Mercredi matin, Pauline ne se présenta pas au collège.
— Espérons qu’elle n’est pas malade, notre mère poule, dit Gilles dans le couloir menant à leur salle de classe, ou qu’elle n’a pas été enlevée à son tour.
— C’est elle qui habite le plus loin, elle est peut-être simplement en retard et a trouvé le portail fermé, tenta d’expliquer Lucie qui marchait à côté de lui.
À la récréation de dix heures, Pauline étant toujours absente, inquiet Gilles décida : « Je veux savoir, je l’appelle. »
— Allo… Ah Pauline, je suis content de t’entendre, tu n’es pas malade ? Tu as eu un problème de transport ? Nous nous inquiétons. Ah… Ah oui… Oui d’accord, je comprends. Oui, à demain.
— Alors ? demanda Valentin.
— Alors elle va bien. Ses parents, partant plus tôt qu’elle au travail et rentrant plus tard, elle a décidé de passer la matinée dans son jardin à faire semblant de jardiner. Tu sais qu’elle a un bout de terrain à sa disposition près de sa maison le long de la route.
— Ne te fiche pas de moi, veux-tu ? Allez, explique !
— Pauline a décrété que retrouver les deux gus était plus important que quatre heures de cours. L’autre jour, elle a vu passer trois fourgons blancs, alors elle veut en avoir le cœur net. Son jardin surplombe un peu la route avec vue en aval et en amont. Elle gratouille un peu la terre avec dans sa poche son smartphone prêt à photographier le côté et l’arrière de tous les fourgons blancs qui passent sur cette route. Voilà. Elle m’a aussi demandé de lui copier les cours de ce matin, tu m’aideras, hein ?
— Dans cette circonstance, toutes les initiatives sont bonnes. Tout de même, je ne croyais pas Pauline capable de manquer volontairement des cours.
— Amandine est sa grande amie, alors elle s’implique à fond.
Il était midi et demie quand Valentin reçu un MMS de Pauline. Pas de texte mais deux photos. La première présentait l’arrière d’un Trafic Renault dont la plaque bien lisible affichait CA-956-EN. Le cœur de Valentin manqua un battement. « Ça y est, elle l’a repéré ! » pensa-t-il avec une grande joie intérieure. La seconde photo tempéra son enthousiasme, elle montrait le côté du fourgon sur lequel, malgré le flou de l’image, il était possible de lire :
Plâtrerie Peinture
Lepraz et fils
tel xx xx 97 92 94
« Flûte, ce n’est pas eux » déchanta-t-il. « Pourtant c’est bien la plaque que nous recherchons. »
— Regarde ces photos, dit-il à Gilles en lui tendant son téléphone, et dis-moi ce que tu en déduis.
Gilles voyant le visage sérieux et concentré de son meilleur ami prit le temps de la réflexion. Au bout d’une trentaine de seconde il énonça :
— Ou il y a un troisième véhicule avec le même numéro, ou ils ont maquillé le fourgon. Je penche pour la seconde hypothèse. La publicité sur le côté du véhicule est peut-être sur une plaque en PVC aimantée, amovible comme ça se fait maintenant. Le père de Margot en a mis sur les portières de son nouveau pickup.
— Il faut que nous vérifiions tout cela, j’appelle le numéro. « Allo ? monsieur Lepraz ? Comment, vous n’êtes pas monsieur Lepraz ? Oui ?... Oh pardon alors, j’ai dû aussi faire une erreur en tapant le numéro. Veuillez m’excuser.
— C’est la troisième fois que cet homme est dérangé pour rien depuis la rentrée. Conclusion : faux numéro sur le côté du fourgon, ajouta Valentin après avoir mis fin à la communication.
— Donc si la pub est fausse, c’est peut-être qu’elle a été volée sur un autre fourgon et possiblement transformée, du moins pour le numéro de téléphone.
— Le doute n’est plus possible, il s’agit d’eux. Pour moi c’est une quasi-certitude. D’après la première photo, celle de la vue arrière, en considérant le paysage autour, le fourgon se dirigeait vers le col.
— Peut-être habitent-ils très loin d’ici.
— Non, je ne le crois pas, il semble qu’ils connaissent trop bien le secteur pour être d’ailleurs. Maintenant, sans te commander, peux-tu chercher sur internet s'il y a un site qui recense les entreprises artisanales du coin ?
— OK. Pas ça… Pas ça… Pas ça… Ah, peut-être ça : CMA chambre des métiers et de l’artisanat. Je vais sur le site, qu’est-ce que je dois chercher ?
— Plâtrerie Peinture Lepraz et fils, bien sûr.
— Facile, elles sont listées par département et par ordre alphabétique. Alors, Haute Savoie… non. Savoie… non plus. Le nom du plâtrier-peintre est savoyard mais l’entreprise n’existe pas en Savoie. C’est une entreprise fantôme.
Valentin resta silencieux pendant près d’une minute. Il finit par énoncer :
— Si ! Elle doit exister. Il y a huit jours, c’était encore une ambulance. Je vois mal ces types se présenter dans une entreprise de création de panneaux publicitaires pour voitures et camionnettes et l’obtenir dans un délai aussi court. Comme tu dis, il s’agit sûrement d’un panneau magnétique qu’ils ont probablement volé sur le véhicule d’un artisan. Élargis ta recherche, Isère, Drôme pour commencer.
— Drôme, rien. Isère… ah, bingo : Entreprise de peinture et de rénovation Lepraz et fils, et il y a un numéro de téléphone.
— Dicte-moi le numéro, je l’appelle. Voilà, ça sonne… Valentin prit volontairement une voix de tête. « Allo ? Monsieur Lepraz ? Je désire savoir si votre véhicule de travail a été modifié récemment. Qui je suis ? Mademoiselle Monval, auxiliaire de gendarmerie en Haute Savoie. Un véhicule portant votre raison sociale a commis une infraction au code de la route… Oui, ah, vos panneaux magnétiques ont été volés, vous avez fait une main courante ? Bon alors dans ce cas vous êtes hors de cause pour le procès-verbal monsieur Lepraz. Au revoir. »
— Bien joué Val. C’est marrant de t’entendre parler avec une voix de femme.
— Donc tout se confirme. Nous savons maintenant que c’est le bon fourgon que Pauline a photographié et que les types logent vers le col ou un peu après. Nous allons former une équipe pour investiguer par là-haut. Combien y a-t-il de routes possibles après le sommet ?
— Trois. Une qui va vers le hameau du Montoz que tu connais, une autre qui descend vers Escorchevel et une troisième qui monte vers le Semnoz en passant par Lachaux.
— Il faut alors constituer trois équipes. Tu vas en être, toi qui grimpes si bien. Qu’est-ce que tu proposes ?
— Je vois en équipe numéro un, Florian et Quentin ; ensuite Olivier avec Margot, c’est la plus sportive de nos copines ; et puis nous deux, ça te va ?
— Super, nous allons réunir le groupe et leur proposer ça. Samedi, tour de France, étape de montagne.