Au moment de l’ouverture du portail du collège, le jeudi matin suivant, Amandine n’était pas là. À l’entrée dans le bâtiment des salles de classes, elle n’était toujours pas arrivée.
— Amandine ne s’est pas réveillée ce matin, observa Margot.
— Le portail est refermé maintenant, elle nous rejoindra sûrement dans une heure, pronostiqua Pauline.
À la récréation de dix heures, Amandine n’ayant toujours pas donné signe de vie, les amis rassemblés près de leur banc favori émirent des hypothèses sur cette absence imprévue.
— Elle est peut-être malade, suggéra Lucie.
— Elle était en pleine forme mardi, à la sortie, tempéra Valentin, ce serait étonnant.
— Un problème dans sa famille peut-être, supposa Mathilde.
— Quelqu’un a essayé de l’appeler ? demanda Valentin.
— Je lui téléphone tout de suite, proposa Pauline en sortant son smartphone. C’est bizarre, ajouta-t-elle, je tombe immédiatement sur sa messagerie.
— J’appelle sa grande sœur Camille, j’ai son numéro, décida Valentin. Voilà, ça sonne ! Je mets le haut-parleur : Camille, c’est Valentin…
— Ah, Valentin, merci de m’appeler, ma sœur est avec toi ?
— Heu non, je te téléphone justement pour savoir où elle est. Elle n’est pas venue en classe ce matin, elle est malade ?
— Ma sœur a disparu ! cria Camille, glaçant d’inquiétude les adolescents, elle n’est pas rentrée hier soir, elle ne répond pas à nos appels. Si elle n’est pas avec toi, elle est chez une de ses copines tu crois ?
— Non, personne de notre groupe ne l’a vue depuis la fin des cours avant-hier. Qu’est-ce qu’elle a fait hier avant de heu…
— À cinq heures elle s’est mise en tenue et elle est ressortie pour faire son jogging. Elle n’est pas revenue. Nous sommes hyper inquiets.
— Vous avez averti la gendarmerie ?
— Oui, mes parents ont téléphoné hier soir à vingt heures. Ils ont répondu que si nous n’avions pas de nouvelles ce matin, ils allaient lancer des recherches. Nous les avons recontactés à huit heures.
— Vous avez bien fait. Tu penses qu’elle aurait pu fuguer ?
— Non, non, elle était contente de reprendre la classe et de vous retrouver tous.
— Écoute Camille, si quelqu’un du groupe apprend quelque chose, tu seras immédiatement avertie. Courage, garde l’optimisme. Tiens-moi au courant s’il y a du nouveau, conclut Valentin en coupant la communication.
— Regardez sur le parking des profs, s’écria Bouboule, une voiture de la gendarmerie vient d’arriver, je vais laisser trainer mes oreilles par là.
— Mais c’est bientôt l’heure de la reprise, Pascal ! fit remarquer Eva.
— Je serai en retard. Quand elle fera l’appel, dis à la prof de français que je suis allé au secrétariat.
L’inquiétante nouvelle s’était instantanément répandue et, pendant le cours de français, tous les élèves de cinquième C respectaient un silence à peine troublé par quelques reniflements et sanglots contenus. La professeure elle-même présentait un visage inhabituellement sombre et préoccupé. Sa leçon sur l’ordre des mots dans une phrase et l’effet de ce placement sur le sens de celle-ci pénétra bien peu les esprits. Lorsque vint l’heure du changement de cours, les smartphones étant règlementairement fermés, Valentin dit à Mathilde et Gilles : « Rassemblement au banc à midi. Dix minutes pas plus, faites passer le message. »
À midi, tous étaient là, même Pauline qui, ne mangeant pas à la cantine, disposait de peu de temps pour rentrer chez elle, à trois kilomètres.
Valentin, visage grave, rides d’inquiétude au front, prit la parole.
— Les amis, la disparition d’Amandine est très préoccupante, vous en êtes tous conscients. La présence de la voiture de la gendarmerie me semble en être la preuve. Pascal, as-tu pu glaner une information ?
— Pas grand-chose. J’ai pu échanger deux mots avec le brigadier qui était resté dans la voiture… heu… celui qui a une moustache…
— Le brigadier Dufournet, précisa Gilles.
— Oui c’est ça. J’ai juste pu savoir que l’adjudant-chef Lemoine était dans le bureau du principal pour obtenir des renseignements sur une élève. Il n’a pas voulu me dire de qui il s’agissait mais tout le monde ici le sait.
— De mon côté, poursuivit Valentin, il faut que je vous dise ce que je sais. Amandine se trouvait trop grosse, c’est pour cette raison que, afin de maigrir un peu du… heu, de l’arrière, elle avait décidé de courir chaque jour au moins trois kilomètres.
Valentin tourna la tête vers Emily avant de poursuivre.
— Elle me demandait toujours si l’effet de la course commençait à se voir. Je ne suis pas spécialiste en la matière alors hier je lui ai fait cadeau d’un mètre-ruban de couturière. Vous connaissez la forte volonté d’Amandine, quand elle a décidé quelque chose, elle le fait et donc hier, probablement vers cinq heures, elle est partie courir. C’est sûrement au cours de son jogging qu’il s’est passé quelque chose. Elle avait établi plusieurs parcours, plusieurs itinéraires, au moins trois m’a-t-elle dit. J’en connais un pour l’y avoir rencontrée quelques jours avant la rentrée. Elle part de chez elle. Pour ceux qui ne connaissent pas, ses parents habitent dans un petit immeuble sur la petite route parallèle à la grande départementale, après le grand garage. Donc elle suit cette route vers le centre village, passe dans le souterrain puis devant le collège et poursuit vers le lac. Elle traverse le bois du parcours de santé, le camp scout, tourne à gauche avant la plage et va rejoindre la digue aux platanes puis la route à travers prés jusqu’à la voie verte. Là elle revient vers le collège avant de reprendre le souterrain pour rentrer chez elle.
Comme je vous l’ai indiqué, elle m’a précisé qu’elle avait d’autres circuits mais j’ignore lesquels. Je vous demande à tous d’essayer d’imaginer quels itinéraires vous adopteriez si vous étiez à sa place et surtout, s’il vous vient une information de bien la noter. Les gendarmes vont enquêter, bien sûr, mais je crois que nous sommes mieux placés qu’eux pour obtenir des indices. Les gens se méfieront moins de nous. Quelqu’un a-t-il une photo récente de notre amie ?
— Je crois que j’en ai une dans mon téléphone, dit Charly en rougissant.
— Super ! Pourras-tu en tirer une douzaine d’exemplaires pour demain matin ?
— C’est comme si c’était fait.
— Je vais constituer trois équipes parmi nous pour augmenter nos chances de découvrir quelque chose.
— Comment vas-tu les faire ces équipes ? s’inquiéta Olivier.
— Deux garçons et deux filles par groupe en tenant compte des affinités, rassura Valentin. Première équipe : Pauline, Eva, Pascal et Charly, pas d’objections ?
Bon, Pauline tu peux vite rentrer chez toi, la surveillante va fermer le portail.
Deuxième équipe : Lucie, Mathilde, Gilles et Quentin, c’est bon ?
Alors troisième : Margot, Emily, Olivier et Florian, toujours bon ?
— Et toi, tu te mets dans laquelle ? voulut savoir Emily.
— Aucune et toutes. Si une équipe trouve un indice probant, j’irai immédiatement la rejoindre.
— Qu’est-ce qu’on est censés faire ? questionna Quentin.
— D’abord, mettez-vous à la place de quelqu’un qui va courir et imaginez le circuit qu’il peut faire à partir de l’immeuble où habite la famille d’Amandine. Disons que le départ se situe au début du chemin des morilles. Trois, quatre ou cinq kilomètres voire un peu plus à partir de là, en empruntant les petites routes ou les chemins les plus tranquilles. Questionnez les gens, montrez la photo que Charly vous donnera demain.
— Demain c’est trop tard, il faut agir plus vite que ça, objecta Charly. Je vais faire péter les cours de cet après-midi pour imprimer les photos, je vous retrouverai au portail à quatre heures pour vous les filer. Je vais également scanner et imprimer pour chacun la carte détaillée de Saint Thomas et des environs pour imaginer les circuits à explorer. Comme ça on peut commencer dès la fin des cours.
— Merci Charly de t’investir autant pour Amandine, dit Valentin approuvé par les hochements de tête des dix autres compagnons.
Charly rougit une fois de plus et murmura :
— C’est normal, c’est notre copine à tous.
— Attendez, description : pour faire son jogging, en tout cas la dernière fois que je l’ai vue, Amadine portait un haut couleur vert-violet un peu comme les plumes du cou d’un pigeon, un collant de sport vert foncé et ses baskets de gym. Elle avait ses cheveux attachés en queue de cheval avec un truc en tissu vert je crois.
— Un chouchou, précisa Mathilde.
— OK, un chouchou. C’est à peu près tout ce que je sais. Ah oui, en plus elle avait une poche-brassard pour son smartphone. Donc dès que nous aurons les documents de Charly, nous nous mettrons en chasse aux indices et aux témoignages. Pas de timidité, interpelez les gens, posez des questions, montrez la photo. Comme elle n’a pas pu se volatiliser comme ça, c’est donc qu’un évènement extérieur est survenu et il nous faut trouver lequel. Continuez à réfléchir au problème pendant les cours de l’après-midi. Je prendrai des notes pour toi Charly. Allez, ça sonne, c’est l’heure de notre service à la cantine.