L’après midi commençait par le cours d’anglais de monsieur Raoul Dissel surnommé Radissel par plusieurs générations de collégiens. Conscient de devoir immerger ses élèves dans un environnement uniquement british, il ne s’exprimait qu’en anglais. Son cours du jour, collant à la réalité, portait sur le départ de l’Angleterre de l’union européenne, le brexit. Cela ne passionnait guère la classe et plusieurs élèves s’étaient fait vigoureusement tancer pour leur inattention. Monsieur Dissel, d’une voix plus autoritaire avait repris :
— The Yes to the referendum being majority…
(Le Oui au referendum ayant obtenu la majorité…)
C’est à ce moment que, surprenant toute la classe, Eva éclata de rire.
— May I know the reason of your hilarity miss Eva?
(Puis-je connaitre la raison de votre hilarité mademoiselle Eva ?)
s’enquit le professeur un peu interloqué par cette manifestation totalement inédite.
— No, uh Yes. I was thinking I’m out of paper, sir.
(Non, heu oui. Je viens de penser que je n’ai plus de papier, monsieur.)
— This is obviously a good reason since it allows me for once to hear the sound of your voice.
(C’est évidemment une bonne raison puisqu’elle me permet pour une fois d’entendre le son de votre voix.)
Gilles qui se pinçait et serrait les lèvres pour s’empêcher de rire, éclata à son tour.
— Have you run out of paper either, Gilles?
(Êtes-vous également en manque de papier, Gilles ?)
— No, sir.
(Non monsieur.)
Lucie, écarlate, ne put se retenir davantage, son rire haut-perché déclencha un fou-rire général dans la classe.
— You miss a piece of paper and everything becomes funny!
Gilles, give a sheet of paper to your neighbor ans let’s resume.
(Un bout de papier vous manque et tout devient drôle !
Gilles, donnez une feuille de papier à votre voisine et reprenons.)
Lors du cours de math qui suivit, ce fut au tour de Lucie d’éclater de rire la première au moment où monsieur Derrien muni de la grande équerre et de la règle assortie dessinait au tableau la figure géométrique devant servir de modèle au travail du soir.
— Et bien mademoiselle Lucie, que se passe-t-il ? C’est le comique des triangles semblables qui vous réjouit ?
— Non monsieur. J’ai juste appuyé trop fort avec mon crayon et… j’ai déchiré le papier, se justifia-t-elle entre deux quintes.
L’explication imagée relança le fou-rire de Gilles et d’Eva puis celui de toute la classe ravie d’échapper un instant au sérieux de la leçon.
À la sortie du cours d’espagnol, quand Valentin rejoignit Bouboule, il ne manqua pas de faire la remarque.
— Dis-donc mon vieux, Eva ta chérie s’est lâchée aujourd’hui, c’est la première fois en plus de deux ans que je la vois comme ça.
— Contrairement à ce que tu crois, Eva est toujours très gaie, sauf en classe évidemment. Elle doit avoir une bonne raison pour se marrer. Je pense qu’elle nous en fera partager les raisons jeudi à la récré de dix heures.
— Et ta mission ?
— Ah, oui. Je n’ai réussi à capter que quelques mots car je n’étais pas tout près d’eux et les autocars se garaient à ce moment-là. J’ai seulement entendu Jade dire « d’accord, je te retrouve sur le chemin…» et quand ils se sont quittés Charly a dit « à toute. »
— Donc ils se sont donnés rendez-vous, je me demande bien pourquoi…
— Si tu veux le savoir, téléphone-lui et demande-lui de venir jouer au ping-pong chez toi par exemple. Ou il accepte et tu lui demanderas ce que veut la nouvelle ou il refuse et il te donnera la raison.
— Jamais à cours de ressource, hein Bouboule ? Mais je ne veux pas régenter ce que doivent faire mes amis. Charly est un grand garçon et il fait ce qu’il veut. Je suis intervenu à propos de Jade uniquement parce qu’elle ridiculisait Florian. Adiós mi amigo, asta luego.
(Au revoir mon ami, à plus tard.)