VALENTIN ET LA NOUVELLE

11. SAUVETAGE

Vers la fin des vacances de Toussaint, après cinq jours de temps exécrable à la fin desquels le gel avait fini par remplacer la pluie, une période de temps exceptionnellement doux venait de s’installer sur la région.
Avec l’assentiment des autres amis, Valentin avait décrété que, pour l’empêcher de sombrer dans la morosité, il fallait être le plus souvent possible avec Florian.
Faute de pouvoir programmer des activités de plein-air pendant la première partie des vacances, ils avaient alors multiplié les tournois de tennis de table, les séances de jeux vidéo, les échanges de mangas et autres bandes dessinées, les goûters en commun, mais l’envie de bouger les démangeait. Quand le beau temps fut enfin de retour, Valentin, qui avait besoin d’acheter un nouveau chargeur pour son smartphone, invita Gilles à l’accompagner en ville.
Les deux amis avaient décidé d’y aller en VTT par la voie verte le long du lac.
— Tu as vu, l’eau n’a pas la même couleur que d’habitude par le même temps, remarqua Gilles.
— Oui, je voulais justement te le faire remarquer, continua Valentin, c’est parce que le lac retourne ses eaux.
— Comment ça, il retourne ses eaux ?
— Te rappelles-tu le cours de physique sur les densités ?
— Oui, mais qu’est-ce que ça a à voir ?
— Mon grand-père m’a expliqué qu’en automne, en particulier après les premières gelées, l’eau en surface devient plus froide que l’eau en profondeur. Plus l’eau est froide, plus elle est dense donc plus elle a tendance à descendre tandis que l’eau plus tiède a tendance à remonter, ce qui fait un mouvement de brassage visible par les changements de nuances de couleurs.
— Ouais, c’est logique. Pas mal ton explication. Combien elle fait en température maintenant à ton avis ?
— Je dirais douze ou treize degrés.
— Donc finies les baignades.
— Pour nous, oui, mais il y a quand même des gens qui se baignent toute l’année au lac.
— Je leur laisse ce privilège, rien que d’y penser j’en frissonne. Je te propose d’attacher nos vélos place Saint François et de continuer à pied vers ton magasin.
— Ça me va.
— Tu as vu, les jardiniers de la ville ont changé les fleurs des bacs le long de la rivière, ils ont mis de choux et des chrysanthèmes. Je ferais bien une photo mais je n’ai pas pris mon appareil.
— C’est vrai que c’est bien chouette tout ça. Je vais faire une super photo et te l’envoyer par mail, annonça Valentin en sortant son smartphone.
Les yeux fixés sur l’écran, il s’appliquait à réaliser le meilleur cadrage quand une bourrade sur son épaule fit dévier sa visée.
— Eh ! Arrête de me bousculer !
— Ce n’est pas moi qui t’ai poussé mais ce mec à capuche avec une canette de coca à la main. Mais qu’est-ce qu’il fait, ce naze ? Oh ! Pétard, je crois qu’il vient de jeter son coca à la gueule d’une fille et il se casse en courant.
Un hurlement !
La personne arrosée mit ses mains sur son visage et cria d’une voix suraigüe.
— Aïïïe ! Ça brûle, ça brûle ! Aïïïe ! Aïïïe ! Aidez-moi ! Aidez-moi !
— Attrape ! cria Valentin en lançant son smartphone à Gilles.
Il bondit vers la fille qui, toujours hurlant, frottait son visage et ses yeux de ses mains. Une seconde avait suffi au garçon pour comprendre.
Il poussa la jeune personne vers un portillon intégré dans le garde-fou bordant la rivière, celui-ci, heureusement déverrouillé, donnait accès à trois marches permettant de descendre dans l’eau. La tirant par un pan de sa veste en jean, il obligea la fille qui maintenait les mains sur son visage à franchir le portillon. Sans lâcher prise, il se lança dans l’eau froide de la rivière évacuant les eaux du lac. Le fond, cimenté à cet endroit, était couvert de microalgues glauques. Valentin glissa, perdit l’équilibre, entraina sous l’eau la jeune fille toujours masquant et frottant son visage. Il lâcha sa prise, reprit pied, il n’y avait heureusement pas plus d’un mètre de profondeur à cet endroit. La jeune fille, mains toujours sur le visage, titubait sur le fond glissant en haletant.
— Mets la tête sous l’eau et ouvre les yeux ! cria-t-il en se rapprochant.
La jeune fille ne réagissant pas, brutalement Valentin lui appuya sur le sommet du crâne et lui enfonça un instant la tête sous la surface.
Tirant sur ses cheveux, il la fit rapidement émerger.
— Arrête de te frotter et ouvre les yeux sous l’eau ! cria-t-il encore avant de peser de nouveau sur sa tête, la forçant à replonger.
Ignorant les cris de la foule qui n’avait pas vu la cause de son action et s’amassait au bord de la rivière, par trois fois Valentin renouvela la manœuvre. À chaque séquence il lui cria d’ouvrir les yeux sous l’eau. Les cheveux dégoulinants lui masquant le visage, Valentin n’avait pas encore pu voir les traits de la fille qui porta de nouveau les mains sur ses yeux. Il voulut encore l’obliger à s’immerger quand deux bras solides l’immobilisèrent, lui firent faire demi-tour et le collèrent contre les pierres de taille de la berge.
— Espèce de jeune voyou, tu es pris sur le fait et devant témoins !
Bras immobilisés dans le dos, des menottes claquèrent autour des poignets de Valentin.
— Vous vous trompez, j’essayais simplement de venir en aide à cette personne qui venait de…
— Lui venir en aide en tentant de la noyer, comme c’est logique ! coupa l’homme en habit bleu de policier.
Appelle une ambulance pour cette jeune fille et une voiture pour embarquer ce jeune délinquant, continua-t-il à l’adresse de son collègue resté sur le quai, je m’occupe de la demoiselle.
— Vous vous trompez, dit avec véhémence Gilles au second policier qui depuis la berge hissait Valentin par le col de son sweat-shirt, il voulait sauver la fille qui venait de se faire asperger…
— À genoux, toi, ignora-t-il en appuyant sur l’épaule de Valentin.
— Mais laissez-moi vous expliquer enfin !
— Tu t’expliqueras à l’hôtel de police, trancha rudement le policier puis se tournant vers Gilles ajouta en activant son émetteur radio : et toi si tu ne dégages pas immédiatement, on t’embarque aussi.
"De patrouille urbaine à central, de patrouille urbaine à central, envoyez tout de suite un véhicule, berge du Thiou, près du pont de la Halle ainsi qu’une ambulance. Jeune fille agressée, agresseur intercepté."
— Mais je vous dis qu’il n’a fait qu’aider cette fille, brava Gilles en tirant la manche du policier, lequel se libéra d’un geste brusque.
— Toi tu arrêtes d’entraver notre action, tu t’éloignes immédiatement.
— N’insiste pas Gilles, je vais tout leur expliquer, je te recontacte rapidement, je te dirai ce qu’il faut faire s’ils ne croient pas mes explications, énonça Valentin en claquant des dents.
Moins de cinq minutes après l’appel radio, le véhicule de la police et l’ambulance arrivèrent et s’engagèrent sur le quai. La jeune fille fut rapidement enveloppée dans une couverture de survie par un infirmier cependant que Valentin était poussé sans trop de ménagement à l’arrière de la Mégane Renault des policiers.
Les deux véhicules démarrèrent quasi simultanément, laissant Gilles complètement désemparé.