Le repas de midi chez les Valmont venait de se terminer. Valentin qui, estomac noué, avait en partie boudé le gratin de pâtes cuisiné par sa grand-mère, roulait des idées noires dans sa chambre. En attendant son groupe d’amis qu’il avait prévu de recevoir dans le garage, se sentant dans l’impasse, en manque de solutions, il s’efforçait de réfléchir.
« Selon toutes probabilités, la tentative des ravisseurs de passer à l’étranger a été précipitée par l’alerte enlèvement diffusée sur toutes les chaines de radio et de télévision mais ensuite contrecarrée par un barrage de gendarmerie établi à l’initiative de Lemoine. Estimant ne pas avoir de chance de passer, le chauffeur de l’ambulance a fait demi-tour et par conséquent les ravisseurs se trouvent encore en ville ou dans les environs immédiats. Amandine également si… si elle est toujours vivante. »
À cette terrible évocation, des sanglots incoercibles secouèrent la poitrine du sensible adolescent. Se reprenant, bandant sa volonté, il se remit à réfléchir.
« Voyons, les ravisseurs d’Amandine doivent se sentir coincés, bloqués dans un petit périmètre. Ils imaginent bien que, s’ils sont pris alors qu’ils séquestrent notre amie, la sanction pour eux sera de nombreuses années de prison, et s’il arrive malheur à Amandine, l’incarcération à vie. Alors, que ferais-je si j’étais à leur place ?
- Je libèrerais Amandine suffisamment loin de ma planque.
- Ensuite j’abandonnerais l’ambulance ou mieux, je la maquillerais ou mieux encore, j’y mettrais le feu pour anéantir toutes les preuves.
- Tant que mon signalement ne serait pas diffusé, je tenterais de quitter la région, en car, en train ou au pire en autostop.
Et moi, qu’est-ce que je peux faire en attendant les amis ? »
Valentin en était là de ses réflexions quand son smartphone vibra. Un coup d’œil à l’écran lui indiqua « Pascal appelle. » Il accepta immédiatement la communication.
— Val, Val, c’est urgent ! En passant une fois de plus dans le bois du parcours de santé pour chercher des idées, j’ai aperçu une personne qui ressemble à Amandine. Elle est assise sur une souche, elle a une couverture sur les épaules et un peu sur la tête, elle est pieds nus et elle se dandine d’avant en arrière. Elle n’a pas eu l’air de me reconnaitre quand je suis passé près d’elle. Si c’est bien Amandine, elle a une expression que je n’ai jamais vue sur son visage.
— Bouboule, ne perds pas cette personne de vue, mais pas trop près d’elle. Je fonce et je te rejoins. En m’attendant, envoie un message à tout le groupe pour décommander la réunion qui devait avoir lieu chez moi et demande le rassemblement à l’entrée du camp scout. Tu peux faire ça ?
Sans attendre l’approbation de Pascal, Valentin coupa la communication, sauta sur son VTT et fonça tête baissée. Arrivé au souterrain sous la grande départementale, il ne prit pas la peine de descendre de vélo, il sauta les larges marches debout sur les pédales et remonta de même en soulevant brutalement le guidon à chaque degré.
Gilles avait déjà rejoint Bouboule, les autres arrivaient en ordre dispersé.
— Où est-elle ? haleta Valentin.
— Dans le bois, près de l’échelle horizontale. On la rejoint ? suggéra Bouboule impatient.
— Non, pas nous. Je pense qu’il vaut mieux que ce soit une fille qui l’aborde, Mathilde ou Pauline. Elles sont rassurantes.
— Tu as sûrement raison, opina Gilles, d’ailleurs les voici avec Lucie.
— Bouboule, reprit Valentin, toi qui es le meilleur pour les prises de vue, pourrais-tu, l’air de rien, faire des vidéos ou des photos de tous gens qui pourraient passer par ici.
— Je ne vois pas pourquoi, mais d’accord.
— Salut les filles. Pauline, je sais qu’Amandine t’aime beaucoup, Pascal pense l’avoir repérée près de l’échelle de suspension. J’aimerais que tu y ailles seule et, si c’est bien elle, que tu prennes contact le plus gentiment possible. Pascal dit qu’elle est pieds nus et qu’elle a une couverture sur les épaules. Quand tu auras établi la confiance, amène-la calmement vers nous. Ne lui pose pas encore de questions sur ce qui s’est passé, elle doit être super traumatisée et je crois que ce ne serait pas bien pour elle de revivre tout cela mentalement. Vas-y Pauline, avec tous les copains qui vont encore arriver, nous t’attendons ici, à la barrière du camp. Encore une chose, Lucie va te suivre de loin, tu veux bien Lucie ? Si effectivement c’est Amandine, Pauline peut te faire un signe de reconnaissance, par exemple replacer une mèche de ses cheveux derrière l’oreille, comme ça, tu pourras revenir nous dire.
Une fois Pauline engagée dans le bois, Mathilde hasarda :
— Vous ne pensez pas qu’il faut d’urgence prévenir ses parents et la gendarmerie ?
— Rien ne presse, répondit Gilles. Si c’est bien Amandine, et on va bientôt le savoir, maintenant, avec nous tous pour la protéger, elle ne craint plus rien. J’imagine bien que ses parents doivent être morts d’inquiétude mais une heure de plus ou de moins n’y changera rien.
— D’accord avec Gilles, appuya Valentin. Je pense qu’il faut la laisser raconter d’elle-même ce qui lui est arrivé et surtout ne pas la brusquer. Mettons-nous mentalement à sa place.
— Voilà Lucie qui revient, elle fait signe que oui, remarqua Charly, Amandine est sauvée, c’est formidable !
— Je pense que Valentin a raison, argumenta Mathilde. Attendons que Pauline nous la ramène. Aucune brusquerie, vous êtes bien d’accord ? Il faut que tout vienne d’elle. Contentons-nous de lui sourire et de lui dire que nous sommes hyper-heureux de la revoir.
— Voilà Pauline qui revient avec son bras sur l’épaule d’Amandine,
mathilde a raison, souriez tous, il faut qu’elle se sente dans son groupe d’amis.
Un plaid sur les épaules, mèches de ses longs cheveux collées, le teint pâle, collant vert déchiré au niveau des genoux, les yeux hagards, les lèvres décolorées, Amandine n’était plus que l’ombre de la jeune fille sportive et exubérante qu’elle était encore trois jours auparavant. Elle porta néanmoins un regard craintif sur tous ses amis. Quand elle eut fait le tour du petit aéropage, un semblant de sourire se dessina sur son visage trop pâle.
— Vous êtes tous là, constata-t-elle. Que m’est-il arrivé ?
— Tu ne te souviens de rien ? s’inquiéta Eva.
— J’ai des flashs dans la tête. Je vois des choses que je ne connais pas.
— Titamande, reprit doucement Valentin, te rappelles-tu que chaque jour tu courrais plusieurs kilomètres pour garder la forme et maigrir un peu bien que tu n’en eusses aucun besoin ?
— Tu l’appelles Titamande ? s’étonna Emily.
— C’est le joli pseudo qu’elle utilise sur Facebook.
— Oui, je me souviens… Je suis partie courir… Quand ? Je ne sais plus. Là-bas, dit-elle avec un mouvement de menton vers le bois, quelqu’un m’a bousculée, m’a bousculée deux fois je crois et après, c’est le trou noir sauf…
— Dis-nous, Amandine, tu peux tout nous dire tu sais, nous sommes tes meilleures amies, incita Eva.
— Oui Eva, je le sais. Attends, attendez… Non, je ne me rappelle plus de rien… sauf à la fin… enfin je crois que c’était vers la fin, j’étais dans un camion, une camionnette plutôt. J’étais allongée sur une sorte de lit et une ceinture ou plutôt une sangle me maintenait attachée au niveau du ventre, mes bras étaient bloqués et j’avais une couverture, une sorte de plaid à carreaux sur la tête et le corps. Avec mes dents, j’ai réussi petit à petit à tirer le plaid vers le bas et j’ai vu deux hommes aux places avant. Ils ne me surveillaient pas. En me contorsionnant, j’ai réussi à faire monter la sangle vers ma poitrine et à libérer mes avant-bras jusqu’aux coudes. Les deux types devant semblaient très énervés, surtout celui qui conduisait. Ils parlaient fort. J’ai réussi à plier mes avant-bras et à déboucler la sangle. À un moment la camionnette s’est arrêtée. Je suis descendue du lit, j’ai réussi à ouvrir la porte de derrière et j’ai sauté. Je n’avais pas de chaussures, je crois que je me suis écorché les pieds. Un des hommes a ouvert sa portière et a sauté lui aussi. Il a essayé de me poursuivre. À ce moment, une voiture venait en sens contraire. L’homme est remonté dans la camionnette qui s’est mise à reculer car la route étroite ne permettait pas de croiser. C’était pas loin d’ici je crois. Je me suis réfugiée dans le bois-là et je me suis cachée dans un buisson. Je ne sais pas combien de temps j’y suis restée. Ensuite je me suis assise sur une souche. J’ai vu passer un ou deux cyclistes et quelques coureurs. Ils ne m’ont rien demandé. C’est tout.
— Tu sais Amandine, depuis trois jours nous t’avons beaucoup cherchée, expliqua Charly. Tu veux savoir ce que nous avons appris ?
— Oui, dis-moi.
— Ça a commencé jeudi dernier, heu, on est samedi aujourd’hui. Donc jeudi tu n’es pas venue en classe et ça a nous semblé étrange à tous. Val a téléphoné à ta sœur pour savoir, elle lui a dit que tu avais disparu, que tu étais partie courir la veille et que tu n’étais pas rentrée. Alors avec tous tes amis, nous avons essayé de reconstituer tes trajets, nous avons beaucoup questionné les gens rencontrés et nous avons fini par recueillir des témoignages. Là je raconte tout parce qu’il y en a dans le groupe qui ne savent pas les détails. Ça s’est effectivement passé dans ce bois où Pauline viens de te rejoindre. Pendant que tu courrais sur le petit chemin, un jogger t’a bousculée. Bien sûr tu as râlé et à ce moment-là, un autre coureur t’a rebousculée. Il parait que tu as rouspété à nouveau très fort et crié que quelque chose t’avait piqué le derrière. Un des deux hommes s’est excusé en disant qu’il t’avait poussée sans le faire exprès contre un acacia épineux. Valentin et moi sommes allés vérifier l’endroit de la bousculade qu’on nous avait indiqué. Eh bien, il n’y a pas d’acacia à cet endroit-là !
— Ben alors, c’était quoi ? s’étonna Quentin.
— C’est là que nous avons compris que la bousculade était programmée, enchaina Valentin, et que l’un de ces deux hommes t’avais volontairement injecté dans la fesse un produit pour t’endormir. Un autre témoignage nous a permis de savoir qu’il y avait une ambulance stationnée dans ce parking, là, à côté de nous et que deux hommes en blouses blanches t’avaient chargée sur un brancard et emmenée. Les éventuels témoins ont dû penser que c’était deux infirmiers qui intervenaient pour un malaise.
— Tu as été enlevée, Amandine, dit Olivier, mais tout va aller beaucoup mieux maintenant, tu as réussi à te sauver, dans les deux sens du mot. Montre-moi tes pieds ? Ah oui, il faudrait désinfecter tout ça rapidement.
— Écoute Titamande, le mieux que l’on puisse faire maintenant pour toi, c’est d’appeler la gendarmerie, reprit Valentin. Tes parents ont prévenu les gendarmes mercredi soir et ceux-ci sont à ta recherche. Ils se chargeront d’annoncer la bonne nouvelle à ta famille. Je pense également qu’ils vont faire appel à un médecin pour vérifier… ton état de santé. Tu es d’accord pour que nous les appelions ?
— Je te fais bien confiance Val, fais-le si tu penses que c’est comme ça qu’il faut faire.
Valentin se concentra longuement puis sortit son smartphone et composa le numéro personnel de l’adjudant-chef Lemoine. La communication fut acceptée dès la deuxième sonnerie.
— Valentin, tu as du nouveau ?
— Une super bonne nouvelle, mon adjudant-chef, nous avons retrouvé Amandine.
— Elle va bien ?
— Aussi bien que possible après ce qui lui est arrivé.
— Où êtes-vous ? Où est-elle ?
— Nous sommes tous les quatorze à l’entrée du camp scout.
— Ne bougez pas, nous arrivons immédiatement.
— Discrètement s’il vous plait, il se peut que les ravisseurs soient encore dans le coin.
— Tu es sûr de ce que tu viens de dire ? s’inquiéta Amandine dès que la communication fut coupée.
— Non, pas vraiment, mais ces types ne veulent sûrement pas laisser de témoin de leur méfait. Donc ils doivent encore chercher à te retrouver. As-tu remarqué que Bouboule fait une photo de temps en temps ?
— C’est vrai ça, remarque Florian, pourquoi ?
— Pour avoir une image de tous ceux qui sont passés dans ce coin depuis que nous avons retrouvé Amandine. Peut-être que cela n’aura servi à rien mais peut-être que si. Bon, maintenant les gendarmes ne vont pas vouloir que nous allions tous avec eux mais je vais insister pour que deux d’entre-nous accompagnent Amandine, une fille et un garçon. Qui ?
— Toi Valentin, proposa Mathilde et aussi Pauline. Tu peux Pauline ? Vous êtes d’accord ?
— Et si Lemoine ne veut pas ? objecta Gilles.
— Dans ce cas, je refuserai d’aller avec eux, voilà !
— Amandine, là je te retrouve ! conclut Valentin.