« Nous sommes le 15 juin, les grandes vacances seront bientôt là, » annonça madame Laurence Laymarie, la professeure d'éducation musicale. « Pour clôturer l'année scolaire en beauté, nous allons organiser une fête des cinquièmes à laquelle seront conviés vos parents, tous vos professeurs ainsi que monsieur le principal qui en sera l'invité d'honneur. Je demande à tous ceux qui ont un petit talent de s'investir et de proposer un numéro. »
— Ça va être d'un nul ! critiqua Tony.
— Il ne tiens qu'à toi de relever le niveau, Tony. Qu'est-ce que tu sais faire que tu pourrais présenter ?
— Ben... rien !
— Il y a bien un domaine où tu es bon.
— Ben j'suis bon au tir au panier au basket et puis en mob ! J'sais faire des dérapages et des roues arrières.
— Oui, évidemment, sur scène, cela ne sera pas bien possible. Tu ne veux pas plutôt essayer de chanter ou de dire un poème ?
— Sûrement pas !
— Qui veut présenter un numéro ? Oui Mathilde ?
— Je pourrais jouer un morceau de violon.
— Parfait, tu penses à quoi ?
— Pour une fête, j'opterais pour la valse numéro deux de Dimitri Chostakovitch.
— Excellent choix, Mathilde.
— Oh, Chostakovitch, le même que celui de la « chanson des amis » que Quentin a chantée au feu de camp ! se souvint Bouboule.
— C'était quoi cette chanson, Quentin ? Peux-tu nous en fredonner un petit bout ?
L'intéressé toussa plusieurs fois, leva la tête vers le plafond et entonna :
« Allons au devant de la vie, allons au devant du matin... »
— Oui, j'ai déjà entendu cet air. Tu es sûr de l'auteur, Pascal ?
— C'est ce que nous a dit madame Chevallier en tout cas.
— Alors c'est probablement juste. Tu saurais la rechanter en public, Quentin ?
— Je ne sais pas, peut-être.
— Qu'avons nous d'autre comme talents cachés dans la classe ?
— Avec Lucas, s'il est d'accord, on pourrais faire un numéro de gym symétrique, proposa Benjamin : des sauts, des roulades, des équilibres, peut-être des saltos.
— Tu serais d'accord, Lucas ?
— Pourquoi pas mais il faudrait qu'on s’entraîne !
— Vous avez deux semaines pour ça. Ensuite, qui se propose ?
— Je peux essayer de faire un numéro de jonglage avec un ballon de foot, dit Florian.
— Bien sûr que tu peux.
Valentin leva la main et attendit le feu vert de la Lorelei pour prendre la parole.
— Je vais présenter un numéro de magicien, de voyant, de devin, d'extra-lucide.
— Tu es sûr de pouvoir faire ça ?
— Si mon ami Gilles veux bien être mon partenaire, je pense que oui.
— Excellent !
— Mathilde devrait chanter « la nuit », comme au feu de camp, c'était merveilleux, suggéra Pauline.
— « La nuit de Rameau » ? Tu acceptes, Mathilde ?
— D'accord mais pas toute seule.
— Qui se propose ? demanda la professeure.
— Moi je veux bien dit Océane, mais comme Benjamin et Lucas, il faudrait qu'on répète.
— Bien entendu. Je vous aiderai. Qui veux se joindre à eux, toi Marine bien sûr. Toi Anaïs ? Et toi Émilie ? C'est parfait comme ça. Nous commencerons les répétitions dès demain après les cours si vos parents sont d'accord pour vous laisser rentrer plus tard chez vous. Donc vous préparez vos numéros, la fête se déroulera le dernier jeudi du mois de juin. Si vous rencontrez des problèmes, si vous avez des questions, n'hésitez pas à venir me voir. Pour finir, il nous faut une présentatrice ou un présentateur pour annoncer les numéros des cinquièmes C. Mathilde, non ?
— Non madame, j'ai déjà mon rôle de représentant des élèves, alors vous comprenez...
— Qui alors, Olivier ? Tu as une belle voix grave qui passe bien.
— Madame, je ne peux pas apprendre tout sur tous les numéros...
— Mais non, Olivier, tu auras un papier listant ce que tu devras dire. Tu le liras plusieurs fois avant la représentation, sans l'apprendre par cœur, juste pour ne pas avoir les yeux tout le temps dessus quand tu devras annoncer les numéros.
— Le spectacle aura lieu dans quelle salle et y aura-t-il une sonorisation ? s'enquit Valentin.
— Dans la salle de documentation, j'y installerai la sono de notre salle de musique.
— Sera-t-il possible de disposer de deux micros dont un amovible ?
— Je pense que oui. Nous passerons de la musique enregistrée entre chaque numéro. Qui voudra s'en occuper ? Toi, Marion ? Très bien. Vous n'avez plus qu'à travailler vos rôles. Répétition générale le dernier lundi.
— Tu es sûr de pouvoir faire un numéro de magicien ? Tu es doué pour beaucoup de choses mais tu n'es pas magicien ! dit Gilles à son ami Valentin.
— Est-ce que tu crois à la magie ?
— Ben oui ! À la télé j'ai vu des trucs extraordinaires, inexplicables !
— Si je t'envoie un SMS, est-ce que c'est de la magie ?
— Ben non ! Tout le monde peut le faire.
— Si je t'envoie une photo par courriel, est-ce de la magie ?
— Pas plus, je suis capable de le faire !
— Alors Gilles, imagine, nous sommes il y a disons cent ans, tu arrives avec ton smartphone et tu expédies une photo vers un autre smartphone. Que penseraient les témoins de ce phénomène ?
— Ils penseraient à de la magie.
— C'est certain, tu passerais pour un sorcier. Et quelques siècles auparavant, tu serais brûlé en place publique. La magie, c'est le mot que les esprits faibles emploient pour décrire ce qu'ils ne comprennent pas.
— Qu'est-ce que tu vas encore inventer ?
— Imagine : je suis sur la scène et j'ai les yeux bandés ; toi tu es dans la salle, tu choisis une personne, Bouboule par exemple, et tu me dis : « grand devin, la personne que j'ai devant moi est-elle une fille ou un garçon » ? Bien sûr je ne sais pas répondre, sinon au hasard. Mais si tu me dis par exemple « Grand devin, concentrez-vous », j'en déduirais que c'est un garçon. Pour une fille il aurait fallu que tu dises « Grand devin, restez concentré ». En fait c'est toi qui me donne la bonne réponse dans ta question.
— Pas bête !
— C'est une histoire de conventions. Plus fort encore, imagine que tu sois toujours à côté de Bouboule et que tu me demandes ensuite : « Pouvez-vous annoncer son nom ». Si je te réponds sans me tromper : il s'agit de Pascal Boulot, tu penseras que je suis devin.
— Ben oui, un petit peu quand même.
— Et pourtant il n'y aurait rien de sorcier là dedans car c'est toi qui m'aurait encore donné la solution en posant ta question.
— Là je ne comprends pas.
— « Pouvez-vous » commence par quelle lettre ?
— Un P bien sûr !
— Et « annoncer » ?
— Par un A...
— Et « son » ?
— S, évidemment !
— Donc P.A.S, le début de PAScal. Par ta question « Pouvez-vous annoncer son nom », tu m'as donné la réponse sur laquelle je pourrais broder en disant, « je vois... je vois qu'il a les cheveux châtains, qu'il porte des lunettes, qu'il possède un smartphone d'occasion, qu'il a un VTT de marque trucmachin, que je devine que c'est un bon copain etc. et je finis par dire : il s'agit de... Pascal Boulot ! » Imagine l'étonnement des spectateurs.
— C'est sûr ! Mais il faudrait que j'improvise une phrase pour chacun des spectateurs, c'est démentiel comme travail de mémoire.
— Mais non ! Nous conviendrons à l'avance de quatre ou cinq copains ou copines, donc quatre ou cinq phrases à mettre au point, ce n'est pas un effort extraordinaire.
— Tu as d'autres idées comme ça ?
— Plein ! Mais nous allons devoir faire effectivement un effort l'un et l'autre, des mots et des phrases à savoir par cœur. Tu as de la mémoire, je crois...
— Oui un peu. Dis donc Val, j'ai une idée : il faut nous trouver des noms de scène un peu exotiques pour faire plus devin, imagina Gilles.
— Pas bête, tu as une suggestion ?
— Si on prenait nos noms à l'envers ?
— Voyons : Gilles donnerait Sellig et Valentin Nitnelav. C'est imprononçable !
— Prenons Sellig et Nitlav, ça fera mystérieux, d'accord ?
— OK. Tiens, j'ai une autre idée. Tu me feras deviner des noms de professeurs avec simplement l'initiale de la matière, par exemple Grand devin, pouvez-vous me dire etc. le G de Grand pour Gymnastique.
— Mais là, quelque chose ne va pas, comment sauras-tu s'il s'agit du premier ou du second mot, grand ou devin, Gym ou D, dessin ?
— Tu as raison, il faut prévoir un mot d'introduction, le mot clé sera celui qui est juste après... pensa Valentin.
— J'ai trouvé ! J'utiliserai ton nom de scène, par exemple « Nitlav grand devin, pouvez vous me dire qui est cette personne ? » Le mot qui suit Nitlav est le mot Grand. Donc le mot clé est « Grand » qui donne la lettre G. G comme Gym. Et voilà le travail ! Tu n'auras plus qu'à broder sur ce que tu sais de monsieur Doucet avant de dire son nom : il aime les fleurs, il aime la montagne, il a récemment sauvé une vie, il a les cheveux gris, il est habile de son corps, il est... il est... il est prof de gym, il s'agit de monsieur Philippe Doucet ! Et là la salle croule sous les applaudissements.
— Je pourrais aussi deviner une carte prise au hasard dans un jeu de trente deux par une main innocente de l'assemblée.
— Plus difficile cette fois, non ?
— Question de méthode. Imagine encore : seuls toi et le tireur avez vu la carte choisie. Tu dis « cette carte je la mets dans une grande enveloppe que je confie à... Charlotte. Devinez quelle est cette carte, grand devin », je réponds après avoir fait tout un tas de gris-gris, il s'agit de la « dame de cœur » ! Tu demandes alors à Charlotte d'ouvrir l'enveloppe et là, miracle, c'est la dame de cœur.
— Comment est-ce possible ?
— Toujours pareil, c'est toi qui donne la solution avec trois mots clés : grande enveloppe pour les cartes les plus fortes : valet dame roi as, tu confies l'enveloppe à Charlotte avec un C comme cœur et comme tu dis « Devinez », je comprends que c'est une dame.
— Tu aurais pu comprendre Dix de cœur...
— Non car pour les sept huit neuf et dix, tu m'aurais dit « je mets la carte dans une petite enveloppe ». Je te résume le tout :
Si tu dis grande enveloppe : je sais qu'il s'agit d'une carte forte.
Tu dis ensuite : je confie l'enveloppe à Pascal, comme il a des lunettes, cela veut dire veut dire carreau, si c'est à Pauline cela veut dire pique, à Charlotte pour le cœur, à Tony si c'est trèfle et tu enchaînes en disant le dernier mot clé comme Voilà, Devinez, Réfléchissez ou À vous, ces mots correspondant à Valet, Dame, Roi ou As.
Pour les petites cartes les mots clés des couleurs sont les mêmes bien sûr et tu ajoutes par exemple Savez-vous, Hâtez-vous, Nous attendons, Dites-nous pour Sept, Huit, Neuf, Dix.
— Ça va être dur pour moi de mémoriser tout ces mots clés.
— Mais non ! Nous allons en mémoriser quelques uns chaque jour, nous ferons des répétitions partielles et à la fin tu verras, tout va bien fonctionner.
— Il va falloir aussi travailler un jeu de scène et prévoir des costumes.
— Bien sûr, et peut-être aussi penser à d'autres tours de magie. Revoyons-nous demain.