Valentin activa le traitement de texte du PC et se mit à la rédaction du compte rendu promis à Pascal en essayant d’être le plus complet possible. Il y joignit la photo reconstituée du visage de l’un, celle du t-shirt à l’arbre de l’autre ainsi que le cliché de Pascal montrant les deux ravisseurs de dos.
« Avec le numéro de plaque du Renault, que je vous rappelle ici : CA-956-EN, voici les éléments que nous avons pour repérer les hommes qui ont fait du mal à notre amie Amandine. Les retrouver pour les faire arrêter par la gendarmerie, j’ai conscience que c’est une mission très difficile, peut-être de longue haleine, mais si nous ne faisons rien, nous n’arriverons à rien. Pour cela, réfléchissez, toutes les idées seront les bienvenues. »
Compte-rendu terminé, il envoya son texte à l’imprimante pour les douze tirages destinés à ses amis. Il déposa ensuite le dossier Amande grossi du texte qu’il venait d’imprimer dans sa clé USB, fit le ménage complet de ses travaux sur le PC familial, remonta dans sa chambre pour ranger sa précieuse clé et mettre les tirages papier dans un classeur de son sac à dos d’école.
Le lendemain matin, résolu à être le premier présent au portail d’entrée du collège, Valentin se leva pour une fois avant ses grands-parents.
— Qui as-tu hâte de voir ce matin ? s’amusa Jean-Claude quand, vers sept heures il entra dans la cuisine pour préparer le petit déjeuner.
— Tous mes amis.
— Vous avez encore des projets en commun ? demanda à son tour Isabelle qui venait de les rejoindre.
— C’est pour en discuter justement. Nous ne pouvons le faire qu’avant les cours ou à la récréation.
— Et pendant le temps de midi, non ?
— Pauline ne mange pas à la cantine et Charly non plus, nous n’y sommes pas au complet.
— C’est une brave fille Pauline je crois.
— Oui, elle est très dévouée.
— Nous allons avoir une belle journée de fin d’été, détourna Jean-Claude, avec peut-être un risque d’orage vers dix-huit heures.
— J’aime bien l’ambiance de l’orage, il se passe toujours quelque chose d’inhabituel pendant un orage.
— Hum, pas très scientifique ton affirmation, se moqua le grand-père.
— Pourtant… Tiens, lors des dernières vacances : orage en Vanoise lors de notre périple avec Quentin, épisode du voleur des refuges ; dans les Landes avec la famille d’Olivier, j’ai dû secourir un jeune garçon perdu dans le noir du sanitaire du camping parce qu’il y avait eu une coupure d’électricité ; au Chinaillon, avec Gilles au chalet d’Emily, nous avons contré un abruti qui dégonflait les pneus des vélos.
— Coïncidences, mon garçon.
— Oui, probablement, concéda Valentin. Bon, au revoir, à ce soir. Ne vous inquiétez pas si je suis en retard, nous allons probablement nous réunir chez Charly.
— Téléphone-nous dans ce cas, demanda Isabelle. Au revoir mon garçon, travaille bien.
Bouboule et Eva furent les premiers à se présenter au portail du collège. Valentin, ses feuilles à la main, attendait déjà depuis plus de cinq minutes. Il tendit un exemplaire de son compte-rendu à chacun.
— Tu distribues des flyers ? On y a droit nous aussi ? fit Océane Daucy qui venait d’arriver. Elle tenta malicieusement d’arracher une feuille de la main de Valentin qui esquiva. Il la tendit à Mathilde puis en distribua d’autres au gros de la troupe des amis.
— Tu as raté le coche il y a près de deux ans, Océane, rappelle-toi. Et encore l’an dernier après l’Angleterre. Désolé, il n’y en a pas pour ta bande et toi. Ah, Olivier, Margot, Florian, lisez ça.
— Ma bande ? Marine et moi ne sommes avec Tony and Co que parce que tu ne veux pas de nous, tenta d’amadouer la jolie jeune fille.
— Quentin, tu es le dernier, coupa Valentin en tendant l’ultime exemplaire, c’est pour toi.
— Je suis le dernier parce que j’habite le plus près, s’amusa Quentin en saisissant le compte-rendu. Qu’est-ce que c’est ?
— Le point de la situation. Eh, vous tous, regroupons-nous au banc à la récré, d’accord ?
— Nous aussi ? reprit Océane.
— Viens me voir après la cantine, je te proposerai peut-être un marché.
Le cours de math, avec révision du théorème de Thales que Valentin avait parfaitement assimilé, lui permit de se replonger mentalement dans l’affaire.
« Pourquoi ces deux salauds s’en sont-ils pris à Amandine, outre le fait que c’est une jolie fille ? s’interrogea-t-il. Ses parents ne se trouvent pas d’ennemi donc il ne s’agit pas d’une vengeance.
Elle ne connaissait pas ces mecs-là et pourtant ils s’en sont pris à elle et pas à une autre… L’attaque était visiblement préparée, ambulance pas loin, bousculade concertée, piqûre d’anesthésique… »
— Valentin, pourquoi peut-on dire que les sécantes AB et CD de l’angle x-o-y sont parallèles ?
— Le rapport O-A sur O-C est égal au rapport O-B sur O-D donc la sécante qui porte AB est parallèle à celle qui porte CD. Théorème de Thales, monsieur.
— Bien Valentin, vous pouvez retourner à votre rêverie.
« … donc ils savaient qu’Amandine allait passer par là. Cela signifie qu’ils l’avaient épiée, peut-être suivie plusieurs fois. Venaient-ils de la ville ou de plus loin ? Improbable. Visiblement ils connaissaient très bien l’environnement, donc ils sont du coin, de Saint Thomas ou de Ville Semnoz. »
— Pauline, suis le même raisonnement que ton voisin pour la sécante D dans ce triangle ABC.
« Si mon raisonnement est bon… » murmura Valentin poursuivant sa pensée.
— Oui Valentin votre raisonnement était bon. Alors Pauline, pourquoi la droite D qui coupe les côtés AB et AC respectivement en E et F est-elle parallèle à la base BC ?
« …cette proximité va simplifier nos recherches, mais la meule de foin est encore bien grosse et les aiguilles bien petites… »
— Aide ta voisine Valentin.
— AE = 9 et AB = 27 donc le rapport est de 3. AF=6 et AC= 18 donc le rapport est aussi de 3. Les rapports sont les mêmes donc EF est parallèle à BC : théorème de Thalès. Il également est possible d’établir le rapport différemment par exemple AE sur EB et AF…
— Stop Valentin, stop, laisse-en pour les autres. Qui veut continuer ? Mathilde ?
À la récréation de dix heures, après un cours de dessin consacré à la caricature qui vit le triomphe d’Olivier pour un portrait échevelé, joufflu et boutonneux de Tony Thénard qui amusa presque toute la classe, les treize amis se réunirent une fois de plus autour de leur banc favori. Tous les regards étaient fixés sur Valentin qui commença son exposé :
— Vous avez vu les photos sur le papier que je vous ai donné. Le visage présenté est celui de l’un des deux types, je l’ai reconstitué à partir d’une photo que les gendarmes, probablement leur section scientifique, ont réussi à récupérer dans le smartphone cassé d’Amandine. Comme je vous l’ai écrit, elle était en train de courir, elle a sorti son smartphone, l’a mis en position appareil photo et allait s’arrêter pour faire le cliché d’un bouquet de colchiques du bord du chemin. C’est alors qu’elle a tamponné un premier malfrat, celui qui porte le t-shirt blanc avec un arbre. L’appareil lui a échappé et il est tombé dans l’herbe. Après avoir râlé comme elle sait le faire, elle s’est tournée et baissée pour le récupérer. C’est à ce moment-là que l’autre type, celui du visage l’a bousculée. Le premier en a profité pour lui planter une mini-seringue d’anesthésique dans la fesse. Le doigt d’Amandine a dû toucher la zone de déclenchement et trois photos ont été prises : une première sans intérêt de son top de jogging, la deuxième du t-shirt du piqueur et une troisième a capturé la moitié de la figure du second malfrat. J’ai pu trafiquer et manipuler l’image pour reconstituer un visage à partir d’une moitié seulement. Ce que vous voyez c’est une moitié droite plus une autre moitié droite retournée pour en faire une moitié gauche. Il est possible que l’image ne soit pas tout à fait exacte car un visage est rarement symétrique comme vient de nous le faire remarquer le prof de dessin mais cela devrait suffire pour le faire reconnaitre. Voilà où nous en sommes. Ah aussi, j’ai ajouté une photo prise par Bouboule montrant ces deux types de dos, le plus grand type mesure plus d’un mètre quatre-vingt-deux et l’autre, par comparaison, à peu près un mètre soixante-quinze. Comment les retrouver à partir de ces indices ? Avez-vous des idées ?
Après une vingtaine de secondes de mutisme général, Eva leva timidement la main.
— Vas-y, parle, poussa gentiment Bouboule.
— Je me suis dit que ces deux types, ils doivent manger comme tout le monde. Pour manger, il faut acheter de la nourriture et c’est au supermarché qu’on s’approvisionne. Des supermarchés dans le coin, il n’y en a que deux : un grand à Ville Semnoz et un moyen à Saint Thom. Ma mère travaille à la caisse de celui de chez nous. Je vais lui donner la photo, comme ça elle pourra me dire si elle le voit ou l’a déjà vu.
— Excellent, super idée Eva, félicita Mathilde. Il faut trouver pour Ville Semnoz maintenant.
— Je connais quelqu’un à la caisse centrale, je lui demanderai, compléta Florian.
— J’ai une autre idée, hasarda Emily. Les deux voyous se déplacent avec leur petit camion, je ne sais pas comment on dit pour ça…
— Un fourgon, aida Gilles.
— Oui, merci. Le fourgon a besoin de carburant de temps en temps et il n’y a qu’une station-service par ici, nous pourrions la surveiller.
— Ou interviewer la caissière, ajouta Lucie.
— C’est encore une bonne idée ça, merci les filles, félicita Valentin, amenant un sourire satisfait sur le visage sans défaut d’Emily.
— On peut aussi voir du côté du Mac Do, ajouta Pascal, il y a un drive où tu peux prendre ta commande depuis ta voiture. Le type dans sa cahute les a peut-être déjà remarqués.
— J’y pense, intervint Olivier, heu, excuse-moi Bouboule je t’ai interrompu, mais leur fourgon doit bien stationner quelque part. Ce type de véhicule est trop haut pour entrer dans un box, donc il doit être dans un parking ou une grange des environs. Il va falloir qu’on fasse encore beaucoup de vélo un peu partout.
— Il faudra aussi inspecter les parkings d’immeubles, compléta Gilles.
— Moi, j’ai pensé à leur histoire de plaques d’immatriculation, dit Quentin. Nous avons supposé au départ que les mecs étaient suisses, mais ils avaient peut-être aussi de fausses plaques suisses ou des plaques volées car je les vois mal venir du canton machin où ils font du fromage…
— Appenzell, aida Mathilde.
— Oui, donc venir de là-haut pour enlever une jeune fille en France.
— C’est bien raisonné Quentin, mais ça ne nous fait pas avancer, commenta Florian.
— Flûte, ça sonne, on n’a pas le temps de discuter de mon idée, fit Margot. C’est rapport à la destination finale de leur enlèvement.
— Oui, merci Margot, je vais y penser pendant le cours d’anglais.
— Tu nous diras à midi ? demanda la jeune fille.
— Et à deux heures pour nous, dit Charly en désignant Pauline, on ne mange toujours pas là.
Pendant le cours d’anglais, Valentin examina l’idée de Margot. Il en vint à la conclusion que, si Amandine n’avait pas été abusée par les deux kidnappeurs, c’est qu’ils ne l’avaient pas enlevée pour eux-mêmes, donc ils l’avaient fait pour quelqu’un d’autre, un commanditaire en quelque sorte. « Vous me fournissez une jeune fille, vous toucherez une belle somme en euros. » Comme l’ambulance a été flashée par Bouboule sur la route de la Suisse, cela signifie que le commanditaire se trouve à l’étranger : Suisse, Lichtenstein, Allemagne, Italie, voire plus loin encore. J’ai bien peur que cette piste ne nous mène à rien, du moins à rien que nous puissions faire.
Bon, Océane maintenant. Elle a fait plusieurs tentatives de rapprochement avec nous, mais est-elle sincère ? Est-elle fiable ? J’ai encore de gros doutes. Pourtant pour nos recherches, quelques paires d’yeux supplémentaires ne seraient pas de trop. Je lui ai donné rendez-vous après la cantine, mais non, c’est trop tôt, je n’aurai pas le temps de lui expliquer ce que nous faisons, il faut que j’organise les équipes de recherche avec les copains. Je vais lui dire de me rejoindre à la fin des cours de cet après-midi.