VALENTIN ET LA NOUVELLE

22. COURS DE GYM

Dans le couloir du premier étage conduisant à la salle spécialisée en histoire-géographie, Valentin félicita son ami.
— Bien Gilles, tu viens de réussir un joli coup double.
— Comment ça double coup ?
— Un, tu t’es fait passer pour un élève modèle auprès du prince et deux, tu as coincé le lieutenant devant témoin. Maintenant il est conscient que nous savons que sans mandat d’un juge, il ne peut pas nous obliger.
— Comment tu sais ça ?
— Lemoine m’a expliqué les procédures à observer s’agissant des mineurs.
— OK, donc on en reste là pour cette affaire et on le laisse faire de son côté.
— Sûrement pas ! Jade a été attaquée et même si je n’appréciais pas bien l’attitude de cette fille, ce qu’elle a subi est inacceptable. Et puis j’aime bien résoudre les problèmes. Rends-toi compte si nous trouvions le coupable avant la police !
— La gueule qu’il ferait ! Bon, qu’est-ce qu’on décide ?
— Retrouvons-nous cet après-midi chez toi après le cours de gym, OK ?
— Tu es toujours le bienvenu chez moi.

Il était quatorze heures pile quand monsieur Doucet, le professeur d’éducation physique fit entrer les garçons des classes de troisième C et troisième D dans leur vestiaire habituel.
— Mettez-vous en tenue de sport pour l’extérieur et attendez, leur dit-il avant de ressortir et de s’adresser aux filles des mêmes classes.
— Madame Loubet, votre professeure, vient de me prévenir qu’elle a eu un problème avec sa voiture. Elle sera en retard et nous rejoindra dès que possible. En attendant, elle m’a demandé de vous occuper. Vous allez donc vous joindre aux garçons. Dans votre vestiaire vous trouverez une caisse contenant les cordes à sauter, prenez-en une chacune. Vous la nouerez à votre taille. Vous avez cinq minutes pour vous changer, entrez dans votre vestiaire.
Cinq minutes plus tard, le professeur annonça le programme de la séance.
— Les gars, aujourd’hui vous allez être noté en course de résistance. Ne fais pas cette tête-là Pascal.
— M’sieur, je suis nul en course, ce n’est pas drôle pour moi.
— Personne n’est nul en sport et en aucun cas tu ne seras pénalisé par une note sous la moyenne parce que tu es moins rapide ou moins endurant que les autres. Écoute bien la suite des instructions. Vous allez devoir effectuer le circuit que voici :
Départ au niveau du début du parcours de santé, ensuite chemin le long du torrent puis traversée du camp scout. Au niveau de la plage, empruntez le chemin à gauche jusqu’à la crique et là, remontez la digue aux platanes. Au bout de la digue, tournez à gauche sur la petite route qui ramène au départ. Ce circuit fait deux kilomètres et demie, vous allez le faire deux fois. Le premier tour servira d’échauffement, il se fera à vitesse très modérée. Pour vous donner une idée de l’allure à adopter, sachez qu’en marchant normalement sans se presser, on fait du quatre kilomètres à l’heure, je vous demande de courir à la vitesse de six ou sept kilomètres. Après l’échauffement, vous aurez la course véritable, ce tour effectué à votre meilleure vitesse vous rapportera dix sur vingt, le reste de votre note dépendra du temps que vous allez mettre pour l’effectuer. Ça te va Pascal ?
— J’espère avoir la moyenne, m’sieur.
— OK, les filles maintenant. Vous allez nous accompagner au départ puis vous ferez la course d’échauffement mais vous vous arrêterez à la crique, c’est là que madame Loubet vous rejoindra pour une séance de gymnastique rythmique en plein air, avec la corde.
— M’sieur je prends un point de côté dès que je commence à courir, se plaignit Morgane, je ne sais pas si je pourrai suivre.
— Je vais te donner un truc. Tu dois bien connaitre des chansons dont la cadence est à deux temps ? Heu… par exemple… heu :
Malbrough s’en va en guerre, mironton mironton mirontaine, Malbrough s’en va en guerre, ne sait quand reviendra,
chantonna le professeur en battant la mesure du bras. Et bien, en courant tu chantes dans ta tête en marquant le rythme avec tes foulées. En même temps tu inspires sur deux pas et tu souffles sur les deux suivants, etc.
— Ouais, je vais essayer.
— Bon, allons-y. On marche en groupe jusqu’au départ.

— Prêt tout le monde ? Alors pour la course préliminaire, top !
— Bouboule, passe devant moi, c’est toi qui règles l’allure pour nous deux, laisse filer ceux qui n’ont rien compris au principe de l’échauffement, lui dit Florian.
Très vite, l’essaim d’une cinquantaine d’adolescents se scinda en plusieurs groupes. Peu essoufflé, Florian conseillait son ami :
- Ne tape pas tes pieds au sol, cours le plus légèrement que tu peux.
- Ne garde pas tes bras raides, plie tes coudes et laisse aller tes épaules.
- Inspire par le nez, souffle par la bouche.
- Cours plutôt sur l’herbe du bord du chemin, ça fait moins mal aux jambes.
- Essaie le truc du prof, chante dans ta tête, tiens par exemple : Santiano. C’est un fameux trois-mâts fin comme un oiseau, Hissez haut ! San-ti-a-a-no, Dix-huit nœuds quatre cents tonneaux, Je suis fier d’y être matelot.
fredonna Florian pour aider Bouboule.
— Oui, je crois que ça marche un peu, haleta Bouboule, enfin ça court plutôt. Comme il ne connaissait pas bien la suite, Florian reprit plusieurs fois les quatre premiers vers de la chanson entrainante. Ils allaient arriver au niveau de la crique, point terminal des filles, quand ils entendirent derrière eux :
- C’est un fameux cocu con comme un balai,
- Flo-ri-an ! Ma a a ar lin…

— Je vais m’arrêter, souffla Florian à Bouboule, écarte-toi.
Visage exsangue en dépit de l’effort, pris d’une rage froide, il stoppa brutalement sa course, se retourna et dans le même geste agrippa Tony Thénard par le haut de la fermeture éclair de son survêtement à capuche. Son bras tendu et son allonge supérieure lui permit de maintenir l’autre à distance.
— Hé, ho, tu me lâches toi, espèce de coc…
La première gifle partit, violente, suivie par d’autres tout aussi sonores au rythme d’une chanson improvisée.
- C’est un gros imbécile bêteu comme ses pieds, - To-o-ny ! Thé é na ar dier… brailla Florian.
Le Tony battait l’air de ses poings sans rien atteindre d’autre que l’épaule du bras tendu d’un adversaire insensible aux coups.
Ceci fait à la stupéfaction des filles présentes, il lâcha son adversaire aux joues empourprées et resta, plastronnant, bras croisés devant son ennemi.
— Si tu veux continuer, je peux te trouver plein d’autres paroles, défia Florian.
Ivre de honte et de colère, Tony recula de plusieurs pas puis, regard mauvais, fonça tête baissée sur son adversaire. S’attendant à une contre-attaque, au dernier moment, Florian fit un pas de côté à la toréador et tendit son autre jambe au niveau des genoux de Tony qui, malgré un saut désespéré ne put éviter la chute humiliante. Il s’étala devant les jumelles qui s’étaient approchées. Les demoiselles pouffèrent avant de rire franchement, rire qui se communiqua à presque toutes les filles présentes. Tony, furieux, tenta de se relever mais retomba en se tenant la cheville.
— Aïe, putain, tu m’as niqué le pied, tête de mort ! Et vous là, les deux Naf Naf, ça vous amuse ? Ça se paiera, salopes !
— Allez Bouboule, on repart. À tout à l’heure, bisous les jumelles. Ils sont très beaux vos hauts de survêtements rose.

Les vingt-quatre garçons étaient prêts à partir pour la course notée quand le Thénardier arriva en claudiquant.
— Et bien Tony, qu’est-ce qui t’est arrivé ? s’enquit le prof.
— Il s’est pris les pieds dans les paroles de votre chanson, m’sieur, s’amusa Bouboule.
— Très drôle Pascal.
— Tu vois Bouboule, tu ne seras pas le dernier cette fois-ci, murmura Florian. Va à ton meilleur rythme, moi je vais courir en groupe avec les copains jusqu’à la crique, ensuite je vais foncer.