VALENTIN ET LA NOUVELLE

24. CONVOCATION

Quand Valentin sortit du domicile de son ami, deux centimètres de neige fondante éclaircissaient la nuit tombée. Il remonta le col de son blouson, enfouit ses mains dans les poches et marcha d’un pas vif vers la maison de ses grands-parents. Nous ne sommes qu’à la mi-novembre et il neige déjà, pensa-t-il. C’est ça le réchauffement climatique ?
— Ah, te voici enfin ! gronda Isabelle sa grand-mère quand il eut pénétré dans le petit hall carré de l’entrée. Ce n’est pas prudent de trainer dehors par ce temps et avec ton mal de gorge.
— J’étais chez Gilles et sa mère m’a préparé un chocolat chaud.
— Soupe aux poireaux-pommes de terre ce soir, tu aimes ?
— J’aime bien les pommes de terre.
— Ha ha ha, bien répondu fiston, fit Jean-Claude son grand-père.
— Je suppose que tes devoirs sont faits, reprit Isabelle.
— Pas tout à fait, il me reste à dessiner une figure homothétique.
— C’est quoi ça ?
— Imagine deux jumeaux de tailles différentes alignés l’un derrière l’autre, le petit devant et le grand derrière.
— Ho la la, tu vas dessiner ça ?
— Mais non, Isabelle. Je plaisantais. En fait je dois seulement faire un dessin géométrique sur le même principe.
— Mais oui voyons, tu ne te rappelles plus tes cours de math, ma femme préférée ? se moqua le grand-père.
— Je me suis empressée de les oublier.
— L’homothétie se caractérise par son centre, point invariant, et un rapport qui est un nombre réel, c’est donc la reproduction d’une figure avec changement d'échelle, récita Valentin. OK, j’en ai pour dix secondes.
Il saisit son compas, une feuille de papier blanc et traça deux cercles concentriques le second au rayon trois fois plus grand que le premier.
— Voilà, mes devoirs sont faits.
— Tu as battu le record du monde de vitesse ! plaisanta Jean-Claude.
— Bon, et bien à table tout le monde, commanda Isabelle.

Le lendemain, Valentin était déjà au collège quand le facteur délivra chez les Valmont la lettre d’une convocation. Elle stipulait que Valentin devait se présenter dans les plus brefs délais à l’hôtel de police pour y être entendu.
Au même moment, pendant le cours de math, chaque élève présentait à la classe la figure géométrique qu’il avait réalisée la veille. Le schéma simpliste des deux cercles concentriques de Valentin suscita une controverse parmi les élèves sous le regard amusé du professeur et finalement lui valut le prix de l’originalité tandis que celui d’Olivier présentant uniquement deux segments parallèles avec bonne proportion et point d’origine faillit lui octroyer celui du moindre effort, battu seulement par la feuille blanche rendue par Romuald. Les deux pyramides soigneusement réalisées en 3D par Mathilde lui valurent le premier prix tandis que les deux escargots alignés dessinés en proportion par Charly méritèrent celui de l’imagination.
Au cours de la récréation qui suivit le cours de math, le téléphone de Valentin vibra. C’était un texto de son grand-père qui lui expliquait la situation.
Ses pouces effleurant l’écran à grande vitesse, sans utiliser le langage abrégé habituellement utilisé, il répondit : « Je ne veux rater aucun cours. Je veux qu’une voiture vienne me chercher à 17 heures précises. Je désire aussi que tu avertisses l’adjudant-chef Lemoine. Merci J-C. »

Le véhicule de police conduit par le brigadier Marboz prévu à dix-sept heures se présenta à dix-sept heures trente.
« C’est leur voiture, souffla Valentin à son grand-père, n’oublie pas de prévenir l’adjudant-chef, je vais ouvrir. »
— Bonsoir brigadier Marboz, rigola-t-il en tendant ses poignets vers le policier.
— Tu te fous de moi ? fit le brigadier.
— Un peu, j’avoue. Mais c’est le seul aveu que j’ai à te faire.
— Tu feras moins le malin devant le lieutenant !
— Ça dépendra de lui. Ah, ce n’est pas la peine de m’appuyer sur la tête quand je monterai dans votre auto, je sais la baisser tout seul.
Grace à sa sirène deux tons et son gyrophare lançant ses éclairs bleus dans le crépuscule, la Mégane policière mit moins d’un quart d’heure pour franchir les neuf kilomètres de route encombrée la séparant de sa destination.
— Même bureau que la dernière fois, grommela le brigadier en poussant Valentin dans l’hôtel de police.
Il dut attendre encore un quart d’heure avant l’arrivée du lieutenant Marchais.
— Il n’y a pas d’adulte pour t’aider comme tu l’as réclamé ? dit ce dernier en entrant enfin dans le bureau.
Valentin jeta un coup d’œil à l’écran de son smartphone qui indiquait 17h59.
— Il sera là dans une minute, il est ponctuel, lui, pas comme votre brigadier.
— Arrête de faire ton intelligent et ne perdons pas de temps. Commence par répondre à mes questions. Tu connais Jade depuis combien de temps ?
— Jade qui ? Soyez précis!
— Oula, c’est mal parti ! Jade Devienne bien sûr.
— Je répondrai à tes questions dans quelques secondes, répondit Valentin en croisant les bras. Ah, dix-huit heures, il devrait être là.
Il avait à peine fini sa phrase que le brigadier Marboz toqua puis ouvrit la porte.
— L’adjudant-chef Lemoine pour seconder le jeune Valentin Valmont, annonça-t-il.
— Bonsoir mon lieutenant. Bonsoir Valentin, merci de ta confiance.
— Tu peux commencer, mon lieutenant, s’amusa l’adolescent.
— Donc, je recommence…
— Attendez, intervint Lemoine, vous ne filmez pas l’interrogatoire ?
— Ce n’est pas à proprement parler un interrogatoire mais plutôt un entretien informel.
— Informel avec une convocation officielle ? ironisa l’adjudant-chef.
L’air excédé, le lieutenant Marchais sortit une petite caméra d’un tiroir, la fixa sur un mini-trépied, l’alluma et regarda l’adjudant-chef.
— Correct comme ça ?
Lemoine sourit et approuva d’un mouvement de tête.
— Bon, je reprends encore une fois, depuis combien de temps connais-tu Jade Devienne ?
— Depuis son arrivée dans mon collège au début du mois d’octobre, quand elle a débarqué de Nouvelle Calédonie.
— Qu’est-ce qu’elle représente pour toi ?
— Je ne comprends pas la question.
— Avez-vous établit des liens particuliers, elle et toi ?
— C’est une simple camarade de classe.
— Une amie ?
— Pas vraiment, non.
— Pourquoi ? Tu lui en veux ?
— Oui, je lui en voulais.
— D’avoir refusé tes avances ?
— Je ne lui ai rien proposé du tout.
— Alors pourquoi tu lui en voulais ?
— Parce qu’elle avait séduit un de mes bons amis.
— Ce n’était pas une raison pour la défigurer !
— Attention ! intervint l’adjudant-chef Lemoine, ne tentez pas de déstabiliser ce jeune homme qui jusqu’à présent répond normalement à vos questions. Là vous l’accusez sans preuve.
— OK OK. Donc ton ami est devenu le petit copain de Jade, c’est pour ça que tu lui en voulais ?
— Non, pas du tout. C’est parce qu’elle avait deux copains à la fois, ce qui ridiculisait un de mes meilleurs amis.
— Tiens tiens. J’ai besoin des noms de ces deux individus.
— Malgré la situation ambigüe créée par Jade, je sais que ces deux garçons n’ont pas fait ça. En conséquence, je ne te donnerai pas leurs noms.
— Là, tu te mets toi-même dans une mauvaise situation.
— Attendez lieutenant, Valentin n’est pas tenu de vous répondre, il a même le droit de mentir et vous le savez bien.
— Je n’ai pas besoin de mentir, mon adjudant-chef. Je vais même aider la police. Lieutenant Marchais, donne-moi une adresse de courriel et je t’envoie immédiatement une photo du coupable.
— Tu connais le coupable, tu as une photo de lui ? Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? Donne-moi ton portable !
— Pas question. Toi tu me donnes une adresse mail si tu veux la photo.
Lemoine regarda le lieutenant avec un air mi-goguenard mi-incitatif. Exaspéré, le lieutenant finit par écrire une ligne sur un post-it.
Valentin consulta le bout de papier collé sur le bureau devant lui puis manipula rapidement son smartphone. Au moment où il envoyait la photo, un son discret annonçant l’arrivée d’un texto sortit de son appareil, il émanait de Jade et disait simplement : « confirm vac en Fr. »
Le lieutenant Marchais sortit son téléphone portable personnel sur lequel venait d’arriver la photo de l’agresseur de Jade, photo qu’il examina d’un air navré puis excédé.
— Tu te fous de moi ? La photo d’un type vu de dos ! C’est la preuve de rien du tout. Tu n’es pas en train de me monter une embrouille pour vous disculper, toi et tes copains ?
— Ça demande une explication, je le concède, lieutenant. Le jour de l’agression, je me trouvais avec mon ami Gilles au bord du Thiou. J’allais photographier les quais fleuris de la rivière quand j’ai été bousculé par un type. J’avais le doigt sur la zone déclencheur et l’appareil a capturé trois images. Deux sont inutilisables et la troisième c’est celle-ci. C’est la photo de l’agresseur, vu de dos certes. Cette photo -plus les souvenirs de Jade- m’a permis de donner un nom à cet individu. Mon amie ne demande qu’à coopérer, fais ton travail d’enquêteur.
— Parce que c’est ton amie maintenant ?
— Jade est très belle, elle le sait, elle sait aussi que mon intervention a sauvé son visage, conclus toi-même, ce n’est pas sorcier à comprendre.
— Pourquoi es-tu aussi agressif envers la police ? Nous faisons le même métier que l’adjudant-chef.
— Il ne fallait pas lui mettre les menottes, peut-être… suggéra Lemoine.
— Bon, si vous n’avez plus de questions, j’aimerais rentrer chez moi parce que, grâce à vous, j’ai encore mal à la gorge de l’autre jour.
— Attends encore un peu, sur la canette de coca qui a contenu de l’acide, il n’y a que les empreintes de ton pote, heu… Gilles Arroux. Comment tu expliques ça ?
— La réponse est sur la photo que je vous ai transmise. Mon ami Gilles n’a fait que vous rendre service en retrouvant cette canette à votre place.
— Je vais l’examiner de très près. C’est tout pour aujourd’hui, je vais te faire raccompagner par le brigadier Marboz.
— Si c’est pour qu’il pilote à la « cow-boy » comme pour venir, je préfère que ce soit la gendarmerie qui me reconduise.
— Pas de problème mon lieutenant, nous habitons le même village, je vais ramener ce repris de justice chez lui, ironisa l’adjudant-chef Lemoine.