Valentin s’apprêtait à se coucher quand son téléphone fit vibrer l’abattant du secrétaire sur lequel il était posé. Il réactiva l’appareil, regarda l’écran qui indiquait vingt-deux heures trente et présentait le chiffre 1 en décalé sur l’icône des textos. « Un texto à cette heure-ci, ça ne peut pas être une pub » se dit-il en ouvrant le message.
Il émanait de Charly.
Val, je sais qu’il est tard et j’espère que tu n’as pas encore fermé ton phone. Tu as vu comme moi l’altercation entre Amandine et Jade. J’ai bien peur d’en être involontairement la cause. Je ne sais pas quoi faire. Je suis attiré par Amandine depuis longtemps, en fait depuis ma réunion d’anniversaire il y a presque deux ans quand nous avons dansé ensemble sur tes musiques. Maintenant, tu as pu voir comme moi que Jade me fait du charme et a envie de sortir avec moi. Je ne sais pas quoi faire. Qu’est-ce que tu déciderais à ma place ?
Valentin tapa immédiatement :
Je vais te répondre, laisse-moi un quart d’heure, le temps de rédiger.
« Me voilà devenu conseiller matrimonial maintenant ! Enfin conseiller sentimental plutôt… Pour moi, le choix serait vite fait mais Charly est probablement flatté d’être choisi par la plus belle fille du collège. Il faut que je trouve les bonnes raisons, si toutefois la raison peut être convaincante dans ce genre de situation. »
Charly,
Je ne prendrai pas de décision à ta place. Je vais simplement t’exposer ou te remémorer quelques faits.
Concernant Jade d’abord.
C’est une super belle fille, elle le sait et elle en joue. Elle en joue si bien que, quand elle était en Nouvelle Calédonie, elle a eu au moins sept amoureux effectifs. Depuis qu’elle est rentrée en métropole, elle a séduit en même temps Pierre-André et notre Florian, ça fait neuf et elle espère que tu seras le dixième.
Amandine maintenant.
C’est aussi une jolie fille, certes elle est moins tape à l’œil, moins princesse à qui l’on doit tout, mais je veux te dire qu’elle possède une qualité rare : elle pense aux autres avant de penser à elle.
Je vais te rappeler ou t’apprendre certaines choses.
C’était avant que tu arrives dans notre collège. Amandine était dans le camp du Thénardier et comme eux ne pouvais pas me sentir. Un jour que sa sœur était en grandes difficultés, elle a oublié son antipathie envers moi pour me demander d’aider Camille . Plus tard, elle est venue à mon secours quand j’ai été tabassé , je n’insiste pas sur ce point. Ensuite elle m’a demandé de l’aider à secourir une connaissance, proie d’un prédateur sur Facebook . Rien pour elle, tout pour les autres. Elle t’est, sans le dire mais je le sais, fortement reconnaissante pour ton action dans sa délivrance quand elle a été kidnappée .
Ce n’est pas à moi de faire le choix mais à mon avis l’alternative est celle-ci : ou tu restes ami, et simplement ami avec les deux, ce qui ne sera pas simple, ou tu en choisis une et dans ce cas, ne te trompe pas car dans ce cas tu perds l’autre définitivement !
Voilà ce que je peux te dire. Sur ce, je te souhaite une bonne nuit qui porte conseil.
Quand Valentin se réveilla le lendemain jeudi, la première chose qu’il fit fut d’allumer son smartphone. Un nouveau texto l’attendait dans le fil de sa conversation avec Charly. Il ne contenait qu’un mot, fort explicite cependant :
Amandine.
À huit heures moins cinq devant le portail d’entrée du collège, Bouboule aborda Valentin qui arrivait.
— Val, il faut que je te dise : la Jade vient de me demander de permuter nos places en classe. Je suis entre Charly et Eva. J’ai senti comme une embrouille, je lui ai répondu que j’allais demander à Eva. Qu’est-ce que t’en penses ?
Cinq secondes de réflexion suffirent à Valentin pour imaginer un plan.
— Fais semblant de discuter avec Eva puis va répondre à Jade que c’est d’accord pour aujourd’hui. Ce n’est pas après Eva qu’elle en a, tu penses bien. Je vais tout de suite voir Gilles et Charly et leur demander d’échanger aussi leurs places. Regarde bien la tête que Jade fera quand on entrera en classe e qu’elle se retrouvera entre Eva et Gilles et Charly entre Morgane et moi.
Toute guillerette à son entrée dans la salle d’histoire-géographie, belle, fraiche et avenante, Jade s’installa tout naturellement à la place de Bouboule, accueillie par un sourire gentil d’Eva, mise dans la confidence. Mais quand Gilles vint s’assoir près d’elle et qu’elle constata l’échange qu’il venait de faire avec Charly, l’expression avenante de son visage s’effaça pour laisser place à un masque d’étonnement. À l’observation de quelques regards moqueurs tournés vers elle, ses sourcils se froncèrent, ses narines se pincèrent, une rougeur de colère envahit ses pommettes, un muscle se mit à battre à gauche de la commissure de ses lèvres. « Il faut peu de choses pour enlaidir un visage » pensa Valentin.
— Madame, demanda-t-elle à la professeure, nous pouvons changer de place, n’est-ce pas ?
— Oui, si ce n’est pas pour chahuter.
— Absolument pas madame. Je voudrais changer avec Lucie pour mieux voir les cartes.
— Aucune objection si Lucie est d’accord.
— Je veux bien, dit Lucie satisfaite de rejoindre Gilles.
— Moi je voudrais changer avec Valentin, dit Charly quand Jade se fut installée entre lui et Emily. D’accord Valentin ?
— Oui, pas de problème, répondit celui-ci en jubilant intérieurement.
— Bon, faites vite et c’est fini les transferts maintenant. Passons au programme du jour : la constitution de nouveaux états en Europe à la fin de la guerre 39-45 par la conférence de Yalta puis plus tard après la chute de l’URSS. Voici une carte de l’Europe en 1936 donc avant la guerre, une autre après Yalta en 1945 et la troisième en 1992 après la chute du mur de Berlin et la dislocation de l’URSS…
— C’est toi qui as mijoté tout ça ? ragea Jade s’adressant à voix étouffée à son voisin.
— Je suis coupable de tous les péchés du monde, murmura-t-il suavement, c’est bien connu, la guerre 39-45, c’est de ma faute.
— Que dites-vous Valentin ?
— Je disais que Yalta en 1945 avait vraiment chamboulé le monde.
— C’est exact. À cette conférence des états ont été constitués, sans tenir compte des peuples, simplement par l’envie des deux plus grands, les USA et l’Union soviétique, de se créer des zones d’influence les plus étendues possibles. La France dirigée par le général De Gaulle n’avait pas été invitée à cette conférence, mais Churchill…
— Tu n’as pas à te mêler de mes affaires ! fulmina encore sa voisine.
— « L’enfer, c’est les autres » a dit un écrivain, se moqua Valentin à voix basse.
— Quoi encore, Valentin. Faites vos réflexions à voix haute, que toute la classe en profite et pas seulement votre voisine.
— Je lui disais simplement que faire la guerre ne sert jamais à rien.
— C’est une bonne remarque.