VALENTIN AU COLLEGE

27. L'ACCIDENT

Le professeur de mathématiques les ayant pour une fois laissé sortir pile à la sonnerie de la récréation, les amis, avides de connaître les conclusions de leurs affaires, se réunirent sur un banc habituellement occupé par les grands de troisième. Ceux-ci ne tardèrent pas à réagir.
— Ouste, les gamins, c'est notre banc.
— Pas aujourd'hui, répliqua Valentin. Qui va à la chasse risque de recevoir une balle perdue !
— Caltez, cassez-vous, foutez le camp, dans quelle langue il faut vous le dire ?
Valentin ne se démonta pas, il énonça d'une voix forte :
— Alors Olivier, comment ont réagi les deux gendarmes ?
— Vachement sympas en fait, ils nous ont écoutés jusqu'au bout et nous ont félicités pour notre bonne façon de réagir.
Les grands se regardèrent interloqués.
— Vous connaissez les flics, vous ?
— L'adjudant Lemoine, les brigadiers Guimard et Dufournet, vous voulez être présentés ? Demandez à Kevin et Dylan si vous n'êtes pas convaincus. Alors maintenant à vous de vous casser, de calter et de ficher votre camp ailleurs ! Allez, ouste ! Continue Olivier, sourit-il en voyant les grands reculer et se diriger vers Kevin Thénardier.
— Bien joué Val ! Mais il faudra quand même faire attention à ceux-là, ils croient avoir tous les droits.
— Pas d'inquiétude Olive, j'ai déjà réfléchi à quelques plans de bataille, je vous en parlerai à l'occasion. Vas-y, continue.
— Donc ils ont examiné le fusil, la gouille et la ficelle dans l'eau. Ils ont dit que le laboratoire d'études balistiques allait étudier le fusil, qu'il était probable qu'il s'agisse d'une arme de braconnier et que si, grâce à nous, ils pouvaient choper le propriétaire, ils nous tiendraient au courant.
— Ils ont quand même dit qu'on aurait dû les prévenir plus tôt. Je leur ai dit que c'était de ta faute Val. Non, je plaisante ! ajouta Florian.
Valentin sourit et se tourna vers Pascal.
— Et toi Bouboule, comment a marché ton enquête ? Tu as pu faire une liste de noms.
— Ouais, facile, mais j'ai encore dû aller chez Marion Lacombe. Elle m'a montré comment faire une recherche sur l'annuaire, en fait ce n'est pas bien sorcier.
En essayant toutes les lettres j'ai trouvé seulement deux noms qui collaient et dans les deux, il y avait une femme. J'ai donc appelé un certain monsieur Giland avec mon vieux portable et là, bingo ! C'est bien à lui qu'on avait volé le portefeuille il y a un mois de ça. Il voulait que je lui rapporte tout de suite mais je lui ai expliqué que j'habitais loin et que je n'avais pas de vélo, alors il est venu en voiture jusqu'à la cité. Un vieux monsieur de soixante quinze ans mais très sympa quand même. Il a reconnu tous les papiers et il m'a dit qu'il manquait sa carte bancaire, sa carte vitale, sa carte d'identité et soixante dix euros. Exactement ce qu'on avait supposé. Je lui ai bien sûr expliqué qu'on l'avait trouvé comme ça. Et savez-vous ce qu'il a fait ? Il m'a donné un billet de cinquante euros pour mon honnêteté. Vous vous rendez compte ? Cinquante euros à diviser par cinq, ça nous fait dix euros chacun ! J'ai fait de la monnaie alors voilà vos parts...
— Attends un peu Bouboule, est-ce que tu peux nous laisser une minute ? demanda Valentin.
— Heu oui, mais je ne comprends pas bien...
— S'il te plaît.
— D'accord, mais tu me diras hein ?
— OK, tu sauras tout du complot.
Pascal Boulot hors d'écoute, Valentin chuchota à l'oreille de ses trois autres amis qui rapidement hochèrent affirmativement la tête.
— Reviens Bouboule ! Voici ce que nous avons décidé : avec les cinquante euros, nous allons t'acheter un VTT d'occasion. Le frère de Gilles veut vendre le sien, alors il sera pour toi.
Bouboule rougit de plaisir et de confusion mais rapidement il objecta :
— Mais vous avez droit à votre part, je ne peux pas accepter !
— Tu ne peux surtout pas refuser, nous sommes tous d'accord, c'est à prendre ou à prendre ! Livraison mercredi à quatorze heures. C'est bon pour toi Gilles ?
— Bien sûr, et en plus mon frangin sera hyper content de le vendre sans avoir à chercher. Au fait, tu sais faire du vélo Bouboule ?
— Ben oui, quand même, je ne suis pas gogol !
— Affaire réglée, conclut Valentin. Pour fêter ça, je propose une petite rando cycliste mercredi après-midi, c'est bon pour tout le monde ? Allez, ça sonne, deux heures de français maintenant. Je crois bien que Ver blanc va nous coller un devoir !

Rassemblés sur la place de la mairie, Valentin, Gilles, Florian et Olivier encadraient Bouboule admiratif, tout heureux devant son VTT à vingt et une vitesses.
— Quand est-ce qu'on démarre ? s'impatienta Florian.
— Où est-ce qu'on va surtout ? appuya Olivier.
— Bouboule, comme c'est toi l'invité d'honneur, tu choisis.
— Je voudrais voir l'endroit où vous avez trouvé le chien.
— Comment tu l'as appelé ton chien Gilles ?
— Zoreille ! Il est d'une gentillesse extraordinaire et il a un flair pas possible, c'est mon meilleur ami ! Euh, après vous bien sûr...
— D’accord vous autres pour une petite ascension ?
— Oh, c'est sur la route du col à sept kilomètres au moins, ça grimpe fort ! Tu ne préfères pas faire le tour du lac ?
— Gilles, faisons lui ce plaisir, la pente n'est pas si raide que ça. Si tu ne t’entraînes pas, tu ne sauras jamais grimper correctement. Rappelle-toi : oxygénation, effort régulier, pas d'à-coups, jamais au dessus de tes moyens et un minimum de volonté. Avec tout ça, tu fais le tour de France.
— N'aie pas peur d'utiliser ton changement de vitesse aussi, plus tu moulines, moins c'est dur, conseilla Olivier.
— Et puis en roulant, quand tu en as marre, pense à autre chose qu'à ton mal aux jambes, fais-toi du cinéma dans ta tête. C'est ce que je fais et ça marche, compléta Florian.
— Bon, c'est bien pour Bouboule que je fais ça.
— Ne prenons pas de risques, roulons en file. Allez Bouboule, prends le premier relais, Gilles derrière puis Olivier, ensuite Florian et je fermerai la marche, décida Valentin. Relayons nous tous les cinq cents mètres, le meneur se laisse aller en queue de peloton, comme dans une course par équipe.
— Sauf qu'on ne fait pas la course, hein ? appuya Gilles.

— Allez, à toi, haleta Florian à l'adresse de Valentin en se laissant décrocher. Celui-ci se sur-oxygéna par de profondes respirations et appuya un peu plus sur les pédales.
Depuis plus d'un kilomètre ils avaient attaqué la montée mais la pente à cinq pour cent n'était pas exténuante. Valentin eut envie de tester la recette de Florian. Il laissa son esprit vagabonder. Trop bien intégré dans son collège de Haute Savoie, il avait quelque peu oublié ses relations de là-bas. Il se promit d'envoyer des nouvelles de France à ses anciens camarades. Quelle était la saison en Australie en ce moment ? Fin de l'hiver ici donc fin de l'été dans l’hémisphère sud. Il se revit pédalant avec ses copains sur une petite route escaladant une colline dans l'état de Victoria. Le soleil, le vent du sud rafraîchissant, les haies vives limitant les cultures...
— VALENTIN ATTENTION ! À DROITE VALENTIN ! hurla Bouboule un peu distancé.
Trop tard ! Malgré le coup de frein désespéré de l'automobiliste qui exécuta un brusque braquage de volant vers la droite et un violent coup de guidon qui fit déraper son VTT, Valentin déséquilibré heurta de la tête la portière du véhicule, s'étala, glissa sur le bitume rugueux et ne bougea plus.
— Valentin, Valentin, tu m'entends ? Ça va Valentin ? Réponds-moi ! cria Bouboule, vite rattrapé par les autres.
— Val, tu nous vois, tu nous entends ? Réponds Val ! se désespéra Gilles tout essoufflé.
— Attendez, écartez-vous, laissez moi voir, dit l'automobiliste tout pâle. Quelqu'un vers le haut et quelqu'un vers bas de la route, arrêtez toute voiture. L'homme mit deux doigts contre le cou de l'adolescent au sol, cherchant la carotide ; il regarda les oreilles de Valentin puis regarda ses yeux mi-clos. Valentin se mit à gémir.
— Je vais appeler l'ambulance des pompiers, il faut le conduire à l'hôpital, décida l'homme.
— Hôpital... Melbourne... Non, pas la peine...
— Qu'est-ce qu'il dit ? Qu'est-ce que tu dis mon garçon ?
Valentin ouvrit les yeux, se mit assis quelques secondes puis se leva. Il regarda la scène alentour et ses copains atterrés.
— Vous en faites une tête ! Qu'est-ce qui vous arrive ? Bonjour monsieur, j'espère que je n'ai pas cabossé votre auto. Ne faites pas cette figure là voyons, c'est juste une bonne bûche, tout va bien. Où est mon vélo ? Ah, je crois que le guidon a un peu tourné, je vais devoir redresser cela.
Valentin coinça la roue avant entre ses jambes et força sur les poignées.
— Vous êtes sûr que tout va bien jeune homme ? insista l'automobiliste.
— Sûr et certain, monsieur, merci. Vous pouvez y aller. Écartez vous les gars, laissez passer l'auto. Excusez-moi encore monsieur, je vous ai obligé à mettre deux roues sur le bas côté. Merci pour votre aide, mais tout va bien, dit Valentin en ôtant quelques gravillons de ses mains et genoux. Quelqu'un peut me donner un mouchoir ? Je me suis gratté les abattis et ça saigne un peu. Allez, on continue les mecs !
— Pas question, dit Gilles, tu saignes, il faut te soigner, désinfecter tout ça. Si tu te sens capable de rouler, on va descendre doucement jusqu'au premier hameau avant le village. On va demander à Pauline Fresnoy qui y habite de nettoyer tout ça.
— Pas question non plus, nous avons promis à Bouboule de lui montrer l'endroit...
— Pour toi, pas question. Et pas question pour nous de t'obéir aujourd'hui, décida Gilles.
— Oui Val, insista Bouboule, on ira là haut un autre jour, viens, descendons.
— Allez Val, ne soit pas têtu, appuya Olivier.
— Qu'est-ce qui t'as pris de rouler à gauche dans ce virage ? demanda Florian.
— Rouler à gauche ? Oh non d'un chien ! Heu, excuse-moi Gilles. Rouler à gauche... Oui, je crois que je roulais à gauche... C'est de ta faute Florian !
— Non mais tu déconnes Val ! De ma faute...
— Oui, j'ai voulu essayer ta méthode anti-fatigue et en me faisant du cinéma, je me suis cru en Australie.
— Et alors ?
— En Australie la circulation se fait à gauche, désolé les gars. Allez, en selle.
— Tu restes derrière cette fois Val. On s'arrête chez Pauline, tu ne discutes pas !

Après un kilomètre de descente mains sur les leviers de freins, les copains arrivèrent au premier hameau.
— Prends la tête Gilles, toi qui connaît sa maison, demanda Florian.
— C'est là, la troisième maison, un peu en retrait de la route, expliqua Gilles. Écoutez, ce n'est pas le peine d’y aller tous. Rentrez chez vous, moi je vais rester avec lui.
— Oui, allez-y, je vous assure que ça va, je veux juste un peu nettoyer tout ça. À demain les copains.
Gilles appuya sur la sonnette du portail, le rideau de la grande baie vitrée bougea. Une jolie adolescente aux yeux et cheveux noirs, au corps bien formé sous un sweat de coton fin ouvrit la porte.
— Qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui vous est arrivé ? demanda Pauline étonnée.
— Valentin a fait une cabriole en vélo, tu as de quoi nettoyer ses égratignures ?
— Mes parents sont au boulot, mais entrez, je vais voir ce que je peux faire.
— Je vous laisse un instant, il faut que j'aille aux toilettes, s'excusa Gilles.
— Au bout du couloir, indiqua Pauline. Viens dans la salle de bains Valentin, je vais soigner tout ça. Tu as une belle bosse au front. Tiens, mets cette compresse d'arnica dessus. Je vais laver tes plaies à l'eau oxygénée. Montre-moi ton bras, on dirait qu'il reste des petits cailloux, je vais devoir appuyer un peu, ça te fait mal ?
Valentin grimaça puis sourit.
— Non, ça va, vas-y franchement.
— Je vais m'occuper de tes genoux maintenant, assieds-toi sur le rebord de la baignoire. Valentin s'exécuta. Pauline remonta les jambes du pantalon de survêtement, tamponna les plaies superficielles avec un coton hydrophile imbibé. Un vertige tourna la tête de Valentin. Pendant une seconde, la pièce se mit à osciller puis il eut un voile noir devant lui. Il ferma les yeux un instant. Quand il les rouvrit, le malaise s'était dissipé. Pauline accroupie badigeonnait de Bétadine ses genoux blessés. Quand elle se releva, une irrésistible pulsion guida la main de Valentin vers les jeunes seins de l'adolescente. Pauline surprise leva des yeux étonnés vers son camarade de classe puis s'écarta doucement. Valentin se reprit mentalement :
— Excuse-moi, je ne sais pas ce qui m'a pris. Vraiment, excuse-moi Pauline, c'était tout à fait déplacé. Tu es une merveilleuse infirmière !
Celle-ci sourit, s'avança vers lui et posa un rapide baiser sur ses lèvres.
— Ce n'est pas grave, n'en parlons plus.
— J'ai eu tort. N'en parle pas à ton petit copain.
— Mon petit copain ?
— Oui, Clément Barilla.
Pauline éclata de rire, regarda Valentin de l'air moqueur que savent si bien prendre les filles de son âge.
— Clément, mon petit copain ? Qu'est-ce qui peut te faire croire çà ?
— Il est tout le temps derrière toi, il te regarde toujours en classe, il ne te perds pas des yeux en récré...
— Ben ça alors, première nouvelle. Non Valentin, j'ai des copains, des copines, des amis mais pas de petit copain et surtout pas ce gros lourdaud de Clément.
— Ça va les amoureux ? claironna Gilles en passant la tête par le porte entr'ouverte de la salle de bains.
— Gilles, par moment tu es vraiment lourd ! Merci beaucoup Pauline. J'essaierai de te revaloir ça. Allez, Gilles, en route !