Sur la magnifique voie verte dominant le lac, Pauline et Valentin pédalaient calmement sous le soleil encore chaud de septembre. Valentin ne répondant que par de vagues grognements à ses commentaires enthousiastes sur l’environnement, la fille se contentait maintenant d’admirer le paysage : le splendide écrin des montagnes sous un ciel limpide, l’incroyable couleur bleue des eaux, les vertes forêts montant à l’assaut du gris clair des cimes.
Valentin, complètement dans sa bulle, tentait d’imaginer la façon d’aborder l’homme qu’il voulait voir. Devait-il lui raconter toute l’affaire ou simplement se limiter au problème des fausses plaques ? Devant l’impossibilité d’imaginer une histoire plausible s’il ne mentionnait pas ses rapports avec la gendarmerie, il décida de dramatiser et de tout dire sur l’enlèvement de leur amie en insistant sur le changement de numéro minéralogique du véhicule soupçonné. Anticipant les questions à poser, il décida, après des présentations polies pour s’attirer la sympathie, de raconter tout et de demander ensuite s’il avait eu un problème avec la carte grise.
Quand tout fut clair dans sa tête, il s’excusa auprès de son amie.
— Pardonne-moi Pauline, quand je réfléchis, je suis complètement absent.
— Tout le monde sait ça dans le groupe. Quand on te voit ainsi, on te laisse tranquille et personne ne se vexe. On sait que, la plupart du temps, c’est quand tu penses aux autres que tu te comportes comme ça.
— Là, je réfléchissais à la meilleure façon d’aborder monsieur Blanc.
— Monsieur Bl… Ah oui, le propriétaire du Fiat. Comment tu comptes t’y prendre ?
— Lui raconter toute l’histoire, tout simplement.
— Tu connais son adresse ?
— Oui, il habite à Marboz, rue de l’Arcalod mais je n’ai pas le numéro.
— Alors nous allons faire toutes les boites aux lettres. Pourvu que la rue ne fasse pas un kilomètre ! Peut-être qu’on verra son utilitaire Fiat stationné dans la rue.
— Cela nous simplifierait vraiment la tâche. Nous allons arriver au bourg de Marboz, je m’arrête un instant pour programmer mon navigateur.
Pieds au sol, à cheval sur le cadre de son VTT, Valentin tapota un instant son écran, plissant les yeux à cause de la luminosité ambiante. Portant l’appareil près de sa bouche, il articula : « rue de l’Arcalod, Marboz, en vélo » puis il sortit ses écouteurs qu’il plaça soigneusement.
— C’est bon Pauline, nous pouvons rouler.
Longue d’environ deux cents mètres, la rue de l’Arcalod était bordée de maisons et de chalets de style savoyard, chaque logement possédait sa petite pelouse et son garage.
— Je ne vois aucun fourgon, aucun utilitaire en stationnement dans cette rue, se désola Pauline, on va devoir se payer toutes les boites à lettres.
— Faisons ça, quel côté préfères-tu ?
— Le trottoir où nous sommes.
Pauline consciencieusement avait examiné les boites des cinq premières maisons quand elle appela Valentin.
— Viens voir Val, je crois que j’ai trouvé, monsieur et madame Joseph Blanc.
Valentin traversa la rue, rejoignit Pauline devant une maison aux murs bardés de bois façon chalet. Sur la pelouse de la maison était stationné un camping-car. Les yeux de la fille étaient fixés sur la plaque d’immatriculation du véhicule, un air de totale incompréhension plissait son visage. CA-956-EN, c’est bien le numéro qu’on cherche mais ce n’est pas un Fiat, c’est un Rapido !
— Attends Pauline, Rapido, c’est la marque de la cellule d’habitation, pas celle du porteur. Regarde les enjoliveurs, c’est bien marqué Fiat au centre.
Pris cependant d’un doute, il fit venir sur l’écran de son smartphone la photo de Florian permettant de voir le numéro de la fausse ambulance. « C’est bien le même » murmura-t-il pour lui-même. « Allez, je sonne ! »
Une dame d’un certain âge, l’air méfiant, vint ouvrir au bout d’une dizaine de secondes. Voyant les deux adolescents, elle eut l’air étonné. Fidèle à sa gestuelle habituelle, Valentin ôta sa casquette et demanda poliment.
— Bonjour madame, excusez-nous de vous déranger, nous désirons voir monsieur Blanc.
— Je suis madame Blanc, que désirez-vous ?
— C’est un peu compliqué à expliquer, il s’agit de votre camping-car.
— Comment cela ? Que voulez-vous dire ?
— Que se passe-t-il ? dit soudain un homme d’une bonne soixantaine d’années qui venait d’apparaitre derrière la dame.
— Bonjour monsieur, dit à son tour Pauline en souriant, nous avons remarqué votre camping-car, il est splendide. C’est à cause de son numéro de plaque que nous venons vous déranger.
— Expliquez-vous, mademoiselle.
— Voilà, nous avons une amie qui a été enlevée, vous avez peut-être entendu ou vu les alertes à la radio et à la télé.
L’homme eut une moue sceptique mais la femme acquiesça.
— En effet, j’ai entendu ça à la radio, mais quel rapport avec notre camping-car ?
— Notre amie qui se prénomme Amandine a été retrouvée saine et sauve. L’enquête menée par la gendarmerie de Saint Thomas du lac où nous habitons a fini par conclure que le véhicule des ravisseurs avait comme numéro CA-956-EN.
— Mais c’est notre numéro ! s’exclama la femme.
— Oui, et c’est pourquoi nous vous ennuyons.
— Entrez, dit monsieur Blanc, assis nous serons plus « confortables » pour discuter.
Quand tous furent assis dans le coquet et confortable salon, Valentin prit le relai.
— Deux véhicules ne peuvent pas avoir le même numéro, donc il semble bien que vos plaques aient été copiées. Faire réaliser une plaque, ce n’est possible qu’en présentant la carte grise du véhicule à un garagiste agréé et c’est là qu’on ne comprend plus. Tenez, regardez cette photo, prouva-t-il en présentant l’écran de son smartphone. C’est le fourgon des ravisseurs, le numéro est bien le même. Nous espérons que vous allez nous aider à comprendre.
Le visage de l’homme se ferma en signe de réflexion.
— Vous avez bien votre carte grise ? intervint Pauline.
— Oui, bien entendu dit madame Blanc en allant chercher un porte-cartes dans un meuble secrétaire, la voici.
— Auriez-vous prêté votre camping-car à quelqu’un ? poursuivit Pauline.
— Non, pas du tout.
— C’est inexplicable. Un garagiste possédant le matériel pour emboutir les plaques donc agréé par l’administration ne prendrait jamais le risque de faire des fausses. Il se retrouverait au tribunal avec à la clé une forte amende, peut-être de la prison et la fermeture de son garage.
— Attends Joseph, rappelle-toi, il y a cinq ou six ans, notre maison a été visitée. J’étais en courses, tu bricolais au garage, la porte n’était pas verrouillée et pendant ce temps quelqu’un est entré. Nous ne nous sommes rendu compte de rien sur le moment, expliqua-t-elle aux deux jeunes. C’est le lendemain en cherchant son portefeuille lequel se trouvait habituellement dans une pochette-sac à main pour homme que nous nous sommes aperçus qu’elle n’était plus à sa place habituelle. À l’intérieur de cette pochette il y avait notre carte bancaire, sa carte d’identité, son permis de conduire, divers papiers dont la carte grise de notre camion ainsi que cent vingt euros. Deux jours plus tard, alors que nous allions faire la déclaration de vol, les démarches pour renouveler tous les papiers, un homme s’est présenté avec la pochette en indiquant qu’il l’avait trouvée dans un buisson des espaces verts du village. À l’intérieur, il y avait tout sauf la carte bancaire et l’argent liquide. Nous nous sommes alors contentés de faire opposition auprès de la banque.
— Donc il est probable que la carte grise ait été utilisée à cette période, déduisit Valentin. À quoi ressemblait cet homme si honnête ?
— Un homme sympathique, vingt – vingt-cinq ans, habillé en sportif.
— A-t-il donné un nom ?
— Pas que je me souvienne. Nous lui avons donné vingt euros pour le service qu’il nous rendait.
— L’aviez-vous déjà vu auparavant ou après cet épisode ?
L’homme et la femme secouèrent la tête. Après un temps mort, Pauline annonça :
— Bon, et bien merci monsieur et madame, il ne nous reste qu’à prendre congé.
— Attendez, dit monsieur Blanc, si un fourgon affiche sur sa plaque le même numéro que mon camping-car, s’il commet une infraction, c’est nous qui allons recevoir la contravention ?
— Oui, j’en ai peur, approuva Valentin, mais en fait, ce serait une chance de retrouver ces malfaiteurs si la gendarmerie pouvait les retrouver par ce moyen de les localiser. Si c’est le cas, contactez tout de suite l’adjudant-chef Lemoine à la brigade de Saint Thomas du lac. Je vous donne le numéro officiel et s’il le permet, je vous ferai parvenir son numéro personnel.
— Vous êtes de sa famille ? demanda monsieur Blanc.
— Non mais j’ai eu l’occasion de lui rendre service et depuis il m’aime bien. Nous vous remercions de nous avoir reçus. Passez de bonnes vacances dans votre beau camping-car.
— Merci aussi à vous. Dans une semaine nous allons repartir. Hors saison, la côte méditerranéenne est très accueillante. Au revoir, c’est agréable d’avoir affaire à des jeunes bien élevés.
— Une belle promenade pour rien, hein ? fit Pauline quand ils furent sortis.
— Pas tout à fait pour rien ma belle. En plus de la balade, nous pouvons maintenant confirmer à la gendarmerie les circonstances du vol de la carte grise. Sans compter que, s’il y a infraction au code de la route, un excès de vitesse par exemple, Lemoine peut être averti immédiatement du lieu où cela a été commis donc de localiser un secteur pour mieux cibler les recherches.
— D’accord, s’ils commettent des infractions.
— Ces deux mecs ont l’habitude de rouler à fond dans une pseudo-ambulance, même s’ils vont faire attention au début, l’habitude va vite reprendre le dessus, surtout s’ils ne se sentent plus soupçonnés. Ils peuvent aussi se faire coincer lors d’un contrôle car la carte grise correspondant au numéro, ils ne l’ont pas !
— Qu’as-tu envie de faire maintenant ?
— Un : rentrer à Saint Thom, deux : manger, trois : cet après-midi j’aimerais aller voir Amandine pour discuter.
— Je peux aller avec toi ?
— Si tu veux, je l’appellerai pour lui demander si elle accepte de nous voir.
— Mais elle n’a plus de téléphone ! Comment vas-tu faire ? Tu as celui de ses parents ?
— Je vais appeler sur celui de sa sœur Camille, j’ai son numéro depuis une triste aventure en ville dans une cave d’immeuble . Rentrons vite manger un morceau et retrouvons-nous en début d’après-midi, passe me prendre.