VALENTIN ET LA NOUVELLE

10. LA DÉTRESSE DE FLORIAN

Le lundi suivant, quand Florian se présenta au portail d’entrée du collège, il marchait lentement, avait le visage exsangue, les yeux rougis, les coins des lèvres affaissés, le dos un peu voûté, les épaules tassées. Il tapa la main de ses amis déjà présents sans son dynamisme habituel. S’adressant à Valentin, il prononça d’un ton morne :
— Nous reprenons nos places d’avant.
Valentin hocha affirmativement la tête.
— D’accord.
Jade eut l’air étonnée quand, en cours de français, assise à sa place habituelle, elle se retrouva à côté de Valentin. Elle se retourna pour envisager Florian. Celui-ci, tête baissée, semblait fort occupé à sortir classeur et crayon quatre couleurs de son sac.
— Pourquoi tu as pris la place de Flo ? demanda-t-elle à son nouveau voisin.
— Un, j’ai repris MA place et deux, pourquoi ? Parce que tu n’as pas voulu choisir comme je te l’ai demandé. On ne peut pas chasser deux lièvres à la fois, c’est un des proverbes favoris de mon grand-père qui d’ailleurs ne chasse pas. En l’occurrence le chasseur c’est toi et maintenant ton deuxième lièvre, Florian, s’est échappé. De plus, je crois bien que le premier a fait pareil.
— Qu’est-ce que tu me racontes là ?
— Je vais te mettre les points sur les i. Tu as terriblement blessé et déçu mon ami Florian qui est un garçon formidable. Il est beau, intelligent, sportif, sensible et toujours prêt à rendre service. Maintenant il est au courant de ton double jeu et ça, il ne peut pas supporter. Il te laisse tomber et tu l’as bien mérité. Quant à Pierre-André, je doute fort qu’il veuille te revoir.
— C’est toi qui as manigancé ça ?
— Florian est un gars en or et pour ce que nous en avons vu, Pierre-André est également un mec bien. Ce que tu leur as fait est inadmissible. Je t’avais prévenue !
— Mais de quoi tu te mêles ! Ce ne sont pas tes oignons…
— Charly, Amandine, mais aussi tous mes autres copains sont de mon avis.
— Florian, je vais le récupérer et pas plus tard qu’à la récré, tu vas voir.
— L’espoir fait vivre, dit aussi mon grand-père. Maintenant, le cours commence, tu me fiches la paix, tu me laisses travailler.

La première altercation eut lieu dans le long couloir desservant les salles de classes, au moment où la troisième C quittait son local habituel pour rejoindre la salle spécialisée de musique. Tony, Clément, Romuald, Alexis et Morgane chantonnaient dans le brouhaha : « il est cocu le chef de gare ! » Au moment où Morgane en tête du groupe ajoutait de sa voix plus aigüe : « Florian aussi, qu’est-ce qu’on se marre ! » Amandine qui se trouvait non loin d’elle s’approcha vivement.
— Tu ne peux pas la fermer !
— Je fais ce que je veux ! répondit l’intéressée avec un air de défi triomphal en reprenant sa chanson débile.
Amandine lui balança alors sur la joue gauche une méga-gifle vengeresse.
Morgane après un « aïe » retentissant et hurla « salope, je vais te démolir. » Elle lui sauta dessus et l’agrippa par les cheveux. Charly qui se trouvait près d’Amandine, saisit les poignets de Morgane, les tordit violemment pour lui faire lâcher prise, ce qu’elle fut obligée de faire.
— Tu arrêtes tout de suite sinon, même si tu es une fille, je t’en colle une vraie ! menaça-t-il.
Tout aurait pu en rester là mais la bande des cinq, Morgane derrière ses quatre complices cette fois, reprit de plus belle la chanson provocatrice : « il est cocu le chef de gare, Florian aussi, qu’est-ce qu’on se marre ! » Ce dernier qui marchait quelques pas derrière les chanteurs laissa tomber son sac, s’avança vivement, agrippa Morgane par le bras, lui fit faire demi-tour et lui asséna sur la joue droite une autre baffe retentissante. Alexis s’était retourné, il avait vu la fin de la scène. « Oh les gars, il a frappé notre copine, ce connard de cocu ! On lui met la raclée de ta vie ! » gronda-t-il en se mettant en garde pendant que Clément qui s’était vivement placé derrière Florian l’attrapait par le cou et que Tony et Romuald lui saisissaient chacun un bras pour l’immobiliser. Alexis balança alors une série de crochets au visage et au corps de Florian qui d’abord encaissa mais ensuite se déchaina. Il lança son pied droit en avant vers l’entrejambe d’Alexis puis sans reprendre appui, frappa du talon vers l’arrière et toucha Clément au même endroit, envoyant ses agresseurs se tordre de douleur sur le sol carrelé. Avec sa force décuplée par une colère trop longtemps rentrée, il rapprocha violemment ses deux bras entrainant les deux agrippés dont les têtes se heurtèrent avec un bruit mat. Tony et Romuald sonnés rejoignirent au sol Alexis et Clément pendant que Morgane gémissait en frottant ses joues rougies. La bagarre n’avait pas duré dix secondes.
— Pas d’autres chanteurs ? fit Florian en jetant un regard de défi autour de lui.
Personne n’osant souffler mot, il reprit son sac et continua vers la salle de musique de son pas fatigué. Jade alors s’approcha vivement de lui et lui murmura : « Rejoins-moi à la récréation, je veux tout t’expliquer. »
Pascal Boulot alors près de Florian avait entendu, il partagea l’information avec Valentin qui réagit aussitôt.
— Tous à notre banc à la récré, il ne faut pas laisser Flo seul avec Jade. Fais passer l’info.

Les amis de Valentin avaient bien reçu le mot d’ordre transmis par Pascal, ils étaient tous près de leur banc, entourant un Florian à la joue gauche un peu tuméfiée suite au premier coup de poing d’Alexis.
— Ça te fait mal ? lui demanda Pauline toujours prête à aider et à soigner.
— Oui, j’ai mal, tu ne peux pas savoir. Tout semblait aller si bien entre elle et moi…
— Elle veut parler de ta joue ! détourna Gilles.
— Quoi ? Qu’est-ce qu’elle a ma joue ? s’étonna Florian.
— Ben Alexis a réussi à te coller une droite avant que tu le sèches. Ta joue est rouge et un peu enflée, expliqua Bouboule.
— Je n’ai rien senti.
— Je vais quand même te mettre une compresse froide, décida Pauline en sortant un mouchoir tissu d’une poche de son jean. Je vais au lavabo, je reviens tout de suite.
— On dirait bien que Jade veut nous causer, observa Amandine. Tu veux nous dire quelque chose, Jade ?
— Je veux parler à Florian.
— Ben vas-y, il est là.
— Lui parler en particulier.
— Tu veux lui parler, Flo ?
— Je n’ai plus rien à lui dire.
— Tu peux t’adresser à moi directement, Florian.
— Je n’ai plus rien à TE dire.
— Allez, viens marcher un peu avec moi, je vais t’expliquer.
— Pas la peine, j’ai compris, je n’ai pas besoin de tes explications. Tu veux t’amuser avec les mecs ? Va draguer Tony et sa bande et oublie-nous. Pour moi, pour nous tous ici, tout allait mieux avant toi et tout ira mieux après toi. Tu vois, là, j’ai treize copains et copines et eux, ils sont tous fidèles. Mais ce mot-là ne fait pas partie de ton vocabulaire, tu ne peux pas comprendre. Pour moi, tu n’existes plus, alors tu me lâches et tu nous lâches.
— Tu es aussi de cet avis Olivier ? tenta la jeune fille.
— Olivier est à fond pour notre ami Florian, décréta Margot.
— Et toi Quentin ?
— Quentin est un gars qui aime la franchise, la droiture, l’amitié. Après ce que tu as fait à Florian, tu n’as aucune chance avec lui, exposa Mathilde.
— Charly, toi tu es plus censé, tu ne peux pas penser comme eux…
— C’est Charly qui a découvert ton double jeu, alors lui aussi tu peux l’oublier ! trancha Amandine.
— Aucun garçon de notre équipe ne voudra de toi, ni Gilles, ni Valentin, ni Pascal, ni personne, tu n’as pas encore compris ? appuya Emily.
— Et dans cette affaire, tu as même perdu une possible amitié avec les filles de notre groupe, renchérit Lucie approuvée de la tête par Eva.
— Et bien, ça, ça s’appelle une rupture totale ! constata Amandine. Tchao Jade Devienne.