VALENTIN DÉTECTIVE

33. SAVON

« Allo monsieur Lemoine mon adjudant-chef ? »
— Ah, Valentin. Je subodore que tu veux à la fois t’adresser à l’homme et au gendarme, c’est ça ?
— C’est exactement ça. Puis-je venir vous voir ? C’est extrêmement important. Cela concerne l’enlèvement de mon amie Amandine Fontaine.
— Tu peux venir après les cours, à dix-sept heures trente par exemple.
— Non, tout de suite, c’est urgent, voire urgentissime. Je vous offre l’occasion d’arrêter les deux kidnappeurs. Les cours, je les rattraperai.
— Je t’attends à mon bureau dans une demi-heure, le temps de finir mon repas.

Valentin avait longuement réfléchi à la façon de présenter les choses au gendarme mais il n’était pas fier en sonnant à la gendarmerie. L’adjudant-chef l’attendait, l’air préoccupé.
— Alors Valentin, que se passe-t-il ?
— Avec mes amis, nous avons enquêté…
— Je t’avais interdit de te mêler de ça !
— Monsieur Lemoine, nous nous sommes contentés de réfléchir et de poser des questions.
— Une enquête, quoi !
— Désirez-vous savoir ce que nous avons découvert ? reprit Valentin d’un ton plus froid.
— Dis toujours, je ferai vérifier.
— Vous n’aurez pas le temps, il faut agir au plus vite.
— Voyons, raconte !
— D’accord. Il y a les faits que vous savez mais pour ne rien oublier, je reprends chronologiquement.
1. Nous avons acquis la certitude qu’Amandine a disparu mercredi dernier au cours de son jogging journalier.
2. Par divers témoignages, nous avons réussi à reconstituer son parcours de ce jour-là. Il empruntait le bois au parcours de santé.
3. Nous avons retrouvé un témoin direct de la bousculade d’Amandine contre deux types. Nous avons son nom et son adresse.
4. Ce monsieur nous a orienté vers un de ses amis, témoin de ce qui s’est passé ensuite. Il nous a décrit une ambulance avec plaque suisse.
5. Nous avons pu déterminer que c’était une fausse ambulance.
— Comment cela ?
— Elle avait une plaque d’un canton suisse-allemand mais Ambulance écrit en français.
— Continue.
6. Dans le camping privé voisin, deux témoins ont entendu la dispute entre notre amie et ses ravisseurs. En résumé, Amandine s’est plaint d’avoir été piquée. Ça ne pouvait être ni une piqûre de ronce ni une d’épine d’acacia, nous avons examiné le lieu. Notre amie n’est pas du genre qui se laisse faire, nous en avons déduit qu’elle s’est faite droguer par injection.
7. En fouinant sur et autour du parking où était l’ambulance, j’ai retrouvé le smartphone d’Amandine que je vous ai donné.
8. Par Pascal Boulot, nous avons acquis la certitude qu’elle n’a pas été conduite à l’hôpital.
9. Grace à l’alerte enlèvement que vous avez déclenchée, l’ambulance n’a pas pu quitter la région et a fait demi-tour.
— Jusque-là, je savais tout ou presque.
10. Les ravisseurs pour éviter la grande route sont passés par la route des prés qui est très étroite. Ils ont été bloqués un instant et Amandine s’est échappée.
11. Pascal Boulot la repère dans ce même bois qu’elle connait bien et nous vous avertissons.
— C’est assez invraisemblable que les ravisseurs repassent près du lieu de leur forfait, tu ne trouves pas ?
— Oui au premier abord, mais nous avons pensé deux choses : la peur des barrages de gendarmerie leur interdisait les grandes routes tant que leur véhicule était reconnaissable et deuxièmement, il est probable que ces deux types connaissent bien le village et ses petites routes. Mais je continue.
12. Quand vous êtes arrivés pour récupérer notre amie, je vous ai fait remarquer qu’on nous observait à la jumelle. Vous ne m’avez pas cru mais j’étais plutôt sûr de moi, alors j’ai demandé à Olivier et Margot, deux de mon équipe, d’aller innocemment vers lui pour l’inciter à partir. Ils m’ont prévenu de la direction qu’il prenait. Eva, Pascal et moi avons anticipé son parcours mais il nous a échappé à l’esplanade en prenant un bateau promenade vers la ville.
13. Pendant ce temps mes autres amis patrouillaient en vélo dans tout le village et ont repéré un Renault Trafic blanc qu’ils ont pris en photo. L’examen attentif de celle-ci m’a permis de conclure que c’était l’ambulance « débaptisée » si je puis dire. Elle avait en outre changé de plaques pour des françaises banales.
14. Vous m’avez indiqué que ce numéro correspond à un Fiat Ducato appartenant à un certain monsieur Blanc. Nous sommes allés voir ce monsieur, propriétaire effectivement d’un camping-car sur Fiat Ducato qui possédait le même numéro minéralogique. Là, ça devient intéressant ; en discutant, nous avons appris que la maison de ces gens a été « visitée » il y a quelques années et une pochette contenant argent et papiers avait été dérobée. La pochette a été retrouvée par la suite et restituée, sans l’argent ni la carte bancaire bien sûr mais avec les papiers dont la carte grise. C’est à cette époque que la fausse plaque a été fabriquée avec la carte grise du camping-car. Entre parenthèses, j’en déduis que la plaque suisse est fausse ou a été volée.
15. Amandine n’a aucun souvenir pour la période entre sa capture et son évasion mais elle a pu nous faire une description sommaire de ses ravisseurs. Par ailleurs, persuadé qu’ils allaient ratisser le coin pour tenter de la retrouver, j’avais demandé à Boub… heu Pascal de photographier toutes les personnes inconnues passant près du parcours de santé et il a pris un cliché de deux hommes dont les habits semblaient correspondre. Malheureusement ils sont de dos sur la photo mais j’ai pu, par comparaisons, déterminer leurs tailles : un mètre soixante-quinze pour l’un et au moins un mètre quatre-vingt-deux pour l’autre.
16. Ensuite, et là ça ne va pas vous plaire, je suis venu ici à la gendarmerie pour obtenir une attestation de vol pour qu’Amandine puisse obtenir un nouveau portable. J’ai vu votre mur avec les photos et je l’ai photographié.
— Valentin ! Tu as violé le secret de l’enquête !
— Mon adjudant-chef, c’était les photos du téléphone cassé d’Amandine et rappelez-vous que c’est moi qui l’ai retrouvé pour vous le donner.
— Oui, bon, qu’as-tu tiré de ta propre photo ?
— Alors là, point suivant, heu j’en étais où ? Ah oui,
17. J’ai reconstitué le visage d’un des deux types avec un logiciel de retouches d’images et avec le résultat imprimé j’ai pu, grâce à une nouvelle copine, apprendre son nom. Il s’appelle Freddy Champex.
18. Pauline, une autre copine que vous connaissez, habite dans une maison près de la route qui monte au col de Lachaux. Elle à photographié tous les fourgons blancs qui passaient et l’un d’eux est celui qui nous intéresse, donc,
19. Nous avons organisé des patrouilles de reconnaissance en VTT dans le secteur du col et nous l’avons repéré dans une remise agricole. Par ailleurs, nous avons de fortes présomptions quant à leur logement, ils sont probablement dans une des premières maisons du village de Lachaux. Et enfin,
20. J’ai pu très récemment obtenir le numéro de portable du plus grand de ces deux voyous et je sais que le diminutif de l’autre, c’est Mat. Ah oui, j’allais oublier,
21. Leur Trafic Renault a été immobilisé par un copain mais ils ne le savent pas encore !
— Tu te rends compte Valentin des énormes risques que vous avez pris ? Deux types prêts à tout. Ils doivent savoir qu’ils risquent vingt années de réclusion criminelle et à ton avis, que feraient-ils s’ils venaient à capturer quelqu’un capable de les dénoncer ?
— Durant toute notre enquête, nous avons toujours eu l’air d’adolescents qui s’amusent, rien de plus. En fait, nous avons appris toutes ces choses en réfléchissant, en nous promenant beaucoup et en échangeant nos informations.
— Et bien entendu, tu as imaginé la suite ?
— Bien sûr, mais vous concernant uniquement. Nous ne pouvons pas intervenir dans une action qui exige l’emploi de la force publique.
— Heureux que tu t’en rendes compte. Et cela va consister en quoi selon toi ?
— L’arrestation des deux ravisseurs d’Amandine quand ils vont courir vers leur fourgon pour décamper.
— Courir vers leur fourgon, hum… Cela va plutôt demander une longue surveillance de la grange en question. Tu vas me la situer sur une carte d’état-major.
L’adjudant-chef ouvrit le large tiroir dédié aux cartes de la région, feuilleta un instant la pile de feuilles superposées pour finir par en sortir une qu’il posa sur son bureau.
— Voilà, le nord est ici, le col de Lachaux là, situe-moi la fameuse grange.
Valentin posa le doigt à l’emplacement du col, suivit la route descendante vers l’ouest et pointa le bon endroit.
— Là, dit-il.
— Sûr ?
— Sûr et certain mon adjudant-chef.
— Bien, je vais installer une surveillance du lieu jour et nuit.
— Ce sera parfaitement inutile. Je n’ai qu’un SMS à envoyer pour déclencher leur fuite. Dites-moi à quelle heure vous serez prêt à agir.
L’adjudant regarda l’adolescent d’un air stupéfait.
— Comment vas-tu opérer ce miracle ?
— Quelqu’un qui a une belle voix d’homme et qui se fait passer pour l’émissaire du commanditaire de l’enlèvement va leur dire : « tout est découvert, barrez-vous ! » Des indices m’ont laissé à penser qu’ils logent dans une de ces maisons, continua Valentin en pointant une série de petits rectangles noirs sur la carte, c’est en terrain découvert, vous les verrez venir de loin. Dix-sept heures, ça vous va ?
— Vous n’allez pas encore vous mêler de ça ! Donne-moi tout de suite le numéro de ce Freddy.
— Impossible sans leur mettre la puce à l’oreille, ils connaissent déjà la voix téléphonique du soi-disant intermédiaire. Et puis nous voulons tous qu’Amandine soit vengée grâce à tous ses amis.
— Admettons, mais si ça ne fonctionne pas aujourd’hui même, j’exigerai d’avoir tous, je dis bien tous les détails.
— Marché conclu mon adjudant-chef.
— En attendant, tu retournes au collège.
— Bah ! le second cours de l’après-midi est commencé, ça ne me serait d’aucune utilité. Simplement, il me faudrait un mot d’excuse à présenter demain.
— Je te fais ça tout de suite et tu déguerpis. Je t’aviserai par SMS quand le piège sera prêt.
— D’accord, je donnerai le top action à ce moment-là.
L’adjudant-chef soupira, haussa les épaules, leva les yeux au ciel et secoua la tête.
— VALENTIN ! Bon, Valentin, je te fais ton papier avec un joli tampon pour faire plus officiel et tu me laisses travailler.
À ce moment, le téléphone de l’adolescent vibra dans sa poche, annonçant un message d’Olivier. Il y jeta un regard rapide pendant que Lemoine écrivait. « Impec. Mathis Dupuech 0760111218. »
— L’autre s’appelle Mathis Dupuech, vous désirez son numéro de téléphone ? s’amusa le garçon.
— Tu es vraiment impossible, prends ton papier et disparait !