VALENTIN ET LA NOUVELLE

1. BELLE NOUVELLE

« Veuillez vous assoir » articula madame Chevallier, professeure d’histoire et géographie s’adressant aux élèves de troisième C du collège de Saint Thomas du lac. Elle attendit que cessent les raclements des pieds de chaises au sol et que stoppent les dernières conversations.
Dans le silence qui venait juste de s’établir, la vibration de son smartphone fut perceptible par tous. Avec une petite grimace de désapprobation, elle sortit l’appareil de son sac à main posé sur le bureau à côté de sa mallette de travail. Elle jeta d’abord un œil négligent à l’écran avant de le rapprocher de son visage en fronçant les sourcils de concentration, puis un sourire fugace adoucit ses traits.
— Vous avez reçu une bonne nouvelle ? se permit de demander Alexis Mercier, nouveau copain de Tony Thénard.
— C’est plutôt vous qui allez recevoir une bonne nouvelle, s’amusa la professeure, je vais vous demander d’accueillir avec bienveillance une camarade qui nous vient d’un territoire d’outre-mer.
— Elle est noire ? intervint Lucas Pinturault. — Je n’en sais rien et cela n’a aucune importance et n’aura, si c’est le cas, aucune incidence sur votre comportement vis-à-vis d’elle, du moins je l’espère. Elle se nomme Devienne, de son prénom J…
À ce moment deux coups timides frappés à la porte de la classe interrompirent la professeure.
— Entrez mademoiselle Devienne.
Une jeune fille, élégamment habillée d’un pantalon corsaire collant beige écru, d’un crop top blouse de couleur bleu pâle aux pans noués au-dessus de la taille soulignant sa jeune féminité, et chaussée de baskets dorées fit son entrée, cernée par tous les regards. Un charme certain émanait de sa personne : cheveux ondulés couleur châtaigne, yeux vert pale lumineux, pommettes hautes, visage bronzé et lèvres rose, nez légèrement retroussé.
— Canon la go, fit Tony, résumant l’avis général des garçons.
— Bonjour mademoiselle, reprit la professeure sans relever l’assertion de Tony, bienvenue dans votre nouvelle école et votre nouvelle classe. Je suis madame Chevallier et j’enseigne l’histoire et la géographie. Il y a une place libre là, près de mademoiselle Joly. Je vous laisse vous présenter à vos nouveaux camarades.
La jeune fille, nullement intimidée, posa calmement son sac scolaire au sol près de la place assignée entre Morgane et Valentin, tourna la tête à droite et à gauche pour envisager son nouvel environnement et prononça calmement :
— Bonjour madame Chevallier, bonjour à tous et à toutes.
— Bonjour, bonjour, bonjour… reprirent surtout les garçons.
— Je m’appelle Jade Devienne…
— Ja, c’est un prénom, ça ? coupa Romuald.
— Jadeu, reprit la nouvelle arrivante sans se démonter. Je viens de Nouvelle Calédonie, précisa-t-elle d’une voix douce en souriant à la ronde. J’arrive après la rentrée parce que mon père vient seulement d’être muté et de prendre son poste à la préfecture. Nous allons habiter ce village et je suis satisfaite de devoir vivre dans cette superbe région. À Nouméa j’étais considérée comme une assez bonne élève. Mes matières préférées sont la géographie, la littérature et le sport. Je vais faire en sorte de bien m’entendre avec vous tous. Voilà.
— Très bien mademoiselle Devienne. Asseyez-vous. Mathilde Marchand, c’est la jeune fille assise exactement devant vous, est votre déléguée de classe. Elle vous mettra au courant et répondra à vos questions à la récréation d’après cours, d’accord Mathilde ?
Mathilde se retourna vers la nouvelle et répondit avec son sourire habituel.
— Bien entendu. Amandine, tu pourras te joindre à moi ?
— Oui, bien sûr, accepta Amandine Fontaine.
— Bon. Mademoiselle Devienne, comme je suppose que vous n’avez pas encore vos livres de classe, je vous demande de suivre sur celui de Morgane, votre voisine. Donc sortez tous votre manuel et ouvrez-le à la page où est représentée la carte des pays d’Europe. L’Europe, notre continent, est formée de plus de quarante pays…
— Combien exactement ? interrompit encore Alexis Mercier.
— Par politesse et pour le bon ordre du cours, il est préférable de demander la parole avant de poser sa question plutôt que d’interrompre la personne qui parle, que ce soit le professeur ou un camarade, d’accord Alexis ? Maintenant il est difficile de répondre avec précision à cette question car certain pays sont très petits, enclavés dans d’autres comme Monaco, le Vatican ou Saint Marin, d’autres sont partagés comme Chypre ou comme le fut l’Allemagne il n’y a pas si longtemps, ou ne sont pas reconnu par tous comme le Kosovo, d’autres encore sont sur deux continents à la fois comme la Russie ou la Turquie…
Vous suivez les garçons ? Si tu n’as rien à dire, tu peux fermer ta bouche Adrien et toi aussi Florian. Vous allez gober des mouches. À quoi rêvez-vous donc ?
— À qui, vous voulez dire, intervint Amandine moqueuse.
— Ils bavent devant la nouvelle, observa Louise Guérin avec peut-être une pointe de jalousie.
— Comme tous les garçons d’ailleurs, compléta Emilie Leblanc, observatrice.
— C’est parce qu’elle est belle, souligna Anaïs Gay, faisant rougir l’intéressée.
— Oui, bon, revenons à notre sujet qui est l’Europe, vous vous souvenez…

Pendant la récréation qui suivit, la nouvelle venue, occupée ailleurs avec Mathilde et Amandine, fut le sujet de conversation de tous.
— Dis-donc Florian, tu viens de prendre un sacré vent par la prof ! se moqua Valentin. Elle t’hypnotise tant que ça la belle Jade ?
— Heu non, enfin oui un peu. Elle a dit qu’elle était sportive, je crois. Je suis toujours intéressé par les sportifs.
— Et là, par une sportive ! appuya lourdement Olivier. Marine va être jalouse.
— Marine fait ce qu’elle veut et moi aussi, se rebella Florian. On parle d’autre chose ?
— On dirait qu’Amandine va beaucoup mieux maintenant, vous avez entendu sa réflexion en classe ? fit Quentin.
— Oui, elle va mieux, même si elle ne peut pas oublier ce qui lui est arrivé , conforta Charles-Henri Dubois de la Capelle simplement appelé Charly par ses copains. Samedi dernier je l’ai invitée à faire un peu de ski nautique et elle a réussi à monter sur l’eau dès le deuxième essai.
— Dit donc Charly, c’est du favoritisme ça ! Pourquoi elle et pas nous ? ironisa Pauline.
— Tout simplement parce que son médecin et la psychologue qui la suivent ont recommandé de la distraire par tous les moyens. Mes parents ont un hors-bord, je lui en ai fait profiter. Maintenant si tu veux essayer toi aussi, pas de problème, je t’invite.
— Tu te défends bien Charly, se moqua encore Valentin qui avait percé le secret amoureux de son ami.
— Qu’est-ce que vous pensez de la nouvelle ? interrogea Gilles à la ronde.
— Comme l’a dit Anaïs, je trouve qu’elle est très belle, énonça Margot Chevril.
— Et bien habillée, compléta Lucie Roche.
— Et probablement inaccessible, commenta Pascal Boulot -surnommé Bouboule- en regardant Florian.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? Qu’est-ce que t’en sais ? Parle pour toi ! rétorqua ce dernier avec un brin d’énervement.
— Je crois que Bouboule sous-entend qu’une jolie jeune fille est toujours fortement sollicitée, qu’il est probable qu’elle a l’habitude d’avoir une cour autour d’elle, que cela lui plait, et donc, pour elle, choisir quelqu’un en particulier risque de mettre fin à son règne, expliqua Valentin.
— Je crois que là tu as tout bon, jugea Emily Gilmore approuvée du menton par Eva Lacour.
— Revoilà Amandine et Mathilde, observa Quentin Ouvrard. Alors les filles, elle est sympa la nouvelle ?
— Très sympa, très gentille, très intelligente aussi je pense.
— Et très charmeuse, compléta Amandine.
— Bon, on change de sujet ? déclara Olivier. J’ai une proposition à vous faire pour mercredi s’il fait beau. Le club nautique va bientôt fermer et remiser ses bateaux, ses paddles et ses canoës. J’ai discuté avec un mono et j’ai appris qu’on peut louer la flottille de kayaks biplaces et de canoës pour pas cher du tout. Tout le monde sait nager dans le groupe et le club prête les gilets de sauvetage. De plus, le chef du centre nautique est un ami de mon père et il serait d’accord pour assurer la sécurité avec le hors-bord en cas de pépin. Est-ce que cela vous tente de faire la traversée du lac jusqu’au Roc de Chère ?
— Super idée, approuva Valentin.
— L’eau n’est pas un peu fraiche maintenant ? On est début octobre quand même, objecta Eva.
— Tu plaisantes ! réfuta Florian. Je suis encore allé à la plage au plongeoir ce samedi. Le lac est à au moins vingt degrés.
— Tout le monde pourra venir ? s’enquit Olivier.
— Désolée, pour moi, j’ai peur que ce ne soit pas possible. Nous avons peut-être une visite de famille ce week-end.
— Dommage Pauline. Pour les autres, c’est tout bon ?
— Sous réserve que nos parents soient d’accord, approuva Gilles. Réponse ferme demain matin à la récré.
— OK, je m’occupe de l’organisation, conclut Olivier.