Les équipe de patrouille dispersées, le trio de Valentin traversa le camp scout vers le lac à allure soutenue puis emprunta le chemin conduisant à la petite crique où débouchait la digue aux platanes. Ils allaient y arriver quand le téléphone de Valentin émit un petit jingle. Stoppant immédiatement son VTT, il sortit son appareil et lut à haute voix : « homme, t-shirt blanc, casquette américaine NY », c’est un message d’Olive.
— Pourquoi diable cet homme, si c’est bien celui qui nous concerne, passe-t-il par le chemin de la digue qui ne mène qu’à l’acrobranche et au lac, réfléchit-il tout haut.
— Peut-être parce qu’il pense avoir été repéré par Margot et Olivier, supposa Eva, ce qui est le cas, donc il fait un détour pour rejoindre son complice.
— Ou son véhicule, oui Eva, bien raisonné, félicita Valentin.
— Si on continue et qu’on le croise, il va se douter de quelque chose, enchaina Bouboule.
— Tu as raison Bouboule, il nous a observés à la jumelle, il a évidemment repéré Amandine dans le groupe et sait que nous sommes avec elle. Il nous a probablement tous dévisagés donc il pourrait nous reconnaitre. Demi-tour les amis. Il nous faut trouver un endroit où nous pourrions l’observer à notre tour sans nous faire voir.
— Cet homme ne marche pas sans but, fit encore observer Eva tout en roulant vers la plage, à mon avis, comme tu l’as dit, il cherche à rejoindre son complice et sûrement leur véhicule.
— Donc il va se diriger vers les parkings de la plage ou celui du port, de l’autre côté de la rivière. Allons-y, nous attacherons nos vélos aux arceaux près de la plage. Pascal et moi nous traverserons par la passerelle et nous irons nous cacher entre les voitures pour observer son arrivée. Eva, j’aimerais que tu restes vers les vélos et que tu nous préviennes, Pascal et moi, dès que tu le vois.
— Je vais faire ça. Je suis trop insignifiante pour qu’il me remarque et s’intéresse à moi.
— Tu es loin d’être insignifiante, Eva. La preuve, tu viens d’émettre deux idées déterminantes.
— Il ne faut pas te dévaloriser comme ça Eva, opposa Pascal. Dans le groupe, tout le monde connait ta valeur et te considère. Pour le plan d’action, je suis d’accord avec Val, c’est un bon plan, je mets mon smartphone sur vibreur. À tout à l’heure, on se tient au courant, sois discrète.
Bouboule et Valentin se hâtèrent vers le mini-pont traversant le torrent près de la plage, repérèrent un quatre-quatre en stationnement suffisamment haut pour qu’ils n’aient pas à rester accroupis pour guetter la probable arrivée du kidnappeur.
— À ton avis, pourquoi cet affreux a-t-il enlevé notre copine ?
— Cela m’a tracassé. Toi-même, quand tu as été kidnappé il y a deux ans , c’était pour t’enrôler de force dans une secte, mais là je pense que c’est différent, Amandine est une jolie jeune fille et que peuvent faire des hommes sans scrupules avec une jolie fille ?
— Tu penses qu’ils ont… abusé d’elle ?
— Je ne crois pas puisqu’ils roulaient avec elle dans l’ambulance quand tu les as repérés et as photographié leur véhicule. Ils avaient une destination, ils voulaient l’amener quelque part à l’étranger. Une ambulance avec un gyrophare est un bon moyen de passer une frontière rapidement.
— Dans ce cas, c’est étrange quand même qu’ils empruntent maintenant les petites routes.
— Ils pensent avoir été repérés et veulent échapper aux éventuels contrôles de police et de gendarmerie.
— Oui, c’est logique. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? questionna Pascal.
— À part attendre, je ne vois pas trop.
— Je déteste rester sur place à ne rien faire, j’ai l’impression qu’il me pousse des racines sous les pieds. J’ai envie de faire le tour des stationnements pour tenter de repérer leur ambulance, même maquillée.
— Tu risques de te faire repérer toi aussi, il doit être sur le qui-vive cet homme.
— J’enlève mes lunettes, échangeons nos t-shirts et file-moi ta casquette. Comme ça, il ne pourra pas me reconnaitre.
— Tu y vois bien sans lunettes ?
— Suffisamment pour reconnaitre les voitures. Dès que Eva fait signe, on se contacte.
— OK, sois prudent.
Bouboule était à peine parti que le téléphone de Valentin vibra. « Eva nous signale l’arrivée du type », pensa-t-il aussitôt, mais un rapide coup d’œil à l’écran lui indiqua que le message émanait de Gilles. « Amandine non maltraitée, aucun renseignement probant. Que fait-on ? »
Valentin réfléchit à toute vitesse.
« Que va faire cet homme ? Quelle sont ses possibilités ?
Un, retrouver son complice et - ou son véhicule au parking où nous sommes ou à proximité.
Deux, continuer par le chemin du bord du lac et par les roselières aller à un rendez-vous avec son complice.
Trois, il compte remonter à pied jusqu’au village par la route de la plage.
Quatre, pareil mais en passant par la route qui traverse le camp scout.
Comment savoir ? Il faut que nous positionnions une équipe à chaque point stratégique. Pour les parkings du coin, il y a Pascal Eva et moi. Pour le chemin des roselières, il faut que Charly aille se poster avec Emily près de leurs maisons. Il me faut une autre équipe sur la route de la plage, là où elle coupe la voie verte, Florian et Mathilde par exemple. S’il repart sur la route du camp scout, il faut qu’une équipe retourne vers le petit parking à son entrée, ou plutôt qui se cache dans le bois du parcours de santé. Je vais demander à Gilles et Pauline s’ils peuvent s’y faire conduire rapidement. Je laisse la dernière équipe, Quentin et Lucie patrouiller.
Il en était là de sa rapide réflexion quand l’arrivée d’un message succinct fit vibrer son smartphone. Il venait du vieux téléphone à clapet d’Eva. « Le voilà » disait-il. Valentin tourna la tête vers le mini-pont le plus près de lui puis vers la passerelle de la plage et porta son regard alternativement de l’un à l’autre sans rien voir venir. Après deux minutes d’attente infructueuse, temps qu’il estimait largement suffisant pour le voir apparaitre, il fut pris d’une grande inquiétude. « J’espère qu’il n’a pas repéré notre Eva… » Au moment précis où il prononça mentalement le nom de son amie, un nouveau SMS de celle-ci s’afficha sur son appareil : « vers embouchure » disait-il. Soulagé, il répondit immédiatement « Suis discrètement » puis il pianota pour Bouboule : « RV esplanade ». Abandonnant son poste d’observation, il fonça vers le bout de la route de la plage, Pascal s’y trouvait déjà. Valentin lui fit deux signes de l’index : « silence et suis-moi. »
L’esplanade était une vaste pelouse plantée d’une ligne de platanes taillés à l'horizontale de façon à produire de l’ombre pour les estivants allongés sur l’herbe. Elle était encore fréquentée par les derniers vacanciers de septembre. Imité par son copain, il s’assit dans l’herbe douce.
— Tu as aussi reçu le message d’Eva ?
— Bien sûr. Que va-t-il faire selon toi ?
— Depuis l’esplanade, il n’a plus que deux possibilités puisqu’il n’a pas de voiture, soit il va vers le village en remontant la route de la plage, soit il suit le chemin du bord du lac. Appelle Charly pour lui demander de retourner chez lui avec Emily et de surveiller le chemin. Ils devront le filer s’il passe par là. Moi je téléphone à Florian et Lucie de monter la garde au carrefour voie verte – route de la plage et de le suivre ensuite si c’est la bonne option.
— Oui, bien réagi. Où qu’il aille, on va le pister. J’appelle tout de suite. Hé, regarde vers la passerelle de l’embouchure, c’est lui ! Qu’est-ce qu’on fait ?
— Allongeons-nous sur l’herbe et téléphonons comme prévu.
Près de la margelle limitant le lac, dans l’eau tiède jusqu’à la ceinture, quelques baigneurs barbotaient. Des adolescents téméraires montaient sur les pilotis de l’embarcadère pour plonger dans l’eau profonde.
L’homme, après s’être retourné deux ou trois fois tout en avançant profita d’une place qui venait de se libérer sur un banc public du bord de l’eau. Il sortit un smartphone de sa poche arrière de pantalon, pianota un instant dessus puis le porta à son oreille.
— Est-ce que nous nous sommes trompés ? Est-ce que tu es sûr que c’est un des ravisseurs d’Amandine ? Il a l’air cool, il se comporte comme n’importe quel vacancier.
À ce moment, l’homme sortit de dessous son T-shirt une petite paire de jumelles et se mit à regarder vers le lac et l’autre rive.
— Mais qu’est-ce qu’il fait ? marmonna Bouboule.
— Il mate les jolies baigneuses, dit en rougissant Eva qui venait de les rejoindre.
— Il possède des jumelles ! C’est la preuve que j’avais bien vu qu’il nous observait ! fit remarquer Valentin. Il vous en faut d’autres ?
Deux coups de sirène impérieux se firent entendre annonçant l’accostage imminent d’un gros bateau de promenade sur le lac. Les adolescents plongeurs quittèrent leur terrain de jeu, remplacés par une petite queue de sept ou huit personnes désireuses d’embarquer. L’homme n’avait pas bougé de son banc mais au moment où la dernière personne de la queue montait, il se leva, fonça vers la plate-forme d’embarquement, sauta dans le bateau au moment où un employé larguait et repliait son amarre provisoire Sous les yeux éberlués de Pascal et Valentin, le gros bateau rouge et blanc s’éloigna dans un grand bouillonnement de son hélice.
— Flûte de flûte de flûte ! s’énerva Valentin, j’ai pensé à tout sauf à ça !
— Alors c’est fichu, se désola Bouboule. Qu’est-ce qu’on décide ?
— J’envoie un WhatsApp à tous les copains, répondit Valentin en sortant son smartphone : « Rendez-vous esplanade tout de suite. »