VALENTIN ET LA NOUVELLE

23. RECHERCHE LOGIQUE

Le ciel roulait de gros nuages sombres et la température était proche du zéro quand Valentin, venu à pied, sonna à la porte de la maison de la famille Arroux.
Il entendit crier « j’y vais m’man, c’est pour moi, c’est Val ! »
— Re-salut Val, fit Gilles en ouvrant la porte, on dirait que tu as froid, tu veux boire quelque chose de chaud, thé, chocolat ?
— Tu sais faire le chocolat ?
— Absolument. M’man, tu peux nous préparer deux bols de choc, steup ?
— D’accord.
— Ton grand frère n’est pas là ?
— Non, il est en train de griller son argent de poche du mois en essence sur son Piaggio.
— J’espère qu’il a pris ses chaines et ses moufles ! Dehors ça sent la neige !
— Ouais, ben ça le regarde. On monte dans ma chambre, m’man !
— Travaillez bien, j’apporte vos boissons dans deux minutes.

— Bon, d’après ce qu’on sait de son caractère, le suspect numéro un serait Nathan Delambre mais il habite en région parisienne depuis un an, commença Gilles.
— Ce n’est pas impossible qu’il soit revenu dans notre coin. À cette occasion il aurait pu voir Jade avec Pierre-André ou Florian, se trouver trahi et vouloir se venger, raisonna Valentin.
— Pourquoi serait-il revenu par ici ?
— Avec ses parents à l’occasion de la Toussaint par exemple.
— Tu y crois ?
— En fait non. Si ça avait été le cas, il aurait d’abord essayé de voir Jade en lui téléphonant ou en lui envoyant d’abord un texto puisqu’ils se sont quittés pas fâchés. Si elle l’avait vu, je pense qu’elle me l’aurait dit. Et puis d’abord, savait-il que Jade était revenue dans le département et quelle raison aurait-il eu de lui en vouloir ?
— Il faut appeler Jade.
— Tu t’en charges ? Elle te trouve gentil.
— Jaloux ! D’ac, j’appelle.
— Jade ? C’est Gilles. Je ne te dérange pas ? Tu vas bien ?
— Je n’ai plus mal mais je ne suis pas belle à voir avec mon visage luisant de crème.
— Tu seras bientôt tout à fait guérie. En attendant je ferme les yeux, comme ça je ne peux pas te voir. Bon, blague à part, là je suis avec Valentin, nous réfléchissons à ton affaire. Dis-moi, est-ce que ton Nathan sait que tu es revenue ?
— Je l’ignore, je ne crois pas.
— Vous vous êtes quittés en bons termes ?
— Ni bons ni mauvais. Il est parti et ne m’a jamais donné signe de vie.
— Il avait ton numéro de téléphone ?
— Oui, bien sûr.
— Et toi, tu as cherché à le contacter ?
— Pour quoi faire ? Là-bas je ne me suis remise avec personne, jusqu’à ce que mon père soit muté ici.
— Merci. Je peux te rappeler si j’ai une autre idée ?
— Bien sûr. Bisous Gilles.
— Et bien ! Lucie va être contente quand je lui raconterai que tu te laisses bisouiller… Non, je te taquine. Pour notre affaire, Nathan semble définitivement hors de cause. Aurait-elle eu le temps de séduire un autre gars depuis son retour ?
— Pierre-André, Florian, en plus un troisième ? Je n’y crois pas une seconde.
— Attends un peu… Passe-moi ton portable pour qu’elle croit que c’est toi, je la rappelle. Je pose l’appareil et j’active le haut-parleur pour que tu puisses participer.
— Oui Gilles, tu as eu une nouvelle idée ?
— Désolé, il n’y a pas que Gilles, il y a aussi l’autre affreux.
— Mais non Valentin, je ne t’en veux plus du tout, au contraire, après ce que tu as fait pour moi. Tu veux d’autres renseignements ?
— Tout juste. Je veux savoir combien de temps tu es restée là-bas ?
— Je suis arrivée à Nouméa pour entrer en CM2, donc presque cinq ans.
— Dis donc, tu n’es pas très bonne en math, intervint Gilles, CM2, 6ème, 5ème, 4ème, ça fait quatre et pas cinq.
— Toi, tu n’es pas bon en géographie. La Nouvelle Calédonie est dans l’hémisphère sud, les saisons y sont inversées et les dates des vacances également. Je suis arrivée à Saint Thomas en octobre, ce qui sur le plan climat et année scolaire correspond au mois d’avril à Nouméa. J’avais donc presque fini la 3ème et ici au collège, c’est un peu comme si je redoublais. Donc ça fait bien cinq.
— Exact, comme moi quand je suis arrivé ici en 5ème, conforta Valentin.
— Tu viens aussi de Nouvelle Calédonie ou de la Réunion peut-être ?
— Non, j’ai habité en Australie. Alors vous êtes restés cinq ans outremer sans revenir ?
— Non, nous sommes revenus deux fois, en gros tous les deux ans, pour voir la famille en région parisienne.
— Pendant vos grandes vacances ? intervint Gilles.
— Je viens de te dire que nos vacances d’été là-bas correspondent à l’hiver ici. On n’allait pas rester deux mois d’hiver ici. Nous venions pendant la quatrième période de vacances, celle qui correspond au printemps là-bas et aux vacances de Toussaint ici.
— Là tu m’embrouilles sévère ! Toi Val, tu dois piger ça plus facilement que moi puisque tu as vécu la même chose.
— Peut-être. Jade, donne-moi les dates exactes de votre quatrième période, celle d’avant les grandes vacances si j’ai bien compris.
— Tu as bien compris. Cette année, la quatrième période va de… Attends, j’ai ça sur un calendrier… oui, voilà : du 8 au 23 octobre.
— Ok, c’est tout pour l’instant. Bonne soirée à toi.
Quand il eut coupé la communication, après quelques secondes de silence, Valentin demanda à son ami :
— Alors, il n’y a rien qui t’interpelle dans tout ça ?
— Pour moi c’est clair comme un seau de goudron.
— Quel jour Jade a-t-elle été agressée ?
— Le jour où nous sommes allés en ville pour acheter ton chargeur de téléphone, c’était le 18 octobre.
— Qu’est-ce que tu en conclus ?
— Ben qu’il faisait beau ce jour là puisque tu t’es baigné dans le Thiou.
— Patate ! Je te parle date et tu me réponds météo. Compare les dates des vacances de 4ème période en Nouvelle Calédonie et la date de l’agression.
— Heu, c’est quoi ces dates ? Je n’ai pas mémorisé.
— Du 10 au 25 octobre pour les vacances et le 18 octobre jour de l’agression. Alors ?
— Ben Jade a été attaquée pendant les vacances de là-bas mais elle était ici et pas là-bas.
— Mais ceux de Nouvelle Calédonie peuvent venir en vacances ici.
— Oui oui oui, j’ai pigé ! Un de ses anciens resté dans l’ile mais venu en vacances ici !
— Bravo, et dans sa liste, lesquels peuvent correspondre ?
— La liste, c’est à toi qu’elle l’a donnée, même si c’est moi qu’elle préfère.
— Ha ha ha ! Sérieusement, le seul qui correspond et qui est susceptible de lui en vouloir, c’est Maël Charron.
— Donne-moi une bonne raison de le soupçonner.
— C’est Jade qui l’a allumé et ils sont sortis plusieurs mois ensemble puis elle s’est lassée et laissée draguer par Nathan. Les deux mecs se sont battus, Nathan a gagné et Jade est restée avec le vainqueur. Donc Maël peut fortement lui en vouloir.
— Comment avoir la certitude qu’il était bien en France à ce moment-là ?
— Bonne question. Quelle compagnie aérienne et quel aéroport desservent la ligne de Nouméa ? Demandons à Jade comment elle a voyagé. Tu t’en charges ?
— Allo Jade, c’est encore Gilles. Dis-moi, quelle ligne aérienne prenez-vous quand vous allez de France en Nouvelle Calédonie ?
— Oh la la, ce n’est pas simple. De Lyon Saint Exupéry, voire de Paris Charles De Gaulle à Nouméa Tontouta il n’y a pas de vol direct. C’est long et compliqué, il y a plusieurs escales quelle que soit la compagnie aérienne.
— Mais vous, quand vous êtes revenus en France ?
— Nous sommes passés par Auckland et Dubaï.
— Ceux de votre communauté, les Zoreilles, font comme vous ? questionna Valentin.
— Quelques-uns, oui. Du moins ceux qui sont fonctionnaires-détachés comme l’était mon père.
— Toutes les compagnies font pareil ?
— Non, certaines passent par Varsovie et Tokyo, d’autres par Sydney ou Bangkok voire Singapour ou même l’Amérique du sud.
— Et pour retourner à Nouméa, c’est la même galère ?
— Ben oui…
— En effet, ce n’est pas simple. Nous pouvons continuer à t’appeler ?
— Oh oui, cela me distrait. Parler de tout ça m’évite d’y penser. Bizarre, hein ?

— Elle est barjot ? fit Gilles quand il eut coupé la communication.
— Je crois qu’elle a voulu dire que parler de ce qui lui est arrivé dédramatise la situation et lui évite de ruminer tout ça dans sa tête.
— On n’a pas avancé, on a même reculé, tu ne trouves pas ? Il nous est parfaitement impossible de connaitre les listes de passagers de tous ces vols, donc la preuve s’est envolée.
— Connaitre les noms au départ, c’est quasi mission impossible, tu as raison, mais quand on ne trouve pas la solution d’un problème, il faut le prendre à l’envers. Quel est l’envers de départ ?
— Arrivée !
— C’est ça, connaitre les noms des gens à l’arrivée à Nouméa doit être plus simple, du moins pour ceux qui ont la possibilité d’enquêter officiellement.
— Ce que nous n’avons pas.
— Mais que pourra faire le lieutenant Marchais. S’il m’embête trop, je lui lancerai cet os à ronger.
— En attendant, on ne peut toujours rien prouver.
— Attends, j’ai une autre idée. Jade doit savoir si Maël a des copains à Nouméa… Je rappelle.
— Jade ? Devine qui c’est ? Oui, c’est moi, comment as-tu fait pour trouver ?
— Tu es drôle, même avec ta voix enrouée.
— Question : sais-tu si Maël a des copains à Nouméa ? Ou plutôt, connais-tu quelqu’un qui le connait bien ?
— Il faut que je réfléchisse mais a priori je peux trouver ça. Pourquoi ?
— Super. Si tu trouves, peux-tu contacter cette personne et lui demander si Maël est venu en France pour 4ème zone de vacances ?
— Je vais essayer. Tu soupçonnes Maël ?
— Pour l’instant, il est en tête de liste. Quand tu auras la réponse, peux-tu nous faire un texto à Gilles et moi.
— Oui mais il va vous falloir attendre, il y a un décalage de neuf heures. Là il va être sept heures, enfin dix neuf heures donc il est quatre heures du matin là-bas. J’appellerai demain matin vers huit heures, pour eux il sera dix-sept heures, c’est plus raisonnable.
— Sept heures, il faut que j’y aille, je dois rentrer chez mes grands-parents. Bonne soirée Jade.
— Bon, moi aussi je te dis salut Gilles. Tiens, j’entends le scooter de ton frère et ton Zoreille qui l’accueille dignement, c’est l’heure où tout le monde rentre. À demain.