VALENTIN DÉTECTIVE

26. CHEZ LES JUMELLES

Valentin sonna à l’interphone de l’immeuble que lui avait indiqué Marine.
« Valentin Valmont » prononça-t-il quand une voix féminine lui eut demandé « Qui est-ce ? C’est pourquoi ? »
— Dernier étage, appartement terrasse. Je vous ouvre, prenez l’ascenseur.
L’immeuble était cossu, le palier d’entrée d’une bonne surface, l’ascenseur luxueux. Il n’eut pas à sonner de nouveau, la porte d’entrée de l’appartement était entrebâillée. Océane encore pâle vint au-devant de lui et l’accompagna jusqu’à l’élégant salon exposé sud-ouest et encore baigné de soleil.
— C’est donc toi Valentin Valmont, dit la mère des jumelles quand ils furent installés dans les fauteuils « design », le garçon dont on nous a dit tant de mal.
— Maman, maman, ce n’est pas vrai, tenta de minimiser Océane.
— Celui qui laisse tomber les amis, qui se bagarre tout le temps, qui est le chouchou des professeurs…
— Voilà un portrait élogieux, vous êtes certaine de vouloir me parler ?
— Oui Valentin. Je sais par ailleurs et par votre déléguée de classe, mademoiselle Marchand, que vous n’êtes rien de cela et si je vous ai demandé de venir, c’est pour vous remercier du fond du cœur de votre action. Je sais ce qui s’est passé hier, les cartouches de gaz hilarant, la technique pour le respirer. Je sais les conséquences dramatiques que l’inhalation de ce gaz auraient pu avoir. D’après notre médecin, Océane a une légère tendance à l’asthme et le produit a eu sur elle un effet déclencheur très puissant. Sans toi, elle se serait asphyxiée. Tu as appris le secourisme ?
— J’ai eu l’occasion, comme tous ceux de ma classe d’ailleurs, d’observer les manœuvres à opérer sur une personne en syncope. C’était lors d’un voyage en car lors du camp découverte que nous avons fait en fin de cinquième. Monsieur Doucet, le professeur d’éducation physique des garçons, a sauvé le chauffeur qui avait fait un malaise cardiaque. Pour Océane, je n’étais pas très sûr qu’il fallait faire cela, mais comme j’ai constaté que je ne sentais plus les battements de son cœur et que sa respiration était devenue imperceptible, je me suis décidé à tenter les mêmes gestes et ça a marché…
Il ne faut pas pleurer madame Daucy… Océane va bien maintenant.
— Tu es un garçon formidable Valentin. Pourquoi mes filles ne recherchent-elles pas l’amitié de jeunes comme toi plutôt que celle de la bande avec qui elles trainent. Mon mari est encore au travail mais je sais qu’il se joint à moi pour te dire toute notre gratitude. Grace à toi notre fille s’en tire avec une peur terrible et une simple brûlure dans la gorge à cause du froid généré par l’expansion du gaz. Pourvu que mes filles en tirent une bonne leçon et même plusieurs car je n’ai jamais entendu quelqu’un de ton âge s’exprimer et se tenir aussi bien. Je vous ai prévu un goûter, tu acceptes Valentin ?
— Cela aurait été dommage que vous l’eussiez préparé en vain, sourit Valentin.
— Passez sur la terrasse et régalez-vous.

— Valentin je ne sais pas quoi faire ni même quoi dire pour te remercier, énonça Océane quand sa mère fut repartie dans l’appartement.
— J’ai déjà entendu une phrase comme celle-là dans ta bouche. Où était-ce déjà ? ironisa Valentin.
— Je sais, je suis impardonnable, je ferai n’importe quoi pour toi maintenant.
— Il me semble que je t’avais répondu : « justement arrête de faire n’importe quoi. » J’ai envie de te dire aujourd’hui : « pense d’abord aux autres et les autres penseront à toi, aide les autres et les autres t’aideront. » Je sais que vous aimez toutes les deux être remarquées, alors essayez d’être remarquables.
— Comment tu veux qu’on fasse ?
— Rendez des services au lieu de les attendre.
— Par exemple ?
— Savez-vous pourquoi Amandine Fontaine est absente du collège en ce moment ?
— Elle a eu un accident ?
— Amandine a été kidnappée mercredi dernier. Elle a été droguée et enlevée par deux malfrats mais elle a réussi à leur fausser compagnie, c’était samedi. En ce moment, avec mon équipe, nous recherchons les deux hommes à l’origine de cela.
— Océane et moi, on peut… heu nous pouvons peut-être vous aider. Que faut-il faire pour rejoindre ton groupe ?
— Pour rejoindre le groupe dont je fais partie, il faut que tous ses membres soient d’accord.
— Tu n’es pas le chef ?
— Il n’y a pas vraiment de chef. Quand quelqu’un du groupe propose une action et si elle est acceptée par tous, les responsabilités ainsi que les travaux sont partagés le plus équitablement possible.
— Avec Tony, c’est le plus fort qui commande.
— Comme chez les bêtes.
— Donc tu ne veux pas de nous ? déplora Océane. J’espérais que tu allais nous aider.
— C’est exactement ce que je fais en ce moment.
— Sans être dans ton équipe, nous pouvons peut-être aussi nous rendre utiles pour Amandine, dit Marine avec une pointe de regret dans le ton.
— C’est exactement comme cela qu’il faut réagir. Je vais vous confier un travail qui peut comporter des dangers si vous vous montrez imprudentes. Les hommes que nous cherchons à identifier sont amateurs de jolies filles, et pas pour leur bien si vous me comprenez. Pour demain, je vais vous rédiger un topo qui vous donnera des détails sur eux et leur véhicule. Votre mission sera d’ouvrir les yeux et de poser intelligemment des questions à beaucoup de personnes susceptibles de les avoir vus et de m’en rendre compte car j’ai été élu coordinateur des actions et centralisateur des renseignements obtenus.
— Vous avez fini de manger ? demanda madame Daucy qui venait de réapparaitre, c’était bon ?
— Les jus de fruits étaient excellents et votre tarte fraises et framboises était divine. La vue est superbe et l’installation bien confortable. Maintenant, je dois prendre congé, quelques papiers à rédiger pour demain.
— Tu es réconcilié avec mes filles ?
— Je n’étais pas réellement fâché contre elles mais je n’apprécie pas beaucoup ceux avec qui elles étaient. Au revoir madame Daucy, saluez respectueusement votre mari de ma part. À demain Marine et à toi aussi Océane si tu reviens au collège.
— Tu sais distinguer mes jumelles l’une de l’autre, Valentin ?
— Depuis longtemps madame.

Ce soir-là, Valentin dans sa chambre au premier étage compulsait son livre de maths pour prendre un peu d’avance sur les leçons à venir quand retentit la sonnette d’entrée. Il tendit l’oreille pour entendre la conversation d’accueil qui allait obligatoirement venir.
— Oui ? fit la voix de sa grand-mère.
— Bonsoir, vous êtes madame Valmont ?
— Oui.
— Vous avez un enfant prénommé Valentin en troisième au collège de Saint Thomas ?
— C’est mon petit-fils. Que lui voulez-vous ?
— Je suis monsieur Daucy et vous prie d’excuser le dérangement. Mon nom ne vous dit rien ?
— Pas dans l’immédiat.
— J’ai moi-même deux filles en troisième dans ce collège, des jumelles, Océane et Marine. Hier votre petit-fils a rendu un immense service à l’une d’elles, Océane. En fait, il lui a probablement sauvé la vie et je suis venu le remercier.
— Entrez monsieur Daucy. Mon mari est au salon et il sera aussi curieux que moi d’entendre cette histoire.
— Bonsoir monsieur Valmont.
— Bonsoir monsieur, répondit poliment Jean-Claude.
— Prenez place dans ce fauteuil monsieur Daucy, nous vous écoutons.
— Ça s’est passé avant-hier en fin d’après-midi. Valentin ne vous a rien dit ?
— Il est rentré trempé à cause de l’orage mais c’est tout ce que nous savons.
— Mes deux filles se sont laissées aller à écouter les dangereuses propositions de certains garçons de leur classe. Il s’agissait de respirer le gaz contenu dans certaines cartouches, gaz destiné à émulsionner la crème Chantilly. Vous connaissez ces cartouches, je pense. Elles contiennent du protoxyde d’azote encore appelé gaz hilarant. Comme son nom l’indique, respirer ce gaz déclenche des fous rires, des hallucinations. Mes filles ont une légère tendance à l’asthme. Inhaler ce gaz a déclenché une très violente crise chez Océane. Respiration bloquée, elle est tombée en syncope. Cela se passait sous l’orage sur le terrain du camp scout. Tous les autres, complètements inconscients de la gravité de ce qui se passait sont partis en rigolant, il ne restait que Marine qui ne savait pas quoi faire et Océane presque sans connaissance. Heureusement votre petit-fils passait en vélo. Il a couru vers mes filles et il lui a pratiqué un massage cardiaque ainsi que la respiration artificielle. Il a réussi à la ramener. Il a obligé Marine à appeler sa mère pour venir les chercher. Moi j’étais encore au travail. Le docteur nous a confirmé que sans l’action de votre petit- fils, Océane aurait pu mourir. Mon épouse et moi lui sommes infiniment reconnaissant de ce qu’il a fait. C’était digne d’un grand secouriste. Vous avez eu amplement raison de lui faire apprendre ces gestes qui sauvent. Merci à vous également. Valentin n’est pas ici ?
— Il est dans sa chambre, il apprend ses leçons. Valentin ? Tu veux bien descendre ? Valentin, je te présente monsieur Daucy. Tu sais pourquoi il est là ?
Valentin haussa les épaules avec une petite moue souriante.
— Bonsoir monsieur Daucy, ce n’était pas la peine de vous déplacer, madame Daucy m’a déjà dit merci, et puis ce que j’ai fait n’était pas bien difficile, tout le monde aurait pu le faire.
— Mais c’est toi qui étais là et c’est toi qui l’as fait. Vous permettez madame monsieur que je lui fasse un cadeau ?
— Valentin ? dit Isabelle.
Celui-ci haussa encore un peu les épaules avec un sourire d’excuse et d’indécision.
— Je ne sais pas si je dois accepter.
— Valentin, mon métier c’est ingénieur dans les télécommunications, je suis bien placé pour avoir ce que je te prie d’accepter. C’est pour toi, dit le père des jumelles en sortant un paquet de sa sacoche. Si tu n’en as pas l’usage, tu pourras en faire cadeau à qui bon te semblera. Tu n’es pas obligé de l’ouvrir tout de suite. Bien, madame monsieur, je vous remercie de m’avoir reçu et encore un immense merci à toi Valentin.
Monsieur Daucy parti, Jean-Claude murmura :
— Tu nous avais caché ça, pourquoi ?
— Tu m’as toujours dit que ce n’est pas élégant de se vanter.
— Tu n’ouvres pas ton cadeau ? questionna Isabelle, curieuse.
Valentin ôta l’objet de la poche qui le contenait, déchira l’emballage doré et sorti une boite noire rectangulaire marquée S10+.
— Waouh, apprécia-t-il.
— Tu peux nous dire ce que c’est ? demanda encore Isabelle.
— Un des derniers smartphones de Samsung, excellent pour les photos parait-il.
— Tu vas changer le tien alors, supposa Jean-Claude.
— Non, le mien me suffit amplement. Je vais le donner à Amandine qui a perdu le sien dans sa triste aventure.
— À propos d’Amandine, tu as des nouvelles ? questionna Isabelle.
— L’adjudant-chef Lemoine a dit qu’il me tiendrait au courant mais il ne m’a pas encore appelé.
— C’est un beau cadeau que tu vas lui faire là, à ton amie. Ton bon cœur te perdra mon petit garçon, sourit son grand-père.
— Tu vois Jean-Claude que par temps d’orage il se passe toujours quelque chose d’inhabituel, sourit Valentin.