VALENTIN ET LA NOUVELLE

17. INVESTIGATIONS

En ce dernier dimanche des vacances de Toussaint, le temps s’était dégradé rapidement. La douceur de l’été de la Saint Martin avait fait place à une bise aigrelette de nord-est qui poussait de sombres nuages masquant le sommet des montagnes.
À dix heures sonnantes, deux tours de cache-nez sur le cou, Valentin se présenta chez Gilles.
— Toujours à l’heure à ce que je vois. Viens dans mon antre, nous serons plus tranquilles pour discuter. Ça va ta gorge ? Tu as du nouveau ?
— Je tousse encore un peu mais ça va nettement mieux. Pour l’affaire qui nous intéresse, comme toi je suppose, j’ai reçu la liste des soupirants de Jade hier soir à huit heures et demie. Avec Florian qu’elle a placé en premier, cela fait sept noms. Si je devais faire ma liste, il n’y aurait que trois noms !
— Et moi un seul. C’est une sacrée allumeuse, la Jade ! Jolie comme elle est, les mecs ne lui résistent pas et ça lui plait.
— Ça lui plaisait plutôt. Je pense que son agression va la faire réfléchir à l’avenir. J’ai un peu pris le temps de réfléchir moi aussi. Cette liste, je l’ai recopiée dans l’ordre qu’elle a donné.
Florian Marlin
Pierre-André Vallières
Nathan Delambre
Mael Charron
Raphael Petit
Théo Lefèvre
Louis Morel
— Elle n’a pas indiqué les numéros de téléphones, c’est mission impossible notre enquête.
— Apparemment oui. Évidemment nous pourrions aller interviewer le Pierre-André puisque je sais où il demeure mais en ce qui concerne les autres, je pense qu’on peut s’y prendre différemment. J’ai demandé à Jade de me communiquer le 06 de son père mais elle a oublié, ou pas voulu me le communiquer. J’ai le sentiment qu’elle ne veut pas qu’il apprenne sa façon de se comporter.
— Je ne vois pas en quoi ce numéro aurait pu nous être utile. C’est bien ce que je disais, on est dans l’impasse.
— Je pense le contraire et je crois que j’ai une solution. Monsieur Devienne a téléphoné chez mes grands-parents avant-hier pour me dire merci et me donner des nouvelles de Jade. Son numéro doit être enregistré dans la liste des appels entrants de notre fixe. J’appelle à la maison.
« Isabelle, c’est moi… Non il ne m’est rien arrivé, je suis chez Gilles, tout va bien, je ne tousse quasiment plus. Dis-moi, peux-tu retrouver le numéro de téléphone de monsieur Devienne ? Tu ne sais pas comment faire ? C’est assez facile, je t’indique la marche à suivre. Sur le sans-fil, tu appuies sur la touche OK-Menu. L’écran affichera Journal. Tu appuieras à nouveau sur OK et ça affichera un numéro, c’est celui du dernier appel. Pour afficher les suivants, il faut appuyer sur la flèche du bas du gros bouton central. C’est bon ? Je raccroche et j’attends ton appel. Bisous Isabelle.
— Tu peux m’expliquer l’utilité d’appeler ce monsieur ?
— Le père de Jade occupe un poste important à la préfecture depuis deux mois. Auparavant il était en Nouvelle Calédonie et devait occuper un poste semblable, tu piges ?
— Je comprends ce que tu dis mais je ne vois toujours pas où tu veux en venir.
— Je me suis renseigné sur internet. La population de Nouvelle Calédonie est composée de Kanaks : les autochtones, de Caldoches : les métropolitains qui vivent là-bas depuis longtemps plus ceux qui sont sur place pour un temps plus limité. J’ai lu que dans les collectivités de la France d’outre-mer ces derniers sont appelés les Zoreilles.
— Oh, comme mon chien ! Et donc ?
— Par ailleurs, moi qui ai vécu en Australie, je peux confirmer ce dicton que tu dois connaitre : « qui se ressemble s’assemble. » Ce qui veut dire que le père de Jade doit connaitre les autres Zoreilles de Nouméa.
— Il ne va pas t’en donner la liste qui doit être plutôt longue je présume.
— Attends, ma grand-mère m’appelle. « Oui Isabelle ? D’accord, c’est mémorisé. Merci. Oui, je serai rentré pour midi. Re-bisous. »
Donc je continue : Jade a eu de nombreux… copains, mais tous ne sont sûrement pas revenus en métropole, ce qui veux dire que son agresseur est quelqu’un qui a vécu là-bas et qui est rentré depuis… allez soyons larges, disons un an. Je suis sûr que monsieur Devienne doit connaitre les noms de ceux qui sont rentrés en métropole et, avec la liste de Jade, nous allons pouvoir resserrer le filet autour du coupable. Pigé ? Allez, j’appelle le père de Jade.
— Allo, monsieur Devienne ? C’est Valentin Valmont, camarade de classe de Jade. Je ne vous dérange pas ?
— Tu ne me déranges pas Valentin. Tu as choisi ta récompense ?
— Je ne veux pas de récompense, monsieur Devienne, ce n’est pas pour cela que je vous appelle. Je désire simplement vous poser quelques questions. En Nouvelle Calédonie, vous travailliez à la préfecture ?
— Il n’y a pas de préfecture à proprement parler à Nouméa mais un Haut-Commissariat de la République. Oui, j’y travaillais, pourquoi ?
— Vous devez connaitre ceux qui comme vous étaient en mission dans le territoire ?
— Oui et non, j’en connaissais certains mais pas tout le monde.
— Si je vous dis des noms, pouvez-vous m’indiquer si les personnes correspondantes sont toujours là-bas ?
— Essayons, donne tes noms.
— Morel.
— La famille Morel est revenue en France continentale. Elle est maintenant en région parisienne.
— Lefèvre.
— Les Lefèvre que je connaissais sont toujours dans l’ile.
— Petit.
— Les Petit se sont installés définitivement dans une ile Loyauté. Tu sais où elles se trouvent ?
— Oui, j’ai regardé la carte. Delambre maintenant.
— Rapatriés eux aussi. Jade était amie avec Nathan, un de leurs fils. Je n’appréciais pas beaucoup ces gens et j’avais conseillé à ma fille de se méfier de ce garçon. Je crois qu’ils sont maintenant aussi en Haute Savoie.
— Pourquoi tant de rapatriés en Haute Savoie ?
— La Savoie est une région très attractive, difficile à obtenir quand on est fonctionnaire. Travailler dans les territoires permet d’obtenir plus de points comptant pour avoir une mutation, tu comprends ?
— Parfaitement. Je n’ai plus que deux noms à vous soumettre : Charron et Vallières.
— Monsieur Vallières travaillait avec moi là-bas, sous mes ordres, nous sommes revenus en France en même temps. Quant à Charron, je ne connais pas. Pourquoi veux-tu tous ces renseignements ?
— J’ai l’impression que le lieutenant de police chargé de l’enquête me soupçonne encore. Je cherche d’autres pistes à lui suggérer car je suppose que vous allez faire en sorte que l’affaire n’en reste pas là.
— Je parlerai au commissaire de façon à ce que le lieutenant ne t’ennuie plus. Il faut que je te laisse maintenant Valentin, j’ai encore une obligation professionnelle urgente, tu comprends. Tout est toujours urgent dans ce métier. Pense à ce que tu veux en récompense de ton action pour ma fille, j’y tiens beaucoup. Au revoir Valentin, n’hésite pas à m’appeler.
— Au revoir monsieur Devienne.

— Si j’ai bien suivi, il reste trois noms : Morel, Delambre et Vallières, conclut Gilles.
— Tu oublies Charron. Certes le père de Jade ne connait pas la famille mais cela ne suffit pas à l’éliminer. Imagine un instant que tu aies beaucoup de conquêtes à ton actif et que je te demande d’en faire la liste. Par qui commencerais-tu ? Je veux dire par la plus ancienne ou la plus récente ?
— Logiquement par la plus récente ou alors par la plus importante à mes yeux.
— D’accord avec toi. Moi j’éliminerais Morel qui est le plus ancien et se trouve en région parisienne. Je barre aussi Vallières que je connais pour l’avoir averti du double-jeu de Jade et qui m’a semblé être un bon mec. Il me reste deux noms : Nathan Delambre et Maël Charron.
— Ils vont être difficile à localiser. Comment comptes-tu faire ?
— Tu n’as pas d’idée ?
— Ben non, à part interviewer la Jade.
— C’est exactement ce que je vais faire. Mais là je dois rentrer. Je te tiens au courant. Salut mon vieux, un câlin à ton Zoreille de ma part.