VALENTIN ET LA NOUVELLE

6. PETITE ENQUÊTE

Le lendemain, à la récréation de dix heures, Valentin dû se rendre au secrétariat du collège afin d’y déposer une fiche d’état-civil réclamée par l’administration. Au moment où il pénétrait dans le local administratif, le principal, par la porte communicante de son bureau, disait à la secrétaire « téléphonez tout de suite au rectorat au sujet de ces statistiques, madame Belmont. »
Sur un signe de celle-ci, Valentin se mit sur une chaise et attendit patiemment la fin de la communication. Le mot rectorat avait immédiatement fait germer une idée dans son cerveau fertile. « C’est ça… Oui, il faut essayer de faire comme ça… Je vais trouver les numéros de téléphone, ils sont forcément publics, préparer le texte et demander à… oui, à Amandine de jouer le rôle. Si ça ne marche pas, j’essayerai de trouver autre chose. »
En retournant dans la cour de récréation, Valentin poursuivit mentalement son idée. « Tout d’abord, il faudra masquer le numéro de téléphone de l’appelant pour empêcher une identification ou un contre-appel. Comment faire ?»
Une brève recherche sur internet lui donna rapidement la solution : « pour masquer un appel, il suffit de composer #31# avant de faire le numéro du correspondant. »
« Bien, maintenant quel prétexte invoquer ? » Le mot statistique lancé par le principal à sa secrétaire lui traversa l’esprit. « Tout d’abord, comment présenter la requête ? Il vaudrait mieux que ce soit la voix d’une copine qui appelle, Amandine puisqu’elle est déjà impliquée… C’est ça, les voix féminines ne muent pas, la mienne ne serait pas crédible.
Je crois que cela devrait marcher. Je vais mettre tout par écrit et demander son accord. À quelle heure appeler ? Aujourd’hui, les cours finissent à seize heures, les secrétariats ferment à dix-huit heures, nous aurons le temps. Il faudra passer les coups de téléphone dans une pièce fermée pour éviter les bruits incongrus, moteurs, sirènes, discutions de jeunes qui rendraient l’appel non crédible. Il faudra aussi faire des bruits de papier pour le réalisme. Bon, maintenant, je recherche les numéros des lignes fixes des établissements de la ville et des alentours proches. »

À seize heures, Valentin rameuta Amandine et Charly.
— Je pense avoir trouvé un moyen de connaitre le nom de l’autre prétendant de Jade ainsi que l’établissement qu’il fréquente. Pour cela il y a quelques coups de téléphone à donner et j’ai pensé à toi Titamande. Il faudrait que tu viennes jusqu’à chez moi. Tu es d’accord ?
— C’est pour Florian qui a beaucoup fait pour me retrouver quand j’ai été enlevée, alors aucune hésitation, je suis ton homme, répondit la jeune fille.
— Et moi, quel rôle j’ai ? demanda Charly.
— Je te demande de venir aussi pour trois raisons : un, mes grands-parents me bombarderaient de question si j’amenais une fille seule à la maison et deux, toutes les intelligences sont les bienvenues.
— C’est gentil. Mais la troisième raison ?
Valentin s’approcha de Charly et lui murmura à l’oreille :
— J’ai peur que tu sois un peu jaloux.
Gêné, Charly se mit à rougir tandis qu’Amandine demandait :
— Et moi, je suis de Taninges ? Je n’ai pas le droit de savoir ?
Charly trouva immédiatement l’antidote :
— Il a peur de succomber à ton charme ravageur !
Arrivés chez Valentin, après les salutations polies aux grands-parents, les trois amis montèrent dans la chambre de Valentin qui leur expliqua rapidement son plan. Une rapide recherche sur internet leur fournit les numéros de téléphone des établissements scolaires secondaires de la région. Valentin plaça devant Amandine la feuille de papier sur laquelle il avait rédigé le topo à suivre.
— Vas-y Amandine, pas de timidité, sois la plus naturelle possible.
— OK, je me lance. Le premier numéro, voilà, je mets le haut-parleur.
« Bonjour, secrétariat du rectorat de Grenoble, mademoiselle Leconte, stagiaire au service des statistiques à l’appareil. Je suis chargée de recenser les noms des élèves qui se sont inscrits dans les établissements scolaires après la rentrée et dans quel niveau de classe ils sont. Oui, merci, j’attends.
Oui, Maxime Dutoit en cinquième ainsi que Flore Desjardin en quatrième… c’est noté, merci. — On n’est pas plus avancé, hein ?
— Patience et persévérance, ma belle, conforta Charly, allez, sers le même baratin au numéro suivant.
— C’est reparti !
Oui, merci, j’attends…
Pouvez-vous me répéter le nom complet ? Le prénom c’est Pierre-André avec trait d’union ? OK. Le nom de famille c’est Vallières, d’accord, classe de troisième, bien. Son adresse s’il vous plait ? 213 avenue de Loverchy, c’est noté. Pouvez-vous préciser de quelle académie il vient ? Ah, de Nouvelle Calédonie, du collège Georges Beaudoux à Nouméa. Très bien, merci madame pour votre efficacité.
— Et voilà le travail ! triompha Amandine.
— C’est super que tu ais pensé à demander les détails, l’adresse, la provenance, félicita Charly. Quelle est le programme maintenant ? continua-t-il, s’adressant à Valentin.
— Contacter ce Pierre-André, lui expliquer la situation et lui demander ce qu’il compte faire. — J’aurais dû demander son numéro de téléphone, regretta Amandine.
— Même si la secrétaire de ce collège le savait, elle ne te l’aurait pas donné et ça aurait éveillé des soupçons. Non, tu as super bien joué, maintenant il faut aller en ville, avenue de Loverchy, et aborder directement le gars. Aucune raison de penser que ça va être une confrontation.
— Je vois deux scenarii possibles pour lui présenter la situation, avança Charly, soit c’est Amandine qui lui explique qu’elle est amoureuse de Florian, que Jade lui a piqué, soit moi je lui dis que sa chérie le trompe avec un autre type.
— Hola, hola, du calme ! Il faut d’abord être capable de lui dire comment nous avons trouvé son adresse.
— Je lui dis que je l’ai vu avec Jade sur un banc au bord du lac et que je l’ai suivi pour avoir son adresse, dit Charly. J’ai la preuve avec la photo sur mon portable. J’ajoute que Florian est mon meilleur ami, qu’il est hyper costaud et jaloux comme un tigre, que si je lui montre cette photo, il est capable de venir lui démolir le portrait. Qu’en penses-tu Amandine ?
— Ben je ne sais pas trop, je ne suis pas un garçon.
— Imaginez un instant, reprit Valentin, vous êtes amoureux de quelqu’un, tout va bien, vous nagez dans le bonheur mais, sans le savoir, vous n’êtes pas le seul…
— Vous êtes cocu quoi ! trancha Amandine.
— Les choses peuvent se dire comme ça. Donc par exemple toi Charly, comment supporterais-tu qu’on te l’apprenne ? D’un ton moqueur ou compatissant, de façon brutale ou en douceur, par un mec ou par une fille ?
— En douceur, par une fille compatissante.
— C’est aussi mon avis.
— Donc, si j’ai bien compris, ça va encore être à moi de jouer, déduisit Amandine.
— Tu t’en sens capable ?
— Seulement si je n’y vais pas seule.
— Nous serons avec toi, bien sûr, conforta Charly. Pratiquement maintenant, ce gars habite en ville, alors comment y aller ? Comment le reconnaitre ? Comment l’aborder ?
— Je propose d’aller à la sortie de son collège et de questionner les grands pour se le faire désigner, déclara Amandine.
— Pour être à l’heure au moment de leur sortie, cela suppose que nous faisions sauter une heure de cours, et sans être sûrs d’obtenir un résultat. Si nous allions plutôt chez lui en disant que nous venons de la part de Jade Devienne qui est dans notre collège. Même si ce sont les parents qui nous ouvrent, il est probable qu’ils connaissent la fille puisqu’ils viennent aussi de Nouvelle Calédonie. Nous leur demandons de parler à Pierre-André. Si c’est le gars qui nous ouvre la porte, c’est encore plus simple, nous lui servons le même bobard, nous lui proposons de lui payer à boire dans le café le plus proche. Ensuite Amandine entre en jeu.
— Comment je lui présente la chose ?
— Pourquoi pas lui demander s’il accepte ou non de partager Jade avec un autre ? imagina Valentin. J’ai déjà vécu quelque chose de ressemblant et ma réaction a été de laisser tomber la fille. N’est-ce pas ce que vous feriez dans pareil cas ?
— Moi je vois les choses comme ça, dit Charly. Un, il s’en fout de cette fille, dans ce cas, on le dit à Jade et ça laisse le champ libre à Florian.
— Elle voudra une preuve, pensa logiquement Amandine.
— J’enregistrerai la conversation, appuya Valentin.
— OK, deux, il ne s’en fout pas, alors là, plusieurs réactions de sa part sont possibles : si c’est un sentimental il pleure, si c’est un sanguin il se met en colère, si c’est un fataliste, il se résigne.
— Dis donc Charly, je ne te connaissais pas cette qualité d’analyse, admira Amandine.
— Oui, pas mal vu, appuya Valentin. Mais nous ne pouvons pas échafauder trente-six plans différents. Il est un peu tard ce soir pour aller en ville, prévoyons de nous y rendre demain, il faut une demi-heure avec nos VTT, donc nous pouvons démarrer disons vers cinq heures moins le quart. Il fera nuit quand nous rentrerons, prévoyons aussi un éclairage pour nos vélos.
— Rendez-vous chez moi, décida Amandine, mes parents n’ont plus rien à vous refuser depuis que vous m’avez sauvée .