VALENTIN DÉTECTIVE

24. OCÉANE

Les rôles d’investigations ayant été répartis pendant le temps de midi, Valentin qui, avec l’assentiment de tous, avait reçu pour mission la coordination des actions ainsi que les rapports avec la gendarmerie, s’arrangea pour sortir du collège en même temps qu’Océane et Marine.
— Tu voulais savoir ce qu’il y avait dans les flyers que je distribuais à mon équipe ce matin ? Je vais te raconter.
— Là nous sommes attendues, plus tard si tu veux bien.
— À ton aise Océane. « Tant pis pour Amandine » ajouta-t-il à voix basse, comme s’il parlait à lui-même, espérant rattraper l’intérêt des deux jeunes filles.
— Oh, celle-là ! fit Océane. Viens Marine, on va aller se marrer.
Valentin haussa les épaules avec lassitude : « toujours les mêmes, aucune suite dans les idées… » Il sauta sur son VTT, donna quelques coups de pédales. « Qu’est-ce que je fais ? Voir Lemoine ? Non, pas maintenant, je vais plutôt accompagner Charly et inspecter la zone artisanale de Saint Thom. »
— Charly ! Oh Charly ! Attends-moi, je vais t’accompagner.
Charly bloqua les freins de son VTT de compétition flambant neuf.
— OK, sympa. Je passe d’abord chez moi poser mon sac.
— Je veux te remercier Charly. Tu es le dernier entrant dans notre groupe et pourtant tu t’impliques à fond pour Amandine.
— Ben c’est normal, non ? Elle est très bien cette fille, elle mérite qu’on l’aide.
— C’est vrai. Elle et son père m’ont secouru le soir où… mais ce n’est pas le sujet. Elle revient de loin notre copine. Si les deux malfrats avaient réussi leur entreprise, il est fort probable que nous ne l’aurions jamais revue.
Le visage de Charly se décomposa l’espace d’un instant.
— Qu’est-ce qui lui serait arrivé selon toi ?
— Elle aurait été vendue à l’étranger comme esclave à quelqu’un qui a de gros moyens financiers et qui doit être puissant dans son pays. Je ne te précise pas ce qu’il aurait exigé d’elle. Mais remets-toi, elle ne craint plus rien maintenant.
— Sauf si on ne retrouve pas ses ravisseurs. Ils pourraient remettre ça.
Ils venaient d’arriver au niveau de la belle villa des parents de Charly. Celui-ci déposa son sac sous le porche d’entrée sans pénétrer à l’intérieur.
— Prends le papier avec la photo du mec, j’ai oublié d’en faire un pour moi, je n’ai que mon smartphone avec seulement la photo d’un demi visage penché. Si je montre ça à quelqu’un, il va croire que je me moque de lui.
— OK, commençons. Tu as imaginé un itinéraire ?
— Heu non, mon boulot c’est de communiquer avec Lemoine, et puis ce n’est pas mon quartier.
— Alors, au hasard.
Après avoir roulé plusieurs kilomètres et avoir arpenté la zone artisanale en tous sens sans récolter le moindre indice, Valentin décida d’arrêter leur recherche.
— Le temps s’assombrit Charly, il parait qu’il va faire orage, je te laisse pour ce soir. À demain.

Valentin prit à rebours le chemin du bord du lac jusqu’à l’esplanade, franchit sans mettre pied à terre l’étroite passerelle enjambant l’embouchure du torrent puis emprunta le chemin de la plage en direction du camp scout.
Quand il eut dépassé les bâtiments récents et déjà désaffectés de l’UCPA, il entendit une cacophonie de rires sonores ainsi que d’interminables gloussements haut-perchés. Plus loin, vers le milieu du camp, près d’un bouquet de cèdres, un groupe d’adolescents riaient très fort.
— À mon tour, à mon tour, cria une voix aigüe émergeant des fous rires. Passe-moi le ballon.
Valentin distingua comme une baudruche jaune entre les mains d’une fille, près de son visage.
— Vas-y, à fond, rigola une voix plus grave, respire, remplis tes jolis poumons.
— Tais-toi gros cochon, pouffa une autre voix de fille qui riait à ne plus pouvoir s’arrêter.
« Mais c’est l’équipe à Tony ! Qu’est-ce qu’ils font là à se marrer comme une bande de bossus ? »
Il n’eut pas le temps de se proposer une réponse. Un éclair, suivit presqu’immédiatement par une forte déflagration, détournèrent son attention.
— Barrons-nous, ça va péter ! hurla de rire un autre garçon que Valentin identifia comme étant Romuald.
— Qu’est-ce qu’on fait des cartouches vides ? pouffa Morgane.
— Rien à foutre, laisse tomber ! rigola Tony en démarrant.
— Attendez, Océane a un problème… hoqueta Marine.
— Qu’elle appelle Air de rien ! se marra Clébar. Magnez-vous les filles, sinon vous serez bonnes pour le concours de miss t-shirt mouillé, hi hi hi hi hi.
— Il pleut, il pleut Morgane, rentre ton popotin… hurla de rire Tony.
La petite troupe traversa vite la partie herbeuse du terrain pour reprendre les vélos et zig-zaguer vers le village laissant sur place les jumelles.
— Océane, Océane, réponds-moi. Respire, respire Océane, qu’est-ce que t’as ? Réponds ! Réponds-moi je t’en supplie.
Valentin qui avait entendu laissa littéralement tomber son VTT et sprinta toujours sac au dos vers les deux filles sous une pluie de plus en plus forte.
— Qu’est-ce qu’elle a pris ? Vite, réponds-moi ! ordonna-t-il à Marine.
— Elle a respiré du gaz à faire rigoler.
Océane, assise, adossée à un arbre, narines pincées, bouche ouverte, yeux révulsés, hoquetait. Ses jambes incontrôlées repoussaient le sol par les talons. Valentin la prit par les épaules et l’allongea au sol. Il posa une main sur la poitrine de l’adolescente puis, ne sentant rien, y colla une oreille. « Elle fait une syncope… » paniqua-t-il un instant. Une scène flasha dans sa tête : le chauffeur de car qui avait fait un malaise, monsieur Doucet le prof de gym lui faisant un massage cardiaque et la respiration artificielle par le bouche-à-bouche. Vite, il se mit à genoux à califourchon au-dessus du bassin d’Océane et, mains superposées, bras tendus, il pressa rythmiquement la cage thoracique de la fille en comptant jusqu’à trente. Sous un rideau de pluie, il quitta sa position pour se placer sur le côté d’Océane, lui pinça le nez et, après avoir pris une longue inspiration, colla sa bouche contre la sienne et insuffla son air dans les poumons de l’adolescente. À côté de lui, Marine se tordait les mains de désespoir. Valentin recommença et recommença l’opération pendant plus de cinq minutes puis Océane toussa, toussa à n’en plus finir. Valentin alors la coucha sur son côté gauche, jambe au sol tendue, l’autre repliée.
— Elle ne va pas mourir, hein Valentin ?
Il la regarda avec reproche. Lui qui surveillait tout le temps son langage se laissa aller à la grossièreté pour appuyer ses paroles.
— Quand est-ce que vous aurez fini vos conneries toutes les deux ? Vous êtes des irresponsables, rien dans la tête, putain ! Ta sœur a failli mourir asphyxiée avec ce poison, tu t’en rends compte espèce de bécasse ? Il faut qu’elle voie un toubib d’urgence, ta conne de sœur. Appelle tes parents, qu’ils viennent jusqu’au parking à l’entrée du camp. Je resterai jusqu’à ce qu’ils soient là.
— Mais Valentin…
— Oui, vous allez vous faire engueuler sévère, en tout cas je l’espère bien. Téléphone donc, empotée !
« Allo ? Maman, maman, Océane a un problème. Viens vite nous chercher à l’entrée du camp scout. Vite je t’en prie… »
Dix minutes après, Valentin complètement détrempé aperçu une Citroën C4 se garant au parking indiqué.
— Voilà ta mère, je te laisse t’expliquer. Ta sœur sera peut-être capable de marcher jusqu’à la voiture avec votre aide. Moi, je rentre me changer, j’ai des choses bien plus importantes à faire que de m’occuper de deux bécasses à cervelles de moineaux.

Récupérant son vélo abandonné sur le chemin du camp, sans tenir compte de l’eau qui collait ses habits au corps ni des projections de la roue arrière sur ses reins, il fonça à toutes pédales vers la maison de ses grands-parents.
— Ah, c’est toi enfin ! s’écria Isabelle en le voyant entrer. Tu es dans un bel état ! Va vite te changer.
— Oui, je suis un peu mouillé. Je sortais de chez Charly quand l’orage a commencé. Il fallait bien que je revienne.
— Tu vois qu’il ne se passe pas forcément quelque chose pendant un orage, triompha son grand-père.