Les cloches de l'église sonnaient à toute volée quand les cinq se retrouvèrent au bord de la rivière le lendemain. Une douceur printanière faisait éclore les primevères et donnait des envies de nature.
Tapes de mains, poings touchés, saluts à la ronde, les adolescents, heureux de se retrouver et de se sentir amis s'assirent sur les gros galets du bord de l'eau. Valentin que tous reconnaissaient comme leur chef commença :
— Je crois que nous allons devoir prendre des décisions. Par quoi commençons-nous ? Le portefeuille ou le fusil ?
— Le fusil bien sûr, hein vous autres ? décida Gilles.
— Oui, oui, acquiescèrent Bouboule et Olivier pendant que Florian convenait de la tête.
— D'accord, mais ouvrons l’œil, je ne veux pas que n'importe qui nous surprenne ici avec une arme. Si quelqu'un s'approche, il faudra vite le cacher. Vas-y Bouboule, sors le de sa cachette.
— Berk, il est encore tout gluant de boue.
— Tiens, j'ai apporté des vieux chiffons, dit Valentin, essuie-le.
— Ne touche pas les gâchettes, il est peut-être chargé, prévint Olivier.
— S'il a des cartouches, elles sont détrempées et ça ne risque rien, objecta Florian.
— Regarde s'il y a des inscriptions dessus, proposa Gilles.
— Oui, il y en a plein. Attends, c'est gravé FABARN dans le métal, là et de l'autre côté il y a un tas de chiffres et de lettres.
Valentin sortit son smartphone et se mis à tapoter.
— Est-ce qu'il s'ouvre ? demanda Olivier.
— Comment on fait ?
— Tu fais pivoter ce levier-là, tiens donne-le moi. Oui, il s'ouvre, il n'y a pas de cartouches mais les tubes sont pleins de boue.
— Je trouve que les canons sont bien courts pour un fusil de chasse, remarqua Florian.
L'arme passa de main en main, chacun voulant toucher l'objet plein de mystère et d'interdit. À son tour, Valentin l'observa minutieusement, verrouilla et déverrouilla plusieurs fois les canons, actionna les détentes, examina la crosse, le viseur, la poignée puis avec une moue dubitative repassa le fusil à Bouboule et se nettoya les mains au chiffon. Il ressortit son iPhone et continua sa recherche. Gilles reprit l'initiative :
— Qu'est-ce qu'on en fait ? On ne peut ni le garder ni le laisser ici ou dans la rivière !
Valentin laissa un silence perplexe s'installer avant de lever les yeux de son appareil.
— C'est un fusil italien destiné à la chasse au sanglier. Neuf, il vaut plus de mille cinq cents euros.
— On est riche mais bien avancé, se moqua Florian.
— Oui, ça nous mène à quoi ? appuya Olivier.
— À nous poser plusieurs questions, lesquelles à votre avis ?
— Moi je me demande pourquoi l'avoir mis dans la rivière...
— Pour s'en débarrasser Gilles, dit Bouboule.
— Non, intervint Valentin. Pour le cacher temporairement : n'oubliez pas la ficelle ! Le propriétaire comptait bien le récupérer.
— Tout rouillé ! se moqua Gilles.
— Non encore, il est gluant de boue et d'algues mais il est protégé par une couche de graisse, regardez vos mains. La question à se poser est : pourquoi l’avoir caché.
— Parce que le proprio ne veut pas qu'on le trouve chez lui ! triompha Bouboule.
— Oui, et pourquoi ?
— Parce qu'il a tué quelqu'un avec !
— Tué, peut-être pas. Il y a bien eu un homme tué par un fusil de chasse l'an dernier, mais c'était un accident et le fautif est connu. S'il y avait eu une autre mort, je le saurais car je viens de consulter internet sur les accidents de chasse dans la région. En revanche, il y a eu quelques blessés. Mais là je pense qu'il s'agit de l'arme d'un braconnier. J'imagine que l'homme à tué un gibier en montagne : chevreuil, sanglier, chamois ou cerf et qu'il n'a pas pu retrouver la dépouille. Il doit penser qu'un garde à récupéré l'animal et que la balle a été analysée.
— Mais s'il n'a pas été pris sur le fait, il n'a rien à craindre, objecta Olivier.
— L'analyse d'une balle permet d'identifier l'arme qui l'a tirée. Comme il doit se sentir soupçonné, il a trouvé ce moyen de cacher son arme, pensant bien la récupérer plus tard, répondit Valentin. Je pense même qu'il doit venir régulièrement ici comme un simple promeneur mais en réalité afin de constater la présence de son fusil.
— Il est un peu bête ce mec, des fois la rivière est presque à sec et on aurait pu le voir avec sa ficelle, analysa Bouboule.
— Non, objecta Gilles, cette gouille a toujours eu de l'eau même lors des pires sécheresses et la ficelle qui ressemblait à une racine était utile en cas de crue orageuse et de courant violent.
— Bien Gilles, tu as le cerveau agile ! commenta Valentin avec un sourire. Je me suis intéressé à la personnalisation de l'arme. En Australie, quasiment tous les chasseurs aiment mettre leur marque sur leur fusil, je suppose que c'est pareil en France. Je n'ai pas vu de nom gravé mais regardez là, sous la poignée, il y a un petit trou, un éclat manquant dans le bois et même en essuyant il reste du noir. Je pense qu'il y avait là une sorte d'écusson collé. Un morceau de bois est venu avec quand il a été arraché donc le propriétaire ne veut pas être identifié si l'arme est retrouvée.
— Qu'est-ce qu'on fait alors ? demanda Gilles. On ne peut pas la laisser là, on ne peut pas la garder et on ne connais pas le propriétaire.
— Nous appelons la gendarmerie, décida Valentin.
— On appelle ou on y va ? demanda Olivier.
— Il faut les appeler. Ils vont vouloir examiner l'endroit.
— Tu crois qu'ils vont se déplacer un dimanche ?
— Oui, il y a obligatoirement une permanence. Je les appelle. Allô, la gendarmerie ? Ici Valentin. Oui, Valmont. Oui, encore moi. Nous avons trouvé un fusil de chasse dans la rivière. L'adjudant n'est pas là ? Oui, le brigadier Guimard avec un collègue, très bien. Vous voulez savoir à quel endroit ? C'est facile, vous vous garez près de la passerelle des peupliers, vous continuez à pied dans le bois en remontant la rive gauche jusqu'à une petite clairière. Nous vous attendons.
Ils seront là dans dix minutes, continua Valentin à l'intention de ses amis. En attendant, je vous parle du portefeuille.
— Qu'est-ce qu'il y avait dedans ? demanda Bouboule, toujours curieux.
— Des photos délavées, des cartes de fidélité de magasins, une carte d'électeur, un vieux permis de conduire rafistolé avec du scotch.
— Il est possible de lire le nom du propriétaire ? continua Bouboule.
— En partie. Mais d'abord, ne trouvez-vous pas qu'il manque des choses dans ce portefeuille ?
— De l'argent ! dit Bouboule.
— Une carte d'identité ? questionna Olivier.
— Une carte de crédit, une carte vitale ! compléta Florian.
— Vous avez raison tous les trois. C'est ce que tout adulte met dans son portefeuille en plus de son permis de conduire, alors pourquoi ces pièces importantes manquent-elles ?
— Emportées par le courant, non ?
— Non Gilles, lorsque nous l'avons trouvé, il était fermé. Et puis pourquoi seuls les papiers importants sont-ils manquants ?
— Le permis de conduire aussi est important ! tenta de se rattraper Gilles.
— Bien sûr, concéda Valentin, mais regarde bien, c'est un permis ancien modèle en forme de triptyque.
— C'est quoi ça ? s'étonna Bouboule.
— Un document qui se plie en trois, tout simplement. À mon avis, ce portefeuille a été volé et le voleur a récupéré tout ce qui a une valeur marchande : d'abord l'argent et la carte bancaire qui rapportent immédiatement, ensuite la carte d'identité et la carte vitale qui peuvent se revendre à des fraudeurs.
— Un permis de conduire aussi peut se revendre ! objecta Gilles.
— Oui, si c'était un format moderne mais celui-ci trahit l'âge du propriétaire et le voleur ne peut pas prendre le risque d'en demander un neuf en préfecture.
— Tu as raison, convint Gilles, alors, qu'est-ce qu'on en fait ? Poubelle ?
— Non, il faut retrouver le propriétaire. J'ai examiné soigneusement la carte d'électeur mai j'ai seulement pu déchiffrer le bureau de vote, le reste est délavé, illisible.
— Il est où ce bureau, au village ?
— Non, mais pas loin. En ville.
— Il n'y a que soixante mille personnes à contacter donc, se moqua Olivier.
Valentin ignora le sarcasme et poursuivit son exposé :
— Sur le permis de conduire, il y a une photo d'identité, délavée elle aussi, mais on se rend quand même compte qu'il s'agit d'un homme. Ce permis est très vieux, il ressemble à celui de mon grand-père qui l'a obtenu en 1961. D'après lui, c'est un ancien modèle. Le format a été modernisé en 1985 pour un modèle européen plus petit. Il m'a dit aussi qu'à cette époque, il fallait avoir dix huit ans pour avoir le droit de se présenter à l'examen. Donc en résumé, nous avons affaire à un homme qui a obtenu son permis avant 1985 donc qui est né avant 1967. Ça fait déjà moins de monde à contacter, hein Gilles ?
— Mission impossible, Val.
— Attends encore un peu. Ce vieux permis triptyque est sûrement resté plié pendant une longue période, et l'eau ne s'est pas infiltrée partout, il est encore possible de lire la fin du nom : iland. En regardant à la loupe, ce que j'ai fait hier soir, il semble qu'il n'y ait qu'une lettre manquante.
— Donc encore vingt six possibilités sans compter les homonymes possibles, objecta encore Gilles.
— Cette fois je suis d'accord, mais avec un annuaire téléphonique, en un quart d'heure il est facile de relever toutes les possibilités : Ailand, Biland, Ciland etc. Qui veut s'en charger ?
— Moi, je veux bien, se proposa Bouboule, je ferai ça ce soir chez Marion.
— Et si tu trouves, tu auras l'honneur d'aller rendre ce portefeuille à son propriétaire. Tiens, voilà l'objet.
— Peut-être qu'il te donnera un paquet de Chamalows ! se moqua Gilles un peu vexé. Bon, ils viennent les gendarmes ?
— Chut ! J'entends marcher dans le bois. Planquez le fusil ! C'est peut-être le braconnier, chuchota Florian.
Olivier se précipita, ratissa prestement un tapis de feuilles mortes sur le fusil de chasse.
— Ah, vous êtes là les petits enquêteurs...
— Bonjour brigadier Guimard, bonjour brigadier, répondit Valentin au nom de tous.
— Alors où est-il ce vieux fusil ?
— Pas si vieux que ça, fit Olivier en sortant l'arme de sa cachette.
— Pourquoi l'avez-vous caché ? demanda Guimard.
— Si le braconnier revenait le chercher...
— Vous connaissez le propriétaire ? s'étonna le brigadier.
— Non, bien sûr, mais on a supposé.
Valentin prit la parole :
— Nous avons examiné l'arme et essayé de déduire certaines possibilités. Excusez-nous monsieur Guimard mais il est midi et il va falloir que nous rentrions chez nous. Olive, tu peux rester et tout expliquer ?
— Bien sûr, répondit Olivier tout fier. Tu peux rester Florian ?
— Pas de problème.
— Donc monsieur le brigadier, c'est hier, quand on a fait le nettoyage de la rivière, qu'on a repéré dans une gouille...