De retour du collège, avant de pousser la porte pour entrer dans son immeuble, Bouboule jeta un regard derrière lui. Ce qu'il vit le fit soupirer.
— Elle est encore là celle-là ! Ça fait plus de deux mois qu'elle n'a pas bougé. Demain je demanderai à Valentin s'il a une solution. Ou plutôt je lui téléphone tout de suite.
« Allô Val ? J'ai besoin de ton avis. Oui, de ton aide si tu peux. Grave, non mais embêtant ! Tu peux venir ? Oui, ce serait super. À tout de suite. »
— Regarde, Val, là c'est le parking de notre petit immeuble et là c'est notre place.
— Qu'est-ce que c'est que cette vieille voiture ?
— Une Peugeot 104.
— Elle est à tes parents ?
— Non, et c'est bien le problème. Un matin, elle s'est trouvée là et depuis elle n'a pas bougé.
— Il y a longtemps ?
— Plus de deux mois. Mon père est obligé de garer notre Clio dans la rue.
— Vous savez à qui elle appartient ?
— Il paraît qu'elle appartient à un type qui a déménagé.
— Vous vous êtes renseigné sur le propriétaire ?
— On a essayé mais personne ne sait où il habite maintenant.
— Avec le numéro d'immatriculation, il doit être possible de le retrouver. Veux-tu que je contacte l'adjudant Lemoine ?
— Je ne sais pas. Ce que nous voulons c'est qu'elle soit enlevée d'ici. Il y a des gens qui nous ont dit que la police ou la gendarmerie ne peuvent pas intervenir dans un parking privé.
— Vous avez pensé à la fourrière ?
— Oui, mais c'est payant et cher. Il paraît que le mec, quand il est parti a dit « il y aura bien un con qui l'enlèvera ! »
— Bouboule, rien que pour cette phrase pleine de délicatesse, je vais t'en débarrasser.
— Comment tu comptes t'y prendre ?
— NOUS y prendre ! Je réfléchis encore mais je vais avoir besoin de tout le monde et d'un peu de matériel. Est-ce qu'elle est verrouillée ?
— Oui, elle est fermée à clé.
— Tu veux que j'appelle les copains ?
— Attends, à quelle heure fait-il nuit ?
— Vers dix neuf heures trente à peu près.
— OK, tu peux téléphoner aux copains et leur donner rendez-vous ici à dix neuf heures.
— Merci les amis d'avoir répondu présent pour Bouboule. Je résume la situation : un mec indélicat et irresponsable a laissé son épave de voiture sur le parking des parents de Bouboule et ceux-ci n'ont pas les moyens de la faire enlever. Je pense qu'il faut premièrement débarrasser la place de parking et ensuite punir le propriétaire voyou.
— Pour tirer la 104, il faudrait une voiture avec une boule, réfléchit Olivier tout haut.
— C'est aussi le première idée qui m'est venue mais aucun adulte ne voudra prendre le risque, répondit Valentin.
— Et puis on ne peut pas bouger une auto fermée qui a le frein à main serré, affirma Florian.
— Fermée, ce n'est pas un problème pour Val, hein Val ?
— Tu as raison Gilles, il faut d'abord l'ouvrir et je vais m'en charger, sourit Valentin. J'ai apporté ce qu'il faut. Le mur du parking nous protège, je pense qu'on ne pourra pas me voir, mais levez-vous et faites quand même un écran.
Sortant un bout de fil électrique de sa poche, Valentin exécuta à nouveau la technique qui lui avait permis de débloquer la voiture de monsieur Dubouloz.
— Vous allez voir ce que vous allez voir ! jubila Gilles déjà au courant.
— C'est beaucoup plus facile avec ce type de poussoir de fermeture, le nœud coulant prend plus facilement.
Sous les yeux ébahis de ses copains, Valentin engagea le fil entre les caoutchoucs d'étanchéité, glissa les deux brins vers le bas, positionna le nœud coulant, vrilla le fil et tira un coup sec sur ses extrémités. Le poussoir capturé, il remonta fermement la plus longue partie et la portière se déverrouilla. Valentin ouvrit la portière, desserra le frein à main et testa le volant. Il était bloqué par l'antivol.
— C'est bien ce que je pensais, nous n'allons pas pouvoir la pousser tout simplement.
— Alors c'est fichu ? se lamenta Bouboule.
— Fais confiance à Val, il possède un gros stock d'astuces, le rassura Gilles.
— Comment faire pour débloquer les roues ? s'interrogea Florian. Si on ne peut pas diriger, on ne peut qu'aller sur la place d'en face celle-ci.
— Peut-être qu'on pourra faire riper l'avant pour tourner, suggéra Olivier.
— Tu n'y penses pas, même à cinq on n'aura pas le force, objecta Florian pourtant le plus costaud.
— Et avec un cric roulant comme au garage ? demanda Bouboule.
Valentin hocha la tête en souriant :
— Bonne solution si quelqu'un possède un tel cric.
— Tel que je te connais, toi, tu as la solution, affirma Gilles.
— Voici comment nous allons procéder : nous allons placer un skate sous chacune des roues avant !
— Attends, combien ça pèse une voiture comme ça, sept cents, huit cents kilos ? Je ne veux pas casser ma planche ! refusa Florian.
— Huit cents kilos, ça fait deux cents sur chaque roue, c'est déjà mieux, non ? corrigea Gilles.
— Beaucoup plus que ça sur les roues avant, à cause du moteur, répondit Florian.
— Donc beaucoup moins sur les roues arrières. C'est sous les roues arrière que nous allons placer les skates.
— Mais les roues arrière ne peuvent pas diriger, s'étonna Bouboule.
— Les roues avant bloquées pas plus, se moqua Valentin.
— Comment va-t-on soulever la voiture ? dit Florian toujours sceptique.
— Si nous ne trouvons pas le cric dans le coffre, nous ferons comme pour Chloé, lui répondit Valentin en souriant.
— Tu as raison, Val, je suis bête de ne pas te faire confiance.
— Bouboule, glisse-toi dans le coffre par l'intérieur et regarde si tu le trouves, demanda Gilles, fidèle second.
— Alors Bouboule ?
— Des saletés, une roue de secours crevée, pas de cric ! répondit Bouboule.
— J'ai compris, dit Florian, je me procure le levier. On a un bout de chevron dans le garage, je vais le chercher, et j'amène mon skate, j'en ai pour dix minutes.
— Il en faut un autre, s'inquiéta Olivier.
— Je suis venu avec le mien, dit Valentin.
— Il faut un point d'appui pour faire levier, un moellon, un parpaing, ça devrait faire l'affaire. Il y en a un au bout du parking, affirma Bouboule.
— Où va-t-on la déplacer ? questionna Olivier.
— C'est là que nous allons punir le propriétaire, mais attendons le retour de Flo, décida Valentin.
— Alors où va-t-on la stationner ? s'enquit Florian dès son retour.
— Près de la gendarmerie par exemple, suggéra Gilles.
— Allons, tu penses que nous pouvons pousser la 104 sur plus d'un kilomètre de grande route ? se moqua Valentin.
— Tu as raison, je suis bête ! Dis-nous.
— Vous savez tous ce que c'est que le plan « vigipirate » n'est-ce pas ? Pendant toute la durée d'application de ce plan, il est interdit de stationner une voiture près d'une école sous peine de l'enlèvement du véhicule et d'une grosse amende. Quelle est l'école la plus près d'ici ?
— L'école maternelle, affirma Bouboule. Elle est à deux cents mètres.
— Là, c'est raisonnable comme distance, appuya Olivier. Et si on ajoutait à l'intérieur un carton avec « Mort aux flics » écrit dessus ? Ça doublerait la punition, non ?
— Faisons le déménagement de la façon la plus anonyme possible. Mon grand-père Jean-Claude dit toujours que le mieux est l'ennemi du bien. Au travail les gars, c'est le meilleur moment, tout le monde est devant le journal télévisé.
— Quand est-ce qu'on saura si ton plan a marché ?
— Je pense que demain soir, la 104 aura été enlevée, vous voulez parier ? Allez, on s'y colle tous. Florian, Olivier et moi pour soulever, Gilles et Bouboule pour placer le skate. Même chose de l'autre côté. Bon, mettons le chevron dans la voiture et poussons. Pour tourner à gauche il faut pousser plus fort du côté droit.
— Youpi, ça marche ! s'écria Bouboule.
— Chut, maximum de discrétion. Gilles, avance jusqu'au croisement avec la rue de l'église, tu nous feras signe. Allez, hardi les gars !
— Vire au guindeau... chantonna Olivier.
— Good bye farewell, good bye farewell... poursuivit Florian.
— C'est bon, traversez ! chuchota fortement Gilles.
— Merci Gilles, va vite devant l'école et décroche deux barrières mobiles. Ne perdons pas de temps.
— C'est bon, récupérons les skates. Prends le bout de bois, Flo. Où est le moellon ?
— Flûte, on l'a laissé au parking, comment va-t-on faire ? Je vais le chercher ? s'excusa Bouboule.
Valentin réfléchit une seconde :
— Pas le temps, glissons un bout du chevron sous la caisse et soulevons à quatre. Gilles, tu récupères le premier skate. C'est bon ? De l'autre côté maintenant... Très bien, je baisse le levier de verrouillage de la porte. Partons maintenant... En marchant Bouboule !
— Alors Bouboule tu es content ?
— Ho oui, quand je vais dire ça à mon père, il ne va pas en revenir.
— Non, surtout pas. En réalité je crois que nous avons fait quelque chose d'illégal et si cela se sait, nous risquons des ennuis. Personne ne souffle mot à qui que ce soit à ce sujet, OK ? C'est notre secret et les gens devront croire au miracle, expliqua Valentin.
— Il y en a un qui va bientôt croire au diable quand il va recevoir son amende, rigola Bouboule en tapant la main de ses copains. Vous êtes de frères.