Dès leur arrivée dans l’enceinte du centre hospitalier, sans hésitation, en habitué des lieux, Valentin suivi de Gilles se dirigea vers l’accueil et aborda l’hôtesse.
— Bonjour madame, pouvez-vous m’indiquer le numéro de la chambre de mademoiselle Devienne, je crois qu’elle est dans le service de dermatologie. Elle a été admise hier.
— Un instant.
La préposée enfonça quelques touches de son clavier d’ordinateur.
— Niveau 1, chambre 127. Visites autorisées jusqu’à vingt heures. Vous devez quitter la chambre du malade au moment des soins.
— Merci, répondit-il en toussant un peu.
Les deux garçons empruntèrent le long couloir aseptisé desservant les chambres. Arrivés à l’endroit indiqué, Valentin toqua trois coups rapides de son index replié et poussa la porte sans attendre l’invitation, comme il l’avait vu faire par le personnel lors d’un précédent séjour dans ce même hôpital.
Elle était alitée dans une chambre individuelle, une dame d’une quarantaine d’années était assise près d’elle. À l’entrée des deux garçons, la jeune fille tourna la tête vers la porte puis se couvrit vivement le visage avec le rabat du drap.
— Non, non, je ne veux pas qu’ils me voient dans cet état.
— Je suis sa maman, dit la personne sur une chaise près du lit de Jade, vous êtes les amis de ma fille je suppose ?
— Bonjour madame, bonjour Jade. Nous sommes de simples camarades de classe. Je m’appelle Valentin, mon ami c’est Gilles et nous sommes…
Une quinte de toux l’empêcha de terminer sa phrase.
— Excusez-le, il a un peu mal à la gorge. Il est resté longtemps dans ses habits mouillés à la suite de son action d’hier dans la rivière et il a pris froid au commissariat de police, expliqua Gilles pendant que Valentin qui s’était détourné reprenait sa respiration.
— C’est donc bien vous qui lui avez porté secours. Mon mari m’a tout expliqué. Je vous remercie infiniment de votre action héroïque. Si vous n’aviez pas eu autant de présence d’esprit, en cet instant ma fille serait aveugle et défigurée. Mon mari, qui passera voir sa fille vers dix-huit heures, m’a indiqué que vous vouliez discuter avec elle sans témoins, je vais donc vous laisser.
Madame Devienne partie, Valentin s’installa à sa place sur la chaise et Gilles s’assit au pied du lit de l’autre côté. Voyant que son ami allait prendre la parole, Valentin plaça un index perpendiculairement à ses lèvres. Gilles hocha plusieurs fois la tête en signe de compréhension. Le silence se prolongea plus d’une minute. Centimètre par centimètre, la jeune fille intriguée retira le drap jusqu’à libérer ses yeux. Valentin affichait un visage un peu crispé, Gilles un sourire beaucoup plus franc.
— Comment vas-tu Jade ? finit par dire ce dernier pour mettre fin à la gêne qui s’installait, tu as mal ?
— J’ai la peau du visage qui me tire et j’ai l’impression d’avoir du sable dans les yeux.
— C’est parce que tu as sommeil, plaisanta Valentin sans sourire.
— Oui, j’ai sommeil, pourtant je n’ai pas pu fermer l’œil de la nuit, ni depuis d’ailleurs. Il parait que c’est grâce à vous que je vais garder une tête à peu près normale.
Valentin ne répondit pas mais il se leva, approcha son visage de celui de Jade toujours masqué par le drap, plongea son regard dans les yeux de la jeune fille. Malgré le blanc fortement strié de rouge, ses iris d’un vert délavé étaient toujours aussi fascinants.
— Pour les yeux, pas d’inquiétude, ils vont garder leur pouvoir de séduction, énonça-t-il avec froideur.
— Tu penses que c’est dommage ? se rebiffa la fille.
— Ce n’est pas mon problème.
— Alors pourquoi m’as-tu aidé si ça ne vous concerne pas ? C’est bien vous qui m’avez aidé, n’est-ce pas ?
— Oui, c’est Val qui t’a obligé à plonger dans l’eau froide et heureusement qu’il l’a fait d’après ce que les médecins ont dit à ton père. Tu ne le sais probablement pas mais Val aurait aidé même son pire ennemi dans les mêmes circonstances.
— Je suis ta pire ennemie Valentin ?
Le garçon dodelina de la tête.
— Je n’avais rien contre toi quand tu es arrivée au collège à Saint Thomas. Notre ami Florian a eu le coup de foudre et a tout fait pour sortir avec toi. C’était son choix. Je n’ai rien à dire sur le choix des gens, chacun est libre. Il a rapidement essayé de t’intégrer à notre groupe, rappelle-toi la sortie canoë organisée par Olivier. Personnellement je trouvais cela prématuré et j’avais raison, vu ce que tu as fait.
— Quoi, qu’est-ce que j’ai fait ? Tu me reproches d’avoir du succès auprès des garçons ? Cela ne risque plus d’arriver avec la tête que j’ai maintenant.
Jade baissa rapidement le drap qui recouvrait encore le bas de son visage, exposant ainsi les ocelles rouges marbrant sa peau.
— Regarde ! Tu es satisfait ?
Une nouvelle quinte de toux empêcha Valentin de répondre. Gilles prit à nouveau le relais.
— Ça se voit que tu ne connais pas. Comme moi il est navré de ce qui t’est arrivé. Mais d’après ce que l’on sait, tu vas guérir sans séquelles et c’est tant mieux. Tu seras toujours aussi belle.
— Merci, tu es gentil toi.
— Sais-tu pourquoi tu étais visée ? As-tu une idée de l’identité de ton agresseur ?
La jeune fille secoua négativement la tête.
— Gilles vient de le dire, c’est parce que tu es belle et que tu plais aux garçons. Nous pensons que la gentille personne qui a fait ça est une de tes anciennes conquêtes, reprit Valentin en sortant son smartphone. Regarde, c’est lui ton agresseur ajouta-t-il en faisant apparaitre le cliché à l’écran. Je prenais en photo les fleurs du quai sur fond de rivière quand ce type m’a bousculé et cette photo s’est prise toute seule.
Jade tendit la main pour saisir l’appareil de Valentin. Elle regarda longuement l’image en clignant des yeux.
— Non, je ne reconnais rien, ni le sweat à capuche, ni la corpulence de ce sale type. L’avez-vous vu de face ?
— Non, reprit Gilles pendant que Valentin se détournait encore pour tousser, j’ai regardé vers lui aussitôt après la bousculade, il s’est mis à courir, il avait une canette de coca à la main, il t’a tout balancé au visage avant de foncer vers les traboules des vieux quartiers. Tu t’es mise à hurler en te frottant la figure. Nous ne savions pas qu’il s’agissait de toi. Valentin a bondi et t’as entrainée dans la rivière. Il t’a obligée à mettre la tête sous l’eau, plusieurs fois. Il te criait d’ouvrir les yeux dans l’eau, si tu te rappelles. Des curieux se sont approchés ainsi que deux policiers en tenue. Il y en a un qui est descendu dans la rivière. Il a cru bêtement que Valentin voulait te noyer alors il l’a ceinturé et lui a mis les menottes. L’autre a appelé une ambulance pour toi. J’ai bien tenté de leur expliquer la situation mais ils ne m’ont pas écouté, ils m’ont même menacé. Valentin avec ses habits trempés a été emmené au poste de police. C’est d’ailleurs là qu’il a pris froid et c’est pour ça qu’il tousse. Nous ne savions toujours pas qu’il s’agissait de toi mais si nous l’avions su, cela n’aurait rien changé.
— Il faut que je vous dise merci alors. Et bien merci de tout cœur Gilles, merci Valentin. Il faut que je vous dise qu’hier soir j’ai eu la visite d’un policier en civil. Il m’a questionné, il voulait savoir si j’avais reconnu mon agresseur, si j’ai des ennemis. Il m’a dit qu’un jeune avait été arrêté mais qu’ils avaient été obligés de le relâcher suite à des pressions. Il a dit aussi qu’ils vont continuer à se renseigner sur deux suspects. Je suppose que c’est vous.
Valentin racla plusieurs fois sa gorge avant de demander :
— Il t’a dit son nom ?
— Oui mais je ne l’ai pas vraiment mémorisé. Quelque chose comme Marchand.
— Marchand, ce nom t’est resté parce que c’est le même que celui de Mathilde, notre cheffe de classe. Ce ne serait pas plutôt Marchais ?
— Oui, c’est ça, Marchais.
— Donc il nous soupçonne encore. Il y a bien la photo qui pourrait nous mettre hors de cause mais ce n’est pas vraiment une preuve puisqu’on ne voit pas le visage du type. La bouteille de coca qu’il tient à la main non plus, n’importe qui peut se promener en buvant une canette. Pour ça, il n’a que notre témoignage. S’il se renseigne, il apprendra rapidement ton histoire avec Florian et aussi que Florian est notre ami. La seule solution c’est que nous découvrions nous-mêmes l’identité de ton vitrioleur et ce n’est pas gagné. Pour ça, je compte sur ton aide.
— Qu’est-ce que je peux faire, je n’ai rien vu.
— Je vais te demander de me faire la liste de tous les petits amis que tu as eu ici et là-bas. Je dis bien de tous : noms, prénoms, adresses si tu les as, numéros de téléphone si tu les as gardés et aussi les dates et les durées de ces idylles.
— Je te trouve gonflé de me demander ça !
— C’est uniquement pour les besoins de mes recherches. Quand j’aurai trouvé, si je trouve, je m’empresserai de tout oublier.
— Tu lui dois bien une compensation, non ? argumenta Gilles. Non seulement il t’a aidée mais en plus, non seulement il est à moitié malade mais il est soupçonné, et moi avec.
— D’accord, je le ferai.
— Tu as ton portable ? reprit Valentin après s’être éclairci la voix.
— Mon père doit me l’apporter tout à l’heure.
— OK, donne-moi ton numéro, je te mets dans mes contacts et Gilles va faire pareil. Je t’envoie rapidement un texto qui te donnera mes coordonnées.
— Pourquoi moi aussi ? s’étonna Gilles.
— Parce que je peux être empêché d’enquêter par le lieutenant Marchais puisque même l’intervention de Lemoine n’a pas levé tous ses soupçons. Dans ce cas ce sera à toi de suivre le plan que nous allons élaborer. Ah, Jade, j’aimerais aussi avoir le 06 personnel de ton père, il se peut que j’aie besoin de lui demander des renseignements.
— J’insisterai pour qu’il te le communique. Le mien c’est 0662949222.
Deux coups furent toqués à la porte qui s’ouvrit immédiatement. Une infirmière poussant un chariot chargé de flacon et d’ustensiles inquiétants entra.
— C’est l’heure des soins, je vais vous demander de sortir, les garçons.
— Tout de suite. Nous attendons de tes nouvelles dès que possible, d’accord Jade ?