VALENTIN ET SES COPAINS

13. CONSEIL D'AMIS

En l’absence de madame Blanchin, la classe de cinquième C avait reçu l’autorisation de passer l’heure dans la cour et de profiter du soleil printanier. Valentin et Mathilde étaient assis sur l’herbe dans l’allée des peupliers séparant la cour du collège des terrains de sport.
— Dis-moi Mathilde, connais-tu une certaine Margot de cinquième B ?
— La fille blonde coiffée à la Jeanne d’Arc ?
— Oui, c’est cela.
— De vue et par ouï dire.
— Qu’est-ce qu’on en dit ?
— Les avis sont assez négatifs : elle est triste, elle ne parle à personne, elle est nulle en classe.
— Ton avis personnel ?
— On n’est pas triste sans raison, si elle ne parle pas c’est qu’elle n’a pas d’interlocuteur, j’ajoute que personne n’est jamais vraiment nul.
— D’accord avec toi sur toute le ligne.
— Et puis heu... je ne sais pas trop comment dire, heu... j’ai aussi entendu un garçon de sa classe dire que c’est une pute !
Valentin gêné rougit légèrement.
— Je vais te dire la vérité Mathilde. C’est pour cela que je veux discuter avec toi. Hier, Olivier a voulu me faire une surprise...
Et Valentin confia tout à son intelligente amie : la pièce d’un euro, les toilettes, le mini strip-tease, sa gêne, son remord, sa discussion, sa mère, son père, l’envie qu’il a d’aider.
— Je te comprends bien Valentin, mais qu’est-ce que tu attends de moi ?
— En fait, je ne sais pas bien. Tu connais mieux les élèves du collège que moi et puis tu comprends mieux qu’un garçon ce qui peut se passer dans la tête d’une fille.
— D’accord, alors à mon avis c’est le malheur et la misère qui sont à l’origine de tout ça. Qu’est-ce que nous pouvons faire contre le malheur ? Qu’est-ce que nous pouvons faire contre la misère ? Rien !
— Contre le malheur, nous pouvons donner du bonheur, Mathilde. Son malheur à elle, c’est d’avoir perdu sa mère donc de l’amour et de la tendresse, nous pouvons lui donner de l’amitié et de la présence pour un peu compenser. Contre la misère, c’est plus difficile. Son père a perdu son travail mais je ne sais pas ce qu’il faisait.
— Je crois qu’il travaillait dans une entreprise d’entretien d’espaces verts.
— Donc il s’y connaît en jardinage, en tonte de pelouse et en taille d’arbustes, murmura Valentin, il faut que je réfléchisse calmement à tout ça. Merci Mathilde pour tous ces renseignements. Dans l’immédiat j’aimerais que nous intégrions Margot dans notre cercle. Penses-tu que c’est une bonne idée et que les copains accepteront ?
— Si l’idée viens de toi, les copains seront d’accord.
— Dans un premier temps, est-ce que tu pourrais aller la voir à la récré et faire en sorte de me laisser vous rejoindre ?
— Je vais essayer mais sans rien promettre. Jusqu’à maintenant, je ne lui ai jamais adressé la parole, elle va se demander ce que je lui veux.
— Si elle est réfractaire aujourd’hui, n’insiste pas, tu recommenceras demain.
— D’accord, j’essaie à la récréation.

Un quart d’heure plus tard, Valentin l’air de rien déambulait dans la cour, zigzagant nonchalamment entre les groupes. Il avisa Mathilde et Margot côte à côte, silencieuses, en apparence gênées d’être ensembles. Se dirigeant vers elles, il s’écria :
— Ah, salut Mathilde ! Et lui fit deux bises comme si c’était son habitude. Bonjour Margot, dit-il ensuite et lui faisant deux mêmes bises qu’elle ne put refuser. Ça va les filles ?
— Qu’est-ce que tu veux Valentin ? Tu es venu récupérer ton argent ? questionna Margot sur la défensive.
— Quel argent ? répondit-il en souriant. Dites-moi Mathilde, ça te plairait un pique-nique au bord du lac demain ? Bien sûr, tu es invitée aussi Margot.
— Oui, mais je ne veux pas être la seule fille, répondit Mathilde fine mouche.
— Tu ne seras pas seule si Margot vient. Tu es d’accord Margot ? Rendez-vous à onze heures et demie, par exemple devant le collège.
Je vais demander à Florian de se joindre à nous.
— Tu prévois d’aller où ?
— Au ponton du bout de la plage. Chacun apporte quelque chose à manger. Moi je prendrai du jambon et du fromage, tu peux te charger des fruits Mathilde ?
— Pas de problème.
— Et moi ? demanda timidement Margot.
— Prends le pain, au moins une baguette, je demanderai à Florian d’apporter les boissons.
— Nous pourrions aussi inviter les autres copains et copines, Bouboule et Eva, Olivier...
— D’accord pour Bouboule et Eva, dit rapidement Valentin en regardant Mathilde fixement dans les yeux. Tu verras Margot comme ils sont sympas. Il faudra donc acheter deux baguettes, ça ira ?
— Oui, pas de problème.
— Je demanderai à Bouboule -son vrai nom c’est Pascal Boulot- ajouta-t-il avec un sourire à l’intention de Margot, je lui demanderai d’apporter du chocolat ou des bonbons, c’est un spécialiste ! Eva apportera des assiettes en carton et des couverts en plastique. À demain Margot, la journée sera splendide, la météo est au beau fixe !

Dans l’escalier qui montait vers les salles de classe, Mathilde demanda à Valentin :
— Pourquoi tu n’as pas voulu inviter les autres copains ?
— Olivier parce que c’est lui qui m’a indiqué l’étrange commerce de Margot et qu’il a voulu m’en faire profiter. Je n’ai pas voulu la gêner d’avantage. Et si j’avais invité Gilles et Lucie, il se serait demandé « pourquoi pas moi ? »
— Et Pauline ?
— Elle habite trop loin.
— Tu as vraiment pensé à tout ça ?
— J’ai surtout pensé à la mettre à l’aise pour qu’elle sente qu’elle peut faire partie d’un groupe. Demain, j’ai l’intention d’en savoir plus sur son père et sa vie de famille, pour essayer de trouver une solution à la deuxième partie de tes déductions. Je compte d’ailleurs un peu sur toi pour la faire parler, je m’arrangerai pour que vous puissiez discuter tranquillement.
— De quelles déductions parles-tu ?
— Le malheur et le misère. Demain, on essaie de lui donner un peu de bonheur, restera à trouver des solutions à sa pauvreté. J’ai peut-être une idée, mais il faut que je me renseigne...

Les six adolescents venaient de terminer leur pique-nique, le ciel était limpide, la transparence de l’eau du lac laissait voir le fond à plus de cinq mètres. Malgré la fraîcheur printanière de l’eau, Florian dit à Valentin :
— Tu sais nager ?
— J’ai nagé dans la mer de Tasman, dans le fleuve Murray et dans la mer de Corail et toi ? dit Valentin en ôtant ses habits.
— Moi, à la piscine et au lac, c’est moins exotique.
— Vous allez vous baignez aussitôt après le repas ? Mais vous allez avoir une congestion, vous allez couler à pic ! s’exclama Bouboule effaré.
— Ce n’est pas une question de repas mais de forme physique, répliqua Florian en ôtant son short et son tee-shirt. À genoux au bord des planches, il récupéra de l’eau dans sa main en coupe et se mouilla la nuque et les bras. Vous nagez les filles ?
— Elle est bien trop froide. Mon père dit qu’on ne nage pas au lac tant qu’il y a de la neige sur les montagnes, répondit Mathilde.
Elle ôta néanmoins ses baskets et assise au bord de la jetée en bois laissa tremper ses pieds dans la transparence de l’eau. Eva et Margot l’imitèrent. Florian crocheta ses doigts de pieds au bout du ponton et, corps profilé en flèche, exécuta un superbe plongeon tendu qu’il prolongea longuement sous l’eau, entraînant une myriade de bulles nacrées. Il enchaîna par une dizaine de mètres d’un crawl impeccable avant de se retourner.
— Tu viens Val ? incita-t-il.
Valentin se mit à plat ventre sur les planches, se repoussa vers l’arrière et se laissa glisser dans la fraîcheur de l’eau.
— Elle est bonne, hein ? sollicita Florian.
— Bonne, ça ne veut rien dire, argumenta Bouboule, combien elle fait là ?
— Environ seize degrés.
— Trop peu pour moi ! Encore quatre et je consentirai à me mouiller les jambes.
Mathilde toucha le bras de Margot :
— Ils sont sympas nos copains, n’est-ce pas ?
— Oui, ils sont gentils, mais tu vois, je ne comprends toujours pas ce que je fais là.
— Ça, c’est tout Valentin, il veut toujours aider, intervint Eva. Moi, il m’a défendue contre une grande de la classe qui me faisait peur et m’obligeait à faire un tas de trucs pour elle.
— Pareil pour mon petit frère, appuya Mathilde, il l’a défendu contre un grand qui le rackettait.
— C’est vrai ça, même que j’y étais, dit Pascal. Moi, il m’a vengé d’un grand qui avait cassé mes lunettes, il a aussi aidé Flo à calmer un mec du lycée en ville qui l’avait agressé au foot. Il faut toujours qu’il défende les plus faibles, c’est un merveilleux copain.
— Pourquoi m’a-t-il invitée ? On n’est pas dans la même classe, il ne me connaît pas.
— Il n’a pas besoin de bien connaître, il a remarqué quelque chose qu’il considère comme une injustice et il cherche à la corriger. Il a dû voir que tu es toujours seule dans la cour de récré, c’est pour ça.
— Et vous, vous êtes d’accord ?
— Valentin ne s’est jamais trompé dans le choix de ses amis, affirma Pascal. Moi je le suivrai les yeux fermés, alors tu es la bienvenue. Papotez bien les filles, je vais au bout du ponton surveiller les tritons.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit sur moi ? demanda Margot à Mathilde.
— Qui ? fit cette dernière pour gagner un temps de réflexion.
Margot haussa les épaules.
— Ah, Valentin… Euh… En fait, il m’a tout dit.
— Tu acceptes d’être copine avec une fille comme moi connaissant ça ?
— Et bien oui. Je me demande seulement comment tout a commencé pour toi.
— C’était le jour de la sortie théâtre, tu te rappelles, ça coûtait deux euros et je n’en avais qu’un, alors je me suis mise à pleurer. Mon voisin m’a demandé pourquoi puis il m’a proposé de me le donner si j’acceptais.
— Si tu acceptais quoi ? demanda naïvement Eva.
— De lui montrer mon sexe.
— Oh ! fit Eva interloquée.
— J’ai eu la bêtise d’accepter pour pouvoir faire la sortie avec tout le monde. Il était là, la bouche ouverte, les yeux braqués sur moi. Il me répugnait.
— Pourquoi as-tu continué ?
— Il a menacé de le dire à tout le collège si je ne faisais pas la même chose pour ses meilleurs copains. Alors j’ai continué. Je me disais que je m’en foutais mais ce n’était pas vrai, ça me dégoûtait. Quand Valentin est venu, j’ai cru qu’il était comme les autres mais il n’a pas réagit comme eux. Il a baissé les yeux un bref instant puis il m’a regardé en face avec une drôle d’expression. Il se demandait visiblement ce qu’il faisait là.
— Valentin est un gars super, il comprend beaucoup de choses sans qu’on ait besoin de lui dire, commenta Eva. Dis Margot, est-ce que tu te sens encore seule ?
— En ce moment non, je suis bien avec vous même si ça m’est pénible de tout vous raconter, mais demain ?
— Demain, tu n’auras qu’à penser à aujourd’hui.
— Un « tagada fraise » les filles ? demanda Bouboule revenu du bout du ponton en tendant son paquet. Tu n’as pas envie de faire quelques pas le long de la rive, Eva ? Je prends des fourmis dans les jambes.
Quand ils se furent éloignés, Margot demanda :
— Ils s’aiment bien tous les deux, hein ?
— Absolument, ils sont touchants.
— Et toi, ton amoureux c’est Florian ou Valentin ?
— Aucun des deux et aucun autre. Nous sommes tous de bons copains, de bons amis même, mais rien de plus intime.
— On peut être simplement copain avec un garçon ?
— Je le crois. Là tu en as vu trois mais il y a aussi Gilles et Olivier.
— Pourquoi ne sont-ils pas là ?
— Olivier parce qu’il serait trop gêné, c’est lui qui a renseigné Valentin, et Gilles pour éviter qu’Olivier se sente délaissé.
— Vous avez pensé à tout ça en m’invitant ?
— Valentin oui. Dis-moi Margot, je ne voudrais pas que tu le prennes mal mais il m’a posé des questions sur ton père.
— Pourquoi mon père ? Qu’est-ce qu’il veut savoir ? Qu’est-ce qu’il lui veut ?
— Quand Valentin pose des questions, c’est qu’il veut aider.
— Mon père est au chômage. Il a été viré de sa boite d’entretien d’espaces verts, pour faute grave à dit son patron.
— Tu sais ce qu’il a fait ?
— C’était il y a six mois, on venait de perdre ma mère, mon père était si malheureux. Il aurait mal répondu à un client qui lui faisait une remarque. La boite a perdu le client et mon père a été licencié.
— Il n’a pas recherché une autre entreprise ?
— Si bien sûr mais elles se sont toutes donné le mot et personne ne veut l’embaucher.
— Oui, je vois, c’est très dur pour vous. Il touche le chômage ?
— Oui, mais quand il a payé le loyer, il reste tout juste de quoi manger. Tu vois, si vous aviez tous décidé de nager, je n’aurais pas pu, je n’ai même pas de maillot de bain.
— Les voici qui remontent. Alors les tritons, pas trop frigorifiés ?
— Bah, quand on s’active dans l’eau, on a moins froid, répondit Florian en s’ébrouant. On se sèche au soleil, ajouta-t-il en s’allongeant sur les planches, imité par Valentin.
— En cours, comment ça va ? poursuivit Mathilde.
— Je suis nulle de chez les nulles !
— Tu n’as pas envie de remonter ?
— J’ai tellement de retard, c’est impossible, ils vont me faire redoubler.
— Et si tu venais travailler avec moi ? Quelques bons résultats redonneraient un peu de moral à ton père, non ? C’est qui ton prof de math ?
— Derrien.
— Comme nous. Viens chez moi ce soir, nous travaillerons la leçon ensemble.
— Ce n’est pas gagné, j’ai la tête dure.
— Quand on a vraiment envie d’apprendre, on retient. Alors c’est d’accord ?
— Je veux bien essayer. Tu es trop gentille de t’occuper de moi.
— Encore une question sur ton père, il n’a pas pensé à monter sa boite ?
— Tu n’y penses pas ! Tu connais le prix du matériel ? Une tondeuse, un taille-haies, une débroussailleuse, une souffleuse, des outils, une camionnette, et j’en oublie sûrement.
— Évidemment...
Bon, je t’attends ce soir, disons vers six heures. J’habite près du rond-point du Berlet. Pour venir depuis les HLM, le plus pratique c’est par la piste cyclable.