VALENTIN ET LA NOUVELLE

14. REFLEXIONS A DEUX

Le lendemain de ce jour très particulier, le temps était toujours aussi beau. Gilles désireux d’inviter son ami à faire le tour du lac à vélo sonna à treize heures trente à la porte des grands-parents de son ami.
Après les salutations d’usage, il annonça :
— Ça te dit de faire quarante kilomètres en vélo ?
— Heu, plutôt non, j’ai un peu mal à la gorge. J’ai dû prendre froid hier dans mes habits mouillés.
— Tu te soignes ? Tu prends du sirop ? s’inquiéta Gilles.
— Non, mais ma grand-mère me donne ce qu’il faut : tisanes de thym et huile essentielle d’arbre à thé. C’est très efficace sur moi.
— Qu’est-ce que tu veux faire ?
— Allons dans ma chambre, j’ai quelque chose à te montrer. Hier, rappelle-toi, j’allais prendre une photo des quais fleuris du Thiou quand j’ai cru que tu m’avais poussé dans le dos, ce qui m’a obligé à faire un écart.
— C’est le mec qui a aspergé Jade qui t’a bousculé.
— Ce type, je ne l’ai pas vu mais c’était juste au moment où j’allais déclencher la prise de vue, j’avais le doigt sur la zone sensible de l’écran et en pivotant, une rafale de trois photos a été prise. Deux sont floues mais la troisième est exploitable, enfin un peu. Je l’ai transférée sur ma tablette pour faciliter son observation. Tiens, regarde !
— Oui, c’est bien l’agresseur de Jade mais on ne le voit que de dos, ta photo ne sert pas à grand-chose.
— Moi je crois qu’elle nous met définitivement hors de cause.
— Mais nous le sommes déjà, non ?
— Écoute, hier au poste de police, le lieutenant Marchais m’énervait avec ses questions, je lui ai suggéré de consulter les témoins de la scène plutôt que de répéter toujours la même chose. Il s’est aussitôt un peu radouci et il a accepté que je téléphone. C’est l’appel auquel tu n’as pas voulu répondre parce que tu ne connaissais pas le numéro appelant.
— Qu’est-ce que tu en déduis ?
— Tu as vu comme moi l’attitude des deux policiers de terrain hier, as-tu constaté qu’ils interrogeaient des spectateurs de l’agression ?
— Ben non. Cela a une incidence sur la suite ?
— Fortement. Ils n’ont pas relevé de témoignage. Ils n’ont que nos deux récits et pas de preuves. Jade n’a pas pu nous voir et pour cause. Elle ne pourra pas non plus identifier le type et donc complètement nous innocenter.
— Mais il y a la canette de coca que j’ai retrouvée.
— Oui, et c’était bien pensé de ta part de faire cette recherche, mais ce ne sera une preuve que s’ils trouvent dessus des empreintes différentes des nôtres. Si ce n’est pas le cas, comme moi je ne l’ai pas touchée, tu deviens le premier suspect. D’où l’intérêt de cette photo.
— Mais on le voit de dos, on ne le voit pas jeter l’acide au visage de Jade !
— Regarde mieux le cliché, le type est légèrement de trois quarts, on voit quelque chose de rouge dans sa main gauche.
— La canette de coca ! Ça, c’est la preuve qu’on a dit la vérité.
— Exact, cette photo peut te met hors de cause. Combien tu me l’achètes ? Non, je plaisante, c’est moi qui te dois de l’argent pour le chargeur de téléphone. Combien ?
— Douze euros quatre-vingt-dix.
— Tiens, voilà treize euros, tu peux garder la monnaie.
— Toujours grand seigneur, hein ? Dis, tu crois que Jade va garder des séquelles de tout ça ? Elle qui était si belle.
— J’y ai un peu réfléchi. L’hôpital a semblé indiquer que ses yeux étaient sauvés et que ses brûlures au visage étaient du premier degré. Une brûlure au premier degré donne simplement des taches rougeâtres sur la peau, comme un coup de soleil donc avec le temps tout devrait s’estomper. Heureusement que ce n’était que de l’acide chlorhydrique et non de l’acide sulfurique ou de l’acide nitrique qui sont beaucoup plus agressifs ou encore un mélange des deux ce qui aurait été encore plus terrible ! Heureusement aussi qu’on ne trouve pas ces derniers en vente libre dans les supermarchés.
— Pour nous l’action s’arrête là, non ?
— Non je ne crois pas. Tu sais ce que fait le père de Jade ?
— Il est secrétaire à la préfecture je crois.
— Exact. Je me suis renseigné : plus précisément il dirige le cabinet du préfet, ce qui veux dire que par l’intermédiaire de celui-ci, monsieur Devienne dispose de beaucoup de pouvoir. Le préfet représente le gouvernement, il est responsable de l’ordre public et de la sécurité et, en tant que premier secrétaire, Devienne ne va pas laisser tomber une affaire qui concerne sa propre fille. Donc l’enquête va continuer avec de fortes pressions.
— D’accord mais cela ne nous concerne plus directement.
— Réfléchissons. Celui qui a fait ça voulait du mal à Jade. Pourquoi est-ce qu’on veut du mal à quelqu’un ?
— Pour se venger du mal qu’il nous a fait, par exemple.
— D’accord avec toi. Pourquoi utiliser ce moyen-là ? Pourquoi vouloir défigurer une fille ?
— Par jalousie ou déception amoureuse, pour l’empêcher d’en séduire un autre.
— Toujours d’accord. Qui était le dernier amoureux de Jade ?
— Oh flûte ! Ils vont soupçonner Florian.
— J’y ai d’abord pensé mais non, même si Flo peut être vindicatif parfois, jamais il ne ferait une chose aussi horrible. D’ailleurs aussi vite il s’est épris de cette fille, aussi vite il l’a remplacée.
— Ah oui ? Tu sais par qui ?
— Je crois l’avoir vu main dans la main avec Océane ou Marine très récemment.
— Avant Jade, il était plutôt branché sur Marine.
— De loin, comment savoir ! De toute façon, la photo que j’ai prise va l’innocenter s’il se fait soupçonner. Ce n’est pas du tout la même corpulence, Flo est bien plus costaud et lui ne se cache pas, il ne porte jamais de survêt à capuche.
— Tu as l’intention de poursuivre tes recherches pour retrouver ce sale mec ?
À ce moment précis, le téléphone fixe de la maison Valmont fit entendre sa sonnerie vieillotte. Quelques secondes après, le grand-père de Valentin appela :
— Téléphone pour toi mon grand, tu peux descendre ?
— J’arrive tout de suite ! cria-t-il. Viens avec moi Gilles, j’ai dans l’idée que cela concerne notre affaire, ajouta-il à voix plus basse.
— C’est la préfecture, chuchota son grand-père, j’ai mis le haut-parleur.
— Valentin Valmont à l’appareil. Qui êtes-vous ? Que puis-je faire pour vous ?
— Bonjour Valentin, je suis monsieur Devienne, le père de…
— de Jade, oui je sais. Où est-elle ? Comment va-t-elle ?
— Toujours en observation au centre hospitalier. Je veux te dire… je peux dire tu, n’est-ce pas ?
— Oui, sans problème.
— L’ophtalmologue et le dermatologue qui se sont occupés d’elle sont très optimistes, ton amie ne devrait pas avoir de séquelles physiques. La psychologue par contre pense qu’elle mettra longtemps à surmonter sa détresse psychologique, si elle y arrive un jour. Elle pense que ce serait bien pour Jade qu’elle voie des visages amis, en particulier ceux qui l’ont sauvée.
— Écoutez monsieur Devienne, Jade n’est pas spécialement mon amie, c’est une simple camarade de classe. J’aurais fait la même chose pour n’importe quelle autre personne, connue ou inconnue, d’ailleurs sur le coup je ne savais pas que c’était elle, mais j’accepte volontiers de la rencontrer et mon ami Gilles Arroux qui était avec moi au moment des faits également.
— Je vous remercie tous les deux. Vous pouvez vous libérer cet après-midi ?
— C’est possible dès maintenant mais le centre hospitalier est loin et la route pour s’y rendre est dangereuse pour les vélos.
— Je vous fais envoyer un taxi lequel vous conduira et vous ramènera également. À quelle adresse doit-il se présenter ?
— Chez mes grands-parents. À l’adresse correspondant au numéro de téléphone que vous avez composé.
— Tu n’as pas l’esprit dans la poche, toi ! Dans un quart d’heure le taxi va arriver. Il aura toutes les instructions. Jade se trouve dans le service dermatologie du centre hospitalier, Totem C, niveau 1. Madame Devienne est près d’elle actuellement.
— D’accord pour tout. Heu, ce serait bien que mon ami et moi puissions rester seuls avec Jade pour discuter.
— Je comprends. Mon épouse vous laissera en tête à têtes. Autre chose, ton action intelligente et courageuse, qui a évité de gâcher la vie de ma fille, mérite récompense. Réfléchis à ce qui te ferait plaisir. Ce n’est pas une option, tu ne peux pas refuser. Maintenant je dois te laisser, des obligations professionnelles qui ne peuvent pas être différées. Au revoir Valentin et encore mille mercis.