VALENTIN ET LA NOUVELLE

32. À LA VILLA DE CHARLY

Par le chemin des roselières, sur leurs bicyclettes, footballeurs et spectateurs arrivèrent à la villa.
— Val, Flo, aidez-moi à installer la table, demanda Charly. Le plateau et les tréteaux sont sous le perron. Merci Amandine, c’est sympa de nous donner un coup de main, ajouta-t-il en souriant à la jeune fille qui venait de saisir un tréteau.
— Pas besoin de toi, on est assez, fit la jeune fille à Jade qui s’était avancée elle aussi.
— Je peux aller chercher les verres, Charles-Henri, proposa Jade sans tenir compte des paroles d’Amandine, dis-moi simplement où je dois les prendre.
— Dans leurs cartons d’origine, sur une étagère à gauche dans le sous-sol, précisa Charly. Il en faut une bonne quinzaine, mais tu n’es pas obligée…
— Ça me fait plaisir de t’aider Charles-Henri.
— Ho les footballeurs, pour ceux qui veulent se laver, il y a un lavabo au sous-sol, sinon l’eau du lac est encore à treize degrés et le ponton est à votre disposition, annonça Charly, attirant un sourire sur les lèvres de Valentin . Je vais chercher la boisson, ajouta-t-il en pénétrant dans le sous-sol à la suite de Jade.
— C’était une excellente idée d’organiser ce match, félicita Pierre-André. S’il fait encore beau la semaine prochaine, je propose d’en refaire un en ville sur les pelouses du lac.
— Accepte Florian. Marine et moi on ira vous supporter, pressa Océane. J’adore te voir jouer.
— Olivier, Quentin, Charly, d’accord sur le principe ? Bon ben si c’est possible, on est d’accord.
— L’après-match sera sûrement moins sympa qu’ici. Je ne connaissais pas ce coin, l’environnement est superbe, constata Pierre-André.
— Je n’y suis pas pour grand-chose répondit modestement Charly. N’ayez pas peur de vous resservir en boisson, il y a des réserves.
— Tiens Charles-Henri, tu as super bien joué, tu dois avoir soif. Donne ton verre, fit Jade, grande bouteille de coca à la main, avec son plus beau sourire.
— Il est assez grand pour se servir seul, gronda Amandine quand Charly se fut éloigné. Tu n’es pas obligée de jouer les soubrettes d’opérette.
— Les beaux mecs adorent se faire servir ! Conseil gratuit, fais-en ton profit, répliqua Jade, essaie avec Florian, tu verras.
— Je ne pique pas les petits amis des autres, moi, pas comme certaines !
— Tu fais comme tu veux, moi je tente ma chance.
Pendant une demi-heure encore, les jeunes rirent, burent, plaisantèrent. Satisfait de voir tous ses amis heureux, Valentin était d’abord passé de l’un à l’autre, donnant son avis, recueillant les commentaires puis il avait fait connaissance avec les trois autres de la ville, garçons ouverts, sportifs, sympathiques. Le soleil couchant commençait à rosir les sommets, rendant l’atmosphère plus nostalgique. Il s’aventura au bout du ponton en fredonnant une des vieilles chansons sur l’air de laquelle ceux de sa classe s’étaient initiés à la danse puis il revint vers la petite plage de gravier lieu de sa première danse avec Emily.
— C’était bien chouette, dommage… murmura-t-il.
— Qu’est-ce qui est dommage ? dit doucement une voix féminine derrière lui.
— Ah, c’est toi Emily… Dommage que l’été soit fini, dommage qu’on aille vers le froid, dommage que demain il pleuve.
— Ah oui, dommage aussi. Tu te rappelles le jour où…
— Écoute, Pierre-André dit quelque chose.
— Les amis, dit effectivement celui-ci, nos vélos n’ont pas d’éclairage et il ne reste qu’une demi-heure de jour, nous devons partir. Au revoir et merci à tous.
Imité par ses équipiers, il serra la main de ses adversaires puis fit la bise aux filles présentes, oubliant volontairement Jade. Celle-ci pour ne pas perdre la face s’activait à rassembler les verres vides.
— Je vous accompagne un bout de chemin, Pierre-André, décida Marine. Au revoir tout le monde, à demain.
— Nous allons rentrer également, dit Olivier, au revoir Charly et merci pour les boissons.
— Tu as besoin d’aide, Charly ? questionna Gilles.
— J’ai le temps, je reste avec lui pour l’aider à ranger, vous pouvez y aller, répondit à sa place Amandine.
Pendant qu’Emily rentrait chez elle dans le chalet voisin, avant de partir lui aussi, Valentin se dirigea vers Jade, lui prit le coude et l’entraina un peu à l’écart des oreilles indiscrètes. La jeune fille dégagea son bras en un mouvement d’humeur mais suivit le garçon.
— Je veux te parler, Jade, être clair avec toi. Tu t’es bien rendue compte qu’Amandine est amoureuse de Charly et ça ne date pas d’hier, alors, s’il te plait, oublie-le, laisse-les tranquilles.
— Dis-donc toi, il n’y a pas un mois tu m’as demandé de choisir entre Florian et Pierre-André, tu ne crois pas qu’on peut demander à Charles-Henri de choisir lui aussi ?
— Mais là c’est complètement différent, Charly ne sort pas avec deux filles à la fois, il ne ridiculise personne, lui !
— Écoute Valentin, tu m’as rendu un très grand service et je t’en remercie encore, mais tu n’as pas à régenter ma vie sentimentale. Je fais ce que je veux, je sors avec qui je veux et tu ne t’en mêles pas. Va plutôt retrouver l’autre là, Emily sur le balcon de son beau chalet. Elle est sans cesse à te regarder avec des yeux de merlan frit.
— Alors un, je n’ai jamais vu de merlan aux yeux bleus et deux, tu n’as pas toi non plus à régir ma vie sentimentale, renvoya Valentin.
— Alors on est d’accord !
— Jade, tu es très belle et tu le sais. Tu sais que les garçons sont attirés par toi, mais là c’est la seconde fois que tu sèmes le trouble dans mon équipe d’amis, alors je te préviens, si tu continues ton numéro avec Charly, tu vas le regretter et là, je ne ferai rien pour te défendre.
— Je ne te demande rien, alors tu me lâches maintenant. Charles-Henri, je peux te parler ? se détourna-t-elle pendant que Valentin s’éloignait sur le chemin du bord du lac.
— Tu vois bien que nous sommes occupés ! renvoya Amandine une bouteille vide dans chaque main.
— Ce n’est pas à toi que je parle !
— Mais c’est moi qui te réponds, répliqua la jolie rouquine en s’approchant de Jade presque jusqu’au contact, les yeux rivés à ceux de l’autre.
Le scenario imaginé par Valentin se déroula presque comme il l’avait annoncé, Jade repoussa Amandine des deux mains. Légèrement déséquilibrée, Amandine recula d’un pas, fléchit les jambes, lâcha les bouteilles qu’elle tenait encore et partit en roulade arrière. Regard fixe, bouche pincée, elle se releva et s’approcha de nouveau de sa rivale. Jade voulut encore la repousser quand elle reçut une formidable mandale sur la joue gauche. Ivre de fureur, elle bondit griffes en avant sur Amandine qui s’était mise en garde de boxeuse, regard au-dessus des poings. Elle réussit néanmoins à saisir une mèche de cheveux roux et tira violemment. Amandine poussa un cri, inclina la tête sous la traction. Jade en profita pour saisir une autre mèche et tira par secousses. Amandine cria de douleur.
Charly pétrifié regardait ses deux soupirantes en furie se battre pour lui.
Amandine décocha alors un coup de son poing droit dans la poitrine de l’autre qui cria à son tour. Elle lâcha une mèche de sa rivale pour se frotter le sein à l’endroit du coup. Aux cris des deux lutteuses, Valentin avait fait demi-tour et était revenu au pas de course vers le lieu de l’affrontement.
— Arrêtez de vous battre, ça ne sert à rien, ça n’avance à rien ! cria-t-il un peu hypocritement en faisant un geste d’aller-retour avec son pied gauche. Jade ne lui accorda pas un regard mais Amandine avait compris. Elle racla méchamment le tibia de l’autre et compléta par une gifle monumentale sur la même joue qu’au début de la bataille. Les larmes aux yeux, Jade tomba à son tour sur l’herbe et se massa fortement la jambe atteinte par la semelle d’Amandine, jambe heureusement protégée par son jeans collant. Après quelques secondes, elle se releva en jetant un regard de haine à sa rivale.
— On se reverra, salope ! fit-elle en boitillant vers son vélo.