Pauline arriva à quatorze heures précises au rendez-vous de Quentin en empruntant le chemin des morilles.
— Passe devant tant qu’on est sur la route, demanda-t-elle au garçon.
L’un derrière l’autre, ils empruntèrent la route des Chapelles, s’arrêtant souvent pour interroger piétons et cyclistes sans obtenir un quelconque renseignement. Au niveau de l’ancienne scierie, ils traversèrent la départementale et se dirigèrent vers la voie verte qu’ils suivirent jusqu’au chemin de la digue aux ânes. Ils avisèrent alors un agriculteur en train de vérifier la clôture de son pâturage. Pauline le héla.
— Pardon monsieur, excusez-nous de vous déranger, avez-vous déjà vu passer cette fille sur la digue ?
— Montre-voir, répondit l’homme en essuyant ses mains sur sa salopette. Ah, oui, je crois bien l’avoir vue plusieurs fois en train de courir en direction du lac.
— C’était quand la dernière fois, vous vous souvenez ?
— Oui, c’était le jour où j’ai dû soigner mon ânesse, donc mardi. Pourquoi vous voulez savoir ?
— Nous voulons faire le même parcours qu’elle pour lui faire une surprise, mentit Olivier. Merci bien monsieur, bon après-midi.
Arrivés au niveau du lac, les deux amis suivirent à droite le semblant de chemin plus ou moins boueux, coupé de racines et d’écoulements d’eau sur lesquels étaient établis des mini-ponts en rondins rudimentairement assemblés.
— Ce n’est pas fait pour les vélos ce passage, déplora Pauline en poussant son VTC.
— Ni même pour les Tous Terrains, ajouta Quentin, mais le chemin est meilleur plus loin.
En effet, quelques dizaines de mètres plus avant, le sentier retrouvait une terre plus ferme et les adolescents longèrent un pré non loin d’un camping encore fréquenté en ce début septembre. Au niveau d’une trouée dans les roseaux de bordure, un couple se tenait par la taille et contemplait le calme des eaux du lac dans lesquelles se miraient les montagnes de l’autre rive. Pauline remit pied à terre et dit :
— Bonjour, c’est superbe ici, n’est-ce pas ?
L’homme et la femme tournèrent et hochèrent la tête.
— Vous venez là souvent vous aussi ? continua Pauline.
— Nous sommes au camping « Lac et montagnes » là, derrière, alors on profite au maximum de la vue et de la lumière de fin d’été.
— Sans vous déranger, peut-on vous demander un renseignement ? Nous cherchons à savoir si notre amie dont voici la photo est passée par ce chemin récemment.
L’homme jeta un œil et fit signe que non. À son tour la femme regarda et dit :
— Il me semble avoir déjà vu cette jeune fille, mais pas aujourd’hui.
— Hier ? Avant-hier ?
— Hier non, peut-être avant-hier.
— Mercredi, vous êtes sûre ? précisa Pauline.
— Sûrement pas mercredi, c’est le jour où nous avons grimpé le mont Veyrier, démentit l’homme.
— Alors c’était le jour d’avant, mardi.
— Merci beaucoup de nous avoir renseignés, dit Olivier, bonne fin de journée.
— Merci, au revoir.
Pauline et Quentin réenfourchèrent leurs vélos et continuèrent le parcours. Arrivés au niveau de la grande plage, ils s’interrogèrent.
— Nous avons deux témoignages qui indiquent qu’Amandine a effectivement effectué ce circuit mardi dernier, affirma Quentin. Reste à savoir quel itinéraire elle a pris à partir d’ici pour rentrer chez elle. À ton avis, a-t-elle continué vers le port et le club nautique ou est-elle allée directement vers chez elle ?
— Combien de kilomètres a-t-on fait ?
— Au moins quatre depuis son immeuble. Avec ce qui reste, sans prolonger, ça fera un peu plus de cinq.
— Donc je pense qu’elle a suivi la rivière jusqu’à la départementale pour rentrer chez elle. Prenons le chemin de la rive droite.
Les deux adolescents passèrent sur la large passerelle traversant le cours d’eau puis suivirent en le remontant le chemin blanc menant au petit bois, sans recueillir de nouveau témoignage. À l’issue du premier bois, ils retraversèrent le torrent sur une étroite passerelle piétonnière rejoignant la route tranquille. Négligeant celle-ci, ils appuyèrent à gauche et s’engagèrent dans le second bois abritant le parcours de santé. Quentin devant, Pauline le suivant, ils roulaient lentement sur l’étroit chemin sinueux du bord de l’eau.
— Tu crois que c’est la peine de demander encore ? dit Quentin en se retournant.
— Attention, attention, freine ! cria Pauline.
Un monsieur âgé roulant en sens inverse sur un vélo à assistance électrique venait de piler à quelques centimètres du garçon.
— Oh pardon ! s’excusa Quentin, c’est de ma faute, je ne regardais pas devant moi.
— Pas de mal mon garçon, mais c’est quand même mieux de regarder devant soi quand on roule, tu ne crois pas ?
— Oui, bien sûr, excusez-moi.
— Je crois que je vous ai déjà vus tous les deux, vous êtes élèves au collège, n’est-ce pas ?
— Vous avez une bonne mémoire visuelle. Oui monsieur, nous sommes du collège mais nous n’avons pas cours à cette heure-ci, répondit Pauline.
— Pour la mémoire visuelle ou autre, ça va encore mais pour les jambes, je me fais aider, sourit le vieil homme en tapotant son guidon.
— Puisque nous sommes arrêtés, pouvez-vous nous dire si vous avez vu cette jeune fille ces temps derniers ? demanda Pauline en sortant la photo de son panier de guidon.
— Voyons-çà, répondit l’homme en prenant le carton. Oui, oui, je rencontre souvent cette jolie jeune personne qui court par ici. Dans ce bois, dans le camp scout, le long du lac… En fait elle fait à pied ce que je fais en vélo.
— L’avez-vous vue récemment ? intervint Quentin.
— Attendez… Hier non mais je l’ai vue mercredi.
— Mercredi ou mardi ?
— Mercredi, j’en suis certain. Elle courait sur l’autre chemin dans ce bois en direction du lac quand je l’ai dépassée.
— L’autre chemin ? s’étonna Quentin.
— Oui, celui qui est parallèle à la route. C’est une amie à vous ?
— Oui, c’est une très bonne camarade. Merci monsieur, au plaisir de vous recroiser sans vous télescoper, sourit Pauline en remontant en selle.
À la sortie du bois, elle stoppa sur le bas-côté de la petite route d’intérêt local.
— Cette fois, on tient une piste, elle a couru par ici mercredi, il faut prévenir les autres. Quelle heure est-il ? Quinze heures quinze. Le cours de gym finit à quatre heures, tu peux envoyer un WhatsApp ?
— OK, dit Quentin. Il sortit son smartphone et tapota : « 1-1-10-1-portant. » Dis Pauline, il ne faut pas qu’on passe devant le collège, on pourrait se faire repérer, faisons demi-tour et allons prendre la route des prés.
Ils n’avaient pas fait cinq cents mètres que le téléphone de Quentin vibra dans sa poche de bermuda. Tout en roulant il ressortit son appareil et du pouce ouvrit l’application montrant un téléphone blanc dans une bulle verte marquée du chiffre 2.
— Valentin me répond, il dit : « 16h15 chez Charly. »