Le premier incident eut lieu le lundi matin suivant, dans le gymnase, pendant le cours d’éducation physique. La séance devait se terminer par une série de matchs de volley-ball à trois contre trois, les joueurs étant en postes spécialisés. Tony Thénard dit le Thénardier, Clément Barilla dit Clébar et Alexis Mercier simplement surnommé Alex sur le terrain numéro un, étaient opposés à Florian au smatch et au bloc, Bouboule à la passe et Gilles en poste de défenseur. Romuald Michaud tenait lieu d’arbitre tandis que Valentin était juge de ligne.
Florian, très à l’aise réussissait tout ce qu’il entreprenait. Grâce à sa détente verticale exceptionnelle, sa vision clairvoyante du jeu adverse, il bloquait toutes les tentatives de smatchs d’Alexis qui de son côté avait bien du mal à contrer les boulets de canon de Florian. Le match se termina sur le score de 25 à 7 en faveur de Flo et des siens. Le dernier point fut marqué par Florian qui plaça une balle malicieuse à égale distance de ses trois adversaires lesquels se percutèrent en tentant de la relever.
— Vous avez une veine de cocus, lança le Thénardier à la fin de la rencontre, surtout toi là, Marlin !
Clément, Alexis ainsi que Romuald hurlèrent de rire.
S’il se posa une question sur le fondement du quolibet de Tony, Florian n’en laissa rien paraitre. Il félicita ses équipiers puis se mit au sifflet pour arbitrer le match suivant.
La deuxième alerte eut lieu en cours de français. Madame Blanchin la professeure fut amenée à parler de l’œuvre de Marcel Pagnol, donnant un résumé succinct de ses principaux ouvrages dont « La femme du boulanger. »
Elle expliqua l’arrivée d’un excellent nouveau boulanger et de sa jeune femme dans un village qui n’avait plus de pain depuis le suicide de l’ancien artisan, raconta la clientèle régulière d’un beau berger dont la femme du boulanger s’éprit et décida de partir avec lui.
Clément ne put s’empêcher de lancer :
— Tu veux devenir boulanger, Marlin ?
Et Alexis d’ajouter :
— On peut te présenter le berger si tu veux !
Sans remarquer le fard envahissant le visage de la belle Jade Devienne, Florian répliqua :
— Complètement débiles ! Le volley-ball n’a rien à voir avec la chance. Maintenant vous me lâchez où je vais vous faire avaler quelques pains bien durs et bien rassis.
— Si tu fais ça, tu vas te mettre dans le pétrin ! enchaina Clément.
— Je ne sais à quoi vous faites allusion les garçons, mais je vous demande de cesser ces calembredaines qui perturbent le cours, intervint la professeure.
Charly et Valentin se regardèrent avec des mimiques d’accablement et d’impuissance.
Lors de l’interclasse qui suivit le cours de français, Valentin dit à Charly :
— Trouve un truc pour éloigner Florian ce midi après la cantine, je veux parler à Jade.
— Qu’est que tu vas lui dire ?
— Je vais lui demander de choisir et de le faire tout de suite. Ça me fait mal de penser que Flo puisse être malheureux à cause d’elle.
Le repas terminé, Charly aborda aussitôt Florian.
— Dis-moi Flo, toi qui t’y connais, il y a un truc qui ne va pas sur mon VTT.
— Ouais, c’est quoi ?
— Quand je suis sur le petit plateau, donc chaine à gauche, je n’arrive pas à passer la vitesse de droite, le petit pignon. Ma bécane est quasi neuve, c’est un défaut de montage, tu crois ?
— Pas du tout, viens avec moi au parking des vélos, tu vas comprendre…
Constatant que Charly avait bien pensé son affaire et s’estimant tranquille suffisamment longtemps, Valentin aborda Jade, laquelle était en grande discussion avec Amandine.
— Jade, je veux te parler, articula-t-il en prenant un ton sérieux.
— Je vous laisse, déclara Amandine pour être discrète.
— Non, Titamande, s’il te plait, reste.
— Que veux-tu me dire ? sourit cependant la belle Jade.
— Je vais être franc et direct avec toi. Je sais que Florian est fou amoureux de toi et que tu lui as donné disons… des signes de sympathie. Je sais aussi que tu donnes les mêmes signes à un autre gars en ville.
— En quoi cela te regarde-t-il ? Tu veux te mettre sur les rangs ?
— Tu peux jouer à ce jeu malsain avec qui tu veux mais pas avec mes amis, et Flo est un très bon ami à moi. Je veux que tu choisisses et je veux connaitre ta décision aujourd’hui.
— Tu te prends pour qui pour me donner des ordres ? Et si ça me convient à moi, qu’est-ce que tu vas faire ? J’ai plusieurs copains, ils sont heureux de sortir avec moi, donc il n’y a pas de problème, je ne choisirai pas.
— Mais c’est dégueulasse d’agir comme ça ! intervint Amandine, si je raconte tout aux copines, tu vas passer pour une pute.
Valentin laissa volontairement un blanc dans la conversation avant de reprendre d’un ton plus conciliant :
— Si tu choisis Florian et uniquement lui, j’en reste là, il ne saura rien de tout cela. Si tu choisis l’autre, et c’est ton droit, je le reconnais, tu organises une rupture délicate avec mon ami et en ce qui me concerne, ce sera clos, mais si tu te décides de garder le statu-co, je vais m’arranger pour te pourrir la vie.
— Ha ha ha ! Pauvre petit mec, tu crois que tu peux faire quelque chose contre moi ?
— J’ai une vidéo de toi et de ton autre ami sur un banc en ville au bord du lac, près de la préfecture, vidéo dans laquelle on te reconnait très bien et qui ne laisse aucun doute sur ce que vous faites, mentit Valentin, c’était samedi dernier, tu situes ? Peu de temps avant que tu fasses une promenade sentimentale et un selfie avec mon pote.
— Et alors ?
— Quasiment tous les élèves de ce collège ont un compte Facebook et seront ravis d’avoir un lien vers cette vidéo si nous décidons de la déposer sur YouTube et sur Tik Tok. J’attends ta décision, je te laisse jusqu’à la fin du dernier cours de la journée pour réfléchir.
À l’issue de la dernière heure, Valentin s’arrangea pour sortir le premier de la salle de classe et quand Jade sortit à son tour, il se planta devant elle, menton levé en signe d’interrogation.
— Que veux-tu encore ?
— L’énoncé de ta décision.
— Tu n’as pas à me demander quoi que ce soit, je n’ai pas à te répondre, tu n’as pas encore compris ?
Valentin hocha affirmativement la tête en pinçant les lèvres puis fit demi-tour et rejoignit Amandine et Charly.
— C’est une fille bien ou c’est une pute, demanda crument la jeune fille.
— Ce n’est pas une fille bien. Il va falloir annoncer la chose à Florian.
— Comment va-t-il réagir selon toi ? demanda Charly.
— Incompréhension, négation, colère, abattement puis après un temps que je ne sais pas estimer, il aura une réaction salutaire et remontera la pente, j’espère.
— Ce n’est pas juste de laisser la Jade s’en tirer comme ça ! décida Amandine. Il faut trouver un truc pour lui faire payer sa sale attitude.
— J’ai un peu bluffé en prétendant avoir une vidéo mais Charly possède quand même une photo assez explicite. À part ça, je ne vois pas…
— Je peux voir la photo ? demanda Amandine.
Charly sortit son smartphone, toucha plusieurs fois l’écran qu’il présenta ensuite à la jeune fille.
— Quel âge il a ce mec ?
— Le même que nous estima Charly. Il n’est pas dans notre collège donc il est dans un établissement en ville.
— Je me demande… réfléchit tout haut Valentin… voyons, Jade n’est en France que depuis un peu plus d’un mois, elle n’a pas dû aller souvent en ville. Comment a-t-elle fait pour trouver un autre amoureux aussi rapidement ? Je pense qu’elle le connaissait avant de revenir en France.
— Pas sûr, contra Charly, c’est facile pour une jolie fille comme elle de draguer un mec.
— Pour une jolie fille, peut-être rétorqua Valentin, mais plus difficile pour une fille belle comme elle.
— Je ne comprends pas, tu peux m’expliquer ? demanda Amandine.
— Parce que pour beaucoup de garçons, belle est synonyme d’inaccessible.
— Donc c’est possiblement quelqu’un qui, comme elle, vient de Nouvelle Calédonie, comprit Charly.
— Donc lui aussi est entré dans un collège ou au lycée en cours de trimestre, compléta Amandine. D’accord, mais ça nous avance à quoi ?
— En l’absence d’autres pistes, il nous faut explorer à fond cette possibilité-là. Essayons d’abord de savoir qui est ce gars, ensuite nous aviserons.
— C’est l’aiguille dans la botte de foin ton idée.