VALENTIN ET LA NOUVELLE

3. RETOUR A LA BASE

Olivier portait sur son visage l’air soucieux de responsable confronté à des problèmes importants. L’état de Pascal, qui toussait encore beaucoup, l’inquiétait. Avait-il encore un peu d’eau dans les poumons ? Dans ce cas, il semblait évident de devoir contacter d’urgence un médecin. Il décida de s’en ouvrir à Valentin, bien soucieux lui aussi.
— Qu’est-ce qu’on doit faire pour Bouboule à ton avis ? Est-ce qu’il a respiré de l’eau ? Est-ce qu’il faut appeler dès maintenant pour qu’une ambulance nous attende au club ? Qu’en penses-tu ?
— Écoute, d’après ce qu’à fait et dit Bouboule, à mon avis il n’a pas respiré d’eau, il ne s’est pas noyé à proprement dire mais il a eu une sorte d’hydrocution.
— Je préférerais que ce ne soit pas arrivé mais oui, et c’est peut-être moins mal qu’une noyade par épuisement.
— Je pense la même chose. Pascal n’est pas sportif comme nous autres mais il a voulu faire le malin devant la nouvelle en plongeant du rocher. Il avait chaud et l’eau fait à peine vingt degrés, alors tu comprends : choc physique avec son plat retentissant, choc thermique dans l’eau fraiche, stress d’avoir perdu ses lunettes plus le fait d’avoir la tête en bas pour les retrouver, sensation inhabituelle de froid sur les yeux et de vision floue sans compter l’angoisse d’être en eau profonde, tout cela additionné a déclenché son malaise, sa syncope respiratoire. Dans ce cas, il n’a pas respiré sous l’eau et donc n’en a pas au fond des poumons. Il en a pris un peu par les narines et a sûrement but une bonne tasse mais grâce à Florian, il a presque tout rejeté.
— Tout de même, c’est de l’eau du lac, il y a peut-être des saletés dedans.
— Nous avons le grand lac le plus pur d’Europe et de surcroit nous sommes loin des plages fréquentées, non, de ce côté-là je suis plutôt optimiste.
— Tu me rassures un peu, mais quand même, je trouve qu’il toussote encore beaucoup.
Valentin se tourna vers Bouboule qui, sur l’ordre de Florian, était assis en compagnie de son amie Eva à l’ombre d’un pin surplombant.
— Ça va Pascal ?
— Pas trop mal merci, mais j’ai l’impression d’avoir avalé une mouche et ça me fait tousser.
— On repart dans un quart d’heure, ça ira ?
— Ah ça ira, ça ira, ça ira, chantonna Bouboule, oui, oui, no problemo !
— Bouboule, tu monteras avec moi pour le retour, décida Florian qui avait entendu la conversation. À toi de réorganiser les équipes, Olivier.
— Ça va pas être simple, chuchota ce dernier à l’oreille de Valentin. Qui va monter avec la nouvelle ?
— Déjà pas Bouboule ni Flo, toi peut-être.
— J’ai discuté d’elle avec Margot en venant et j’en ai conclu que les filles étaient bien réservées à son égard, Margot la première d’ailleurs, donc pour moi, évidemment, c’est niet. Regarde, Jade est encore seule sur son matelas de gilets, aucune fille n’a voulu l’adopter.
— À côté d’elle, toutes nos copines, si jolies soient-elles, passent pour des faire-valoir et ça, ça ne plait pas à une fille. Si Pauline était là, elle se serait dévouée.
— Oui, mais elle n’est pas là. Regarde, la Jade, elle montre son côté pile maintenant, c’est moins passionnant, s’amusa Olivier.
— Mais pas mal quand même, apprécia Valentin.
— Donc il ne reste que Charly, Gilles, Quentin ou toi.
— En confidence, je crois que Charly est secrètement amoureux d’Amandine, tu te rappelles comme il s’est investi pour la retrouver lors de son enlèvement ? Quant à Gilles, il est trop attaché à notre Lucie.
— Quentin alors ?
— Quentin, c’est comme Charly mais avec Mathilde. Tu as vu son sourire quand tu as constitué les binômes et qu’il a su que tu le mettais avec elle. J’ai déjà repéré quelques petits indices à leur sujet…
— Ah… alors il ne reste plus que toi.
— OK, c’est d’accord, mais il faut éviter qu’Emily se montre désagréable. Je pense que c’est à toi, l’organisateur, de donner les ordres devant tout le monde. Trouve les bonnes raisons. Personne ne te contestera.
— Je vais faire ça. Encore cinq minutes et on y va.

— Bon, les amis écoutez-moi, nous allons repartir. Récupérez votre gilet et attachez-le soigneusement, un drame, ça suffit. J’ai un peu modifié les équipes pour le retour : comme Pascal va rentrer avec Florian pour une question de sécurité, Eva se mettra avec Emily qui pagaie très bien et Valentin se mettra avec Jade.
— Pourquoi lui ? demanda Emily en fronçant les sourcils.
— Parce que lui et moi avons déjà fait du canoë ensemble et je connais sa technique. Voilà. Oui Bouboule ?
— Dites les amis, pas un mot de tout ça à mes parents, ni aux vôtres, hein ? Si ça se sait, je ne pourrai plus jamais faire de sorties avec vous.
— D’ac Pascal, décida Florian, mais uniquement si tu ne tousses plus quand nous arriverons au débarcadère.

Pendant les premières minutes de la navigation de retour, Jade et Valentin n’échangèrent pas un mot. À l’avant du canoë, la jeune fille, apparemment gauchère, pagayait très correctement sur bâbord. Valentin, bordé de l’autre côté se contentait de suivre son rythme sans forcer les coups de pelle. Ce fut elle qui finalement amorça la conversation.
— Vous n’êtes pas passé loin du drame, n’est-ce pas ?
Valentin, avec un rictus crispé de peur rétrospective, hocha affirmativement la tête sans penser qu’elle ne pouvait pas le voir, sauf à se retourner, ce qu’elle fit après quelques secondes de nouveau silence.
— Tu ne me réponds pas ? Tu penses toi aussi que je n’aurais pas dû venir avec vous ?
Personnellement j’étais très contente de participer à votre sortie. À propos de l’accident de votre ami, je trouve que vous avez tous bien réagi, enfin surtout les garçons et en premier lieu Florian. C’est le meilleur n’est-ce pas ?
— Nous avons tous un domaine où nous sommes le meilleur, les filles comme les garçons. Pour Florian, c’est le sport.
— C’est évident. Et les autres ? Qui est le chef de votre équipe ? C’est Olivier, hein ? C’est lui qui commande ?
— Olivier est très bon pour tout ce qui concerne les sports de glisse sur l’eau. Dans ce domaine-là, c’est lui qui dirige.
— J’ai l’impression que les filles ne m’aiment pas beaucoup.
— Elles ne te connaissent pas.
— Les garçons non plus ne me connaissent pas, pourtant Florian m’a tout de suite invitée et vous avez accepté, donc en fait c’est lui le vrai chef, surtout qu’il est costaud.
— Détrompe-toi, il n’y a pas de chef dans notre groupe.
— Alors qu’est-ce qui vous rassemble ?
— Le plaisir d’être ensemble, le désir de rendre service aux autres, la confiance mutuelle. Nous nous entraidons, nous nous soutenons, nous défendons les plus faibles, nous ne nous opposons pas systématiquement à ce que nous disent les autres de notre âge, ni nos parents, ni les autres adultes, ni même les flics.
— Tous les treize vous pensez comme ça ?
— Quatorze ! Aujourd’hui il manquait Pauline.
— Ah, c’est pour ça que Florian m’a invitée… Si c’est pour faire l’appoint, je suis déçue.
— Pas seulement à mon avis…
— Pourquoi alors ?
— À toi de le découvrir. Nous arrivons. J’accoste le canoë le long du ponton. Vas-y, débarque… Hé mets ton pied d’appui au milieu… Attention… Aïe…
Sous l’impulsion que donna la jeune fille pour tenter de remonter sur le ponton, le canoë pencha fortement sur tribord, embarquant un gros paquet d’eau puis s’éloigna des planches. La fille qui avait déjà un pied sur le ponton sans en avoir l’appui se retrouva en grand écart involontaire et, au milieu des rires des spectateurs, tomba fesses premières dans l’eau. Valentin qui avait tenté de redresser l’embarcation en portant le poids de son corps en opposition ne put contrôler le mouvement de roulis, le canoë embarqua à nouveau de l’eau par l’autre côté et se retourna.
Florian qui avait vu la scène exécuta un énorme plongeon lancé vers eux. Comme il avait fait deux heures auparavant pour Bouboule, il récupéra la jeune fille qui ne chercha pas à se débattre.
Ramenée à la berge par le slip-way voisin, elle remarqua :
— Je sais nager, Florian, et avec le gilet, je ne risquais vraiment rien. Mais c’était bien agréable tout de même de se laisser faire par toi. Merci beau chevalier.