retourna dans l'eau.
— Brrr ! Elle est vraiment fraîche. Passe-moi les deux pinces Gilles. Je les passe sous ce truc et je soulève. Voilà, ça vient, pince le bout, Flo, et tire doucement.
— Alors c'est quoi ? insista Bouboule depuis la berge.
— Ça vient… Oh, on dirait un fusil ! s'étonna Florian. Mais putain, qu'est-ce qui se passe ? Ça ne vient plus !
— Stop ! Reste comme ça Flo, ne tire plus, contente toi de maintenir. Il semble que ce soit tenu par une ficelle accrochée à une racine. Bouboule, envoie ton opinel !
— Ne le laisse pas tomber à l'eau.
— Pas d'inquiétude, avec son manche en bois, il flottera.
Valentin lança les deux pinces sur la berge, attrapa adroitement le canif de Bouboule qu'il ouvrit et s'avança un peu plus dans l'eau glacée. Ses pieds glissèrent sur les pierres lisses et gluantes du fond de la gouille. Il eut le réflexe de rapidement laisser tomber le couteau et relever le bas de sa veste de survêtement ainsi que son pull-over et son tee-shirt, l'eau glacée lui arriva à la taille. Il roula le bas de ses habits jusqu'à sa poitrine.
— Oulà, je ne suis pas passé loin du bain forcé ! Gilles, tu peux rattraper le couteau de Bouboule et me le relancer, fermé si possible ? Merci. Voilà, j'ai coupé la ficelle, tire doucement Flo.
— Oui, c'est bien un fusil. Un fusil de chasse à deux canons, tout gluant... constata Florian.
— Qu'est-ce qu'on va faire ? demanda Gilles.
— D'abord, je vais me rhabiller, brrr… Passez-moi quelques mouchoirs que j'essaie de me sécher.
— Dans une poubelle les mouchoirs sales ! s'amusa Olivier.
— Et ton caleçon tout trempé ?
— Je l'enlève, tiens donc. Je peux bien vivre une heure comme ça dans mon bas de survêt ! Il tourna le dos à ses copains, ôta son slip trempé, frotta rapidement ses jambes pour faire tomber l’eau résiduelle, enfila son pantalon de survêtement et enchaîna :
— Bon, il faut réfléchir. Un fusil, c'est du sérieux et ça dépasse le cadre du nettoyage de la rivière.
— Alors on va le porter à la gendarmerie. ? demanda Olivier.
— Non, pas tout de suite. Nous allons le cacher sur la rive, bien recouvert de feuilles mortes et continuer notre nettoyage. Pas un mot de tout cela à quiconque. Demain nous reviendrons tous les cinq ici et nous prendrons ensemble une décision, OK ?

— Ma poubelle est presque pleine de canettes et de plastiques, annonça Bouboule.
— Pareil ! s'exclama Olivier en écho.
— On a presque fini notre secteur, dit Gilles, on va tout rassembler sur la rive gauche. Bouboule, donne ton sac, je le fais suivre à Olive sur l'autre rive. Fais le tour par le pont, on se regroupe dans cinq minutes près des poubelles, le temps de finir le nettoyage dans l'eau.
— Tiens, qu'est-ce que c'est que cela… monologua Valentin. Eh les gars, je crois que j'ai trouvé un portefeuille. Il était là, coincé entre deux galets.
— Il y a de l'argent dedans ? fit Florian.
— Attends, je l'ouvre. Non, pas de billet mais des papiers tout délavés. Il a séjourné dans l'eau et la baisse du niveau l'a remis au sec. Je le garde, nous aviserons demain en même temps que pour le fusil. Avons-nous fini, chef ? demanda malicieusement Valentin à son ami Gilles.
— C'est tout pour aujourd'hui, soldats. On rassemble tout et je vais faire le rapport aux services municipaux.
— Pas un mot à propos de...
— Tu me prends pour qui ?