VALENTIN DÉTECTIVE

22. PHOTOS

Quand ils eurent pris congé d’Amandine, de sa sœur et de sa mère, Pauline et Valentin roulèrent un instant de front sur la petite route peu fréquentée en ce dimanche après-midi.
— Val, il va falloir que je te laisse, je dois rentrer.
— Bien sûr Pauline.
— Nous n’avons pas beaucoup progressé mais je suis heureuse de voir Amandine récupérer.
— Surtout quand on imagine ce à quoi elle a échappé.
— Les mecs sont vraiment des salauds !
— Heu, je te rappelle quand même que dans notre groupe il y a sept mecs comme tu dis.
— Oui, bon ben il y a des exceptions. Demain il y a classe, on ne pourra pas faire grand-chose pour l’enquête, d’ailleurs je ne vois pas dans quel sens continuer à chercher. On commence par quel cours ?
— Maths. Révision du théorème de Thales.
— Aïe !
— Mets-toi à côté de moi, je t’aiderai sur les points qui te sembleront difficiles.
— Tu veux que je prenne la place d’Emily ?
— Pas sa place, son siège !
— Comprends pas.
— Emily n’a pas de place spéciale pour moi, elle est dans le groupe au même titre que les autres filles, et les autres mecs ! ajouta Valentin avec un sourire ironique.
— Oui, bon alors à demain Val. Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ?
— Je vais passer voir Pascal, il est plein de ressources notre Bouboule. Salut.
Valentin, en quelques coups de pédales appuyés, distança Pauline qui bifurqua par le chemin des morilles pour gagner ensuite la route du col et sa maison pendant que le garçon par la passerelle et le chemin des écoliers rejoignait la place de la mairie. Arrivé là, il stoppa et appela Pascal.
— Où es-tu mon vieux ?
— Je suis retourné dans le bois au niveau du parcours de santé. Je réfléchis à notre affaire.
— Tu as du nouveau ?
— Non, rien de rien.
— Tu peux passer chez moi ? Ma grand-mère a fait une tarte aux framboises pour le goûter.
— J’arrive !

Dans sa chambre, après le goûter que Pascal trouva délicieux, Valentin lui fit un petit compte-rendu de l’entrevue avec Amandine.
— Finalement, vous avez reçu une description sommaire des deux types : un de taille moyenne, brun aux cheveux razibus avec un t-shirt blanc floqué d’un arbre et un autre plus grand avec une coupe mulet. Le mec en T-shirt blanc, on l’a aperçu à l’esplanade mais de loin. Qu’est-ce qu’on peut faire avec ça ?
Valentin, un peu découragé, haussa les épaules.
— Je vais passer à la gendarmerie pour voir le brigadier d’astreinte et tenter de lui soutirer des renseignements.
— Moi je vais rentrer. Pour demain, en maths, Air de rien veut qu’on révise le théorème de Thales. Je ne suis pas très au point là-dessus. Tu ne révises pas, toi ?
— Non, ça va, je suis au top.
— Tu as vraiment du bol de tout retenir aussi facilement.
— Ce n’est pas de la chance mais l’effet de l’attention pendant les cours. En fait, se concentrer comme je le fais, c’est un truc de paresseux, je travaille beaucoup moins longtemps que toi, que vous tous. Essaie, tu verras.
— Travailler moins pour retenir plus, je retiens ta formule ! Allez, je me casse, salut, à demain.
— Attends, avant de partir, donne-moi toutes les photos que tu as prises avant-hier vendredi quand nous avons retrouvé Amandine.
— Tiens, voilà mon smartphone, tu sais mieux faire que moi.
Valentin sortit la clé informatique à double entrée de son secrétaire et, après branchement à l’appareil de Pascal, opéra rapidement le transfert.
— Je ne pense pas que tu trouves quoi que ce soit d’intéressant dans ces images. Je les ai prises parce que tu me l’as demandé mais il n’y a dessus que des passants anonymes sans intérêt.
— Dans ce cas, ce sera corbeille et puis voilà. Va vite réviser mon Bouboule.

Valentin pressa le bouton d’interphone à la grille de la gendarmerie.
— C’est pourquoi ? Déposer une plainte ? grommela une voix bourrue.
— Non, pas du tout monsieur le brigadier Guimard, c’est Valentin Valmont.
— Ah bon, entre.
Un grésillement annonça le déverrouillage du portail. Connaissant bien les lieux, Valentin gagna la porte d’entrée du local de travail des gendarmes et entra délibérément. Assis derrière un bureau métallique laqué gris, le brigadier Guimard tapait laborieusement un rapport d’accident sur le clavier d’un ordinateur pas trop démodé.
— L’adjudant-chef est dans son bureau ? questionna Valentin sachant très bien qu’il n’y était pas.
— C’est dimanche mon jeune ami, c’est moi qui est d’astreinte.
— Qui suis.
— Qui suit qui ?
— Non, rien, laissez tomber monsieur Guimard.
— J’en ai pour cinq minutes et je suis à toi.
— Prenez tout votre temps, je ne suis pas pressé.
Pendant que le sous-officier, bout de langue coincé entre les lèvres et les dents tapotait son clavier d’un doigt de chaque main, Valentin s’approcha du mur sur lequel était fixé un vaste panneau métallique blanc. Sur celui-ci étaient fixées quelques photos dont deux d’Amandine, un portrait et une épreuve en pied. Discrètement, le garçon sortit son smartphone, activa l’application appareil photo et, masquant le bruit par une quinte de toux, déclencha au jugé une rafale de prises de vues.
— Tu as mal à la gorge Valentin ?
— Non, j’ai simplement dû respirer un moucheron en venant en vélo, ça m’irrite un peu.
— Voilà, j’ai fini. Alors, que veux-tu ?
— J’ai vu Amandine Fontaine aujourd’hui, vous savez, la copine qui a été enlevée et que vous avez retrouvée. Dans l’affaire, elle a perdu son téléphone. Elle et ses parents voudraient une déclaration de vol ou de détérioration pour se faire rembourser par leur assurance et en acheter un nouveau. Vous savez à quel point nous, les jeunes, avons du mal à nous passer de nos appareils. Je veux lui faire plaisir et lui apporter ce papier pour qu’elle puisse en avoir un nouveau rapidement.
— Je vais lui taper une attestation énumérant le préjudice matériel subi. Donc, téléphone, quelle marque ?
— Heu un smartphone Sony Xperia modèle XZ2-64.
La langue du brigadier se coinça à nouveau entre ses lèvres et ses dents quand il commença à taper de deux doigts.
— Elle a eu aussi son bas de jogging déchiré et perdu ses baskets mais je ne connais pas la marque.
— Écoute, je lui fais le papier pour son téléphone, pour le reste, laisse faire ses parents.
— D’accord. Je vous remercie beaucoup monsieur Guimard, vous êtes vraiment sympa. Je sais que vous ne pouvez rien me dire au sujet de l’enquête. Je téléphonerai à l’adjudant-chef Lemoine dans la semaine.
— C’est ça, téléphone-lui. Tiens voilà ton papier, ajouta le gendarme en sortant une feuille de l’imprimante.
— Au revoir monsieur Guimard.
— Salut Valentin, travaille bien au collège, c’est important. Moi je ne l’ai pas assez fait.

De retour chez lui, Valentin examina sur l’écran de son smartphone les photos qu’il avait prises à l’insu du brigadier. Devant la petitesse des détails, il fit une petite moue de déception puis, raccordant son téléphone à sa clé double entrée, il les transféra. Se dirigeant ensuite vers la fenêtre ouverte sur le jardin, il héla son grand-père assis sur le banc en compagnie d’Isabelle son épouse.
— Jean-Claude, je peux utiliser le PC ?
— Pas de problème mon garçon. Ferme d’abord ma cession.
— Merci.
Bien calé dans le fauteuil à roulettes dévolu au travail à l’ordinateur, Valentin ouvrit sa propre cession sur le PC familial, tapa son code puis créa un nouveau dossier qu’il nomma « Amande. » Il brancha ensuite la clé côté USB dans la machine, transféra les photos de Pascal et les siennes dans ce nouveau dossier. Il appela ensuite le puissant logiciel de traitement d’images de son grand-père et, un à un, fit venir à l’écran les clichés volés à la gendarmerie. Il découpa les portions d’images présentant des personnes et les enregistra. Il y avait, outre les photos montrant Amandine, un portrait de sa sœur, un selfy présentant la jeune fille avec ses parents, un autre avec Pauline et un cliché représentant Charly, ce qui fit sourire Valentin.
Les autres photos étaient plus étranges. L’une affichait un demi-visage penché pris en contre-plongée sur fond de feuillage ; une autre montrait le t-shirt blanc, le cou et le menton d’un homme ; une troisième n’affichait qu’une couleur bleu violacé comme le top de course d’Amandine. Valentin examina plus attentivement le t-shirt du deuxième cliché ; en dépit des taches d’ombre et de soleil qui en modifiaient l’aspect, il reconnut le dessin d’un arbre avec une devise illisible écrite en cercle tout autour.
« Amandine avait bien vu finalement » se dit-il en passant au cliché représentant le demi-visage.
Il activa l’outil « Rotation » du logiciel et, après quelques tâtonnements sur l’angle à choisir, réussit à le redresser verticalement. À l’aide de l’outil à découper les images, il supprima les parties superflues et isola une exacte moitié de la face de l’individu. Il copia ensuite l’image obtenue, colla puis retourna la capture afin de la rapprocher du demi visage d’origine, reconstituant ainsi un visage complet quoiqu’un peu déformé. Sans en être absolument certain, il en déduisit que l’homme avait des cheveux blond foncé, tempes rasées mais cheveux abondants sur le dessus. L’examen des yeux un peu visibles à travers les lunettes l’amena à la conclusion qu’ils étaient couleur noisette, le nez rectiligne mais un peu long, les lèvres minces et pincées, le teint plutôt pâle. « Bon, je commence à avoir une idée de l’aspect de Mulet et Razibus comme dit Bouboule, voyons ses photos maintenant. »
Parmi la douzaine de clichés pris par son ami, il n’en retint qu’un, lequel présentait deux hommes vus de dos, l’un habillé d’un pantalon corsaire beige, d’un t-shirt blanc et l’autre beaucoup plus grand, vêtu d’un polo bleu ciel et d’un bermuda plus foncé.
Valentin appela aussitôt son ami qui prit la communication à la première sonnerie.
— Dis-moi Pascal, dans toutes tes photos, il y en a une qui m’intéresse, celle qui représente deux hommes malheureusement de dos…
— Ben oui, je n’allais pas courir, les dépasser pour les prendre en photo, hein ?
— Je ne te reproche rien Bouboule, au contraire. Je désire simplement savoir à quel endroit précisément tu as vu ces deux hommes.
— Attends, ils venaient des tennis et étaient au niveau de l’entrée du camping privé, ils se dirigeaient vers moi. J’allais mine de rien déclencher mon appareil mais à ce moment-là, une voiture les a doublés. Ils ont alors fait demi-tour.
— C’était eux ! Razibus et Mulet.
— Comment tu peux en être sûr ?
— Il ont dû nous apercevoir… Écoute, il faut encore que j’organise tout ce que j’ai appris aujourd’hui. Je vais faire un topo écrit et l’envoyer à tout le groupe, toi y compris. Allez, je te laisse et vive Thales !
— T’es complètement barge, Val !