VALENTIN ET LA NOUVELLE

21. REBIFFADE

La classe de troisième C était en cours de math ce lundi matin de rentrée quand un surveillant toqua à la porte. Monsieur Derrien le professeur, prit le temps de finir la figure géométrique qu’il dessinait au tableau avant d’aller ouvrir.
— Excusez-moi de perturber votre cours, monsieur, mais le principal me demande de faire une annonce.
— Allez-y.
— Gilles Arroux et Valentin Valmont, vous devez vous présenter au secrétariat de direction à la récréation.
Le surveillant reparti, le professeur reprit naturellement son exposé : « une homothétie est donc une transformation géométrique par agrandissement ou réduction, autrement dit, une reproduction avec changement d'échelle. Elle se caractérise par son centre, point invariant, et un rapport qui est un nombre réel comme vous pouvez le voir sur le dessin au tableau en rapport 2. Voilà. Pour demain, chacun me présentera sur feuille de cahier un croquis présentant deux figures géométriques de son choix, homothétiques de centre O et de rapport 3. Rangez vos affaires et sortez.
Dans le couloir desservant les salles de classe, Gilles leva vers son ami un simple coup d’œil interrogateur.
— Marchais, pronostiqua brièvement Valentin.
— Qu’est-ce qu’il va nous faire ?
— Essayer de nous piéger mais il n’y arrivera pas, même s’il décide de nous interroger séparément puisque nous avons dit la stricte vérité.
— Ben moi j’en ai marre de cette affaire ! Qu’il fasse son boulot machin, on a déjà tout dit !

Dans le local du secrétariat se trouvaient quatre personnes : la secrétaire madame Belmont, affairée devant son ordinateur de bureau et, debout, discutant avec le principal, le lieutenant Marchais flanqué du brigadier Marboz.
— Gagné, murmura Gilles en pénétrant dans le local.
Valentin eut un imperceptible mouvement d’acquiescement du menton puis jeta un regard torve vers le brigadier.
— Le lieutenant Marchais vient de me mettre au courant de l’abominable attentat perpétré contre mademoiselle Devienne. À ce sujet, il a quelques questions à vous poser, vous allez vous rendre dans la salle du conseil où vous ne serez pas dérangés, annonça monsieur Tardy, le principal.
— M’sieur, dans cinq minutes on a cours d’histoire-géo, on va étudier l’union européenne et notre professeur dit que c’est très important pour le brevet. Il ne faut pas qu’on manque le cours, s’insurgea Gilles.
— Cinq minutes ? dit monsieur Tardy en regardant le lieutenant qui fit la grimace.
— Mon lieutenant, enchaina Valentin, je t’ai tout dit et redit avant-hier au commissariat, je n’ai rien à ajouter ni à retrancher à ce que j’ai raconté, expliqué et même explicité. Par ailleurs, je sais de source sûre que nous ne pouvons pas être interrogés sans la présence d’un adulte responsable de nous. Pour ma part, je choisis l’adjudant-chef Lemoine.
— Puisque je suis soupçonné, moi je veux que mon père soit présent, mais il est à son travail jusqu’à dix-huit heures, continua Gilles.
— Qu’en dites-vous, monsieur Marchais ? intervint le principal mal à l’aise et ne voulant prendre lui-même la décision.
— Nous subissons de fortes pressions de la préfecture pour solutionner cette affaire au plus vite. Je voulais avoir une discussion informelle avec ces deux jeunes mais puisque cela semble impossible pour l’instant, je vais devoir les convoquer officiellement à l’hôtel de police.
— Seulement si c’est dehors des heures de cours ! précisa Gilles, je tiens à avoir mon brevet, moi !
— Et en présence d’un adulte responsable, répéta Valentin. Monsieur le principal, ça sonne, pouvons-nous y aller ?
Après un bref coup d’œil vers le lieutenant lequel semblait gêné, le principal, avec un semblant de sourire amusé hocha verticalement la tête.
— C’est bon, allez étudier l’Union Européenne et son fonctionnement. C’est important et cela n’a rien d’évident.

Les deux adolescents partis, le lieutenant se tourna vers le principal. — Vous avez des fortes têtes dans votre établissement ! énonça-t-il comme une évidence.
— Vous trouvez ? Il me semble au contraire que ces deux jeunes se sont montrés polis, conscients de leurs obligations scolaires et de leurs droits en tant que mineurs, mais respectueux. Les élèves de mon établissement sont bien encadrés par une équipe de professeurs soudée et compétente. Rien à voir avec ce qu’on nous décrit à longueur de reportages télévisés dans certaines banlieues.
— Tout de même, ce refus d’aider les forces de l’ordre me semble suspect pour ne pas dire anormal, surtout s’agissant de ce qui est arrivé à une de leurs camarades de classe.
— Si vous avez décelé une certaine réticence chez eux, c’est probablement qu’ils ont ressenti une injustice envers eux. Vous ne pouvez pas savoir à quel point cette génération peut y être sensible. Y a-t-il eu un comportement de votre part qui les a blessés ? Avez-vous noté le regard que Valentin Valmont a jeté au brigadier ?
— Je n’ai fait qu’agir selon la procédure, se défendit ce dernier. Quand un individu quel qu’il soit se comporte de façon dangereuse envers un tiers, il doit être maitrisé et menotté.
— Ne vous étonnez plus alors de leurs réactions. S’ils sont innocents et je suis certain qu’ils le sont, j’ai grand-peur qu’ils ne vous soient plus d’aucune aide maintenant. Je suis désolé mais je dois vous laisser, mes obligations professionnelles, vous comprenez ?