Il était huit heures du matin. Valentin, réveillé tôt, faisait le tour du camp, téléphone en poche. Bien qu’il s’y attendit, le tremblement de l’appareil le fit sursauter. Il prit l’appel à la troisième vibration. Il ne connaissait pas le numéro affiché.
— Allo ?
— Valentin heu… Valmont ?
— Oui, c’est moi.
— Adjudant Irrigoyen, de la brigade de gendarmerie de Mixelit. L’adjudant-chef Lemoine de Haute Savoie m’a parlé de vous et m’a dit que vous êtes un garçon à qui on peut faire confiance.
— Monsieur Lemoine est un gendarme psychologue et efficace. J’ai pu lui rendre un ou deux services.
— Alors tu as repéré des voleurs au Rolljam ?
— Je le crois. J’ai observé plusieurs fois leur manège.
— Comment sais-tu ce que c’est qu’un Rolljam ?
— Internet mon adjudant.
— Je vois… Et donc tu penses avoir compris la technique.
— Captation du signal du « Plip » du propriétaire et reproduction du signal quand le propriétaire est parti. C’est le principe.
— Tu as vu les voleurs ?
— Fugacement, mais je peux vous dire qu’ils opèrent à bord d’une Clio grise dont la portière côté chauffeur st un peu enfoncée. Je vais vous envoyer les photos de la voiture des voleurs et celles de quelques victimes si vous le désirez, mon adjudant.
— Un jeune qui n’a pas peur d’appeler un gendarme par son grade, étonnant ! Comment sais-tu que ce sont des victimes ?
— Je le suppose simplement.
— Valentin, raconte-moi dans le détail ce que tu as observé.
Valentin raconta in extenso à l’adjudant Hirrigoyen toutes les observations qu’il avait faites depuis trois jours à la suite de quoi le gradé lui exposa son plan.
Il était quatorze heures quand le Dacia banalisée de la gendarmerie s’arrêta sur la bande d’attente stabilisée avant l’entrée du camping. Le téléphone de Valentin vibra.
— Adjudant Hirrigoyen. Nous sommes à l’entrée du camp. Dacia bleu foncé, deux personnes à l’intérieur, nous sommes en civil, peux-tu venir ?
— J’arrive dans cinq-six minutes.
Valentin attira Olivier un peu à l’écart et lui glissa dans l’oreille : « si vous voulez voir du spectacle Inge et toi, allez vite vers la plage vous placer en haut de l’escalier de façon à voir le parking. Vous avez cinq minutes d’avance. »
— Qu’est-ce que tu manigances encore ?
— N’oublie pas ton surf, ça t’évitera un aller-retour.
— Pas de danger.
Après les cinq minutes annoncées, Valentin sortit du camping et repéra le Dacia. L’homme côté chauffeur baissa sa vitre et demanda :
— C’est toi Valentin ?
— Affirmatif, répondit-il en se moquant intérieurement.
— Je suis l’adjudant Hirrigoyen, la dame à côté de moi, c’est la brigadière Elisalde. Monte derrière, à côté de la mallette.
Quand Valentin fut à l’intérieur de l’habitacle surchauffé, l’adjudant expliqua :
— Voici mon plan. Nous allons rouler jusqu’au parking et là, nous en ferons lentement le tour, comme si nous cherchions une place à notre convenance. Tu me dis si tu repères la Clio en question.
— Entendu.
La voiture démarra. Valentin accablé de chaleur avait du mal à respirer.
— Il faut ouvrir les vitres, cela fera beaucoup plus touristes.
Le Dacia s’engagea dans le parking. Valentin repéra rapidement la Clio au début de la première travée.
— Continuez à rouler doucement, mon adjudant. Je les ai vus dans la rangée de gauche. Le mieux serait de faire un tour comme si on cherchait la meilleure place, en plus, ça nous fera passer à côté d’eux.
— Vu aussi mon adjudant, confirma la brigadière Elisalde en mettant en place une oreillette. La voiture est garée en position de départ rapide, arrière contre la clôture de dune. Attention, elle démarre.
— S’ils nous prennent pour des touristes, ils vont nous suivre, supposa Valentin.
— Exact ! Il faut qu’ils soient relativement près de leur proie pour capter le signal du Plip, expliqua inutilement l’adjudant.
— Effectivement, dit la brigadière qui avait baissé son pare-soleil et faisait mine de se recoiffer, il semble bien qu’ils nous suivent.
— Donnez le signal.
La jeune femme pinça le haut de son t-shirt, souleva légèrement et dit : « Ici souris, chat repéré, en place renard. Confirmez renard. ». C’est bon, mon adjudant, ils sont en bas de la montée, la herse est prête à être déployée. C’est mon micro caché, expliqua-t-elle à Valentin.
— Valentin, dit l’adjudant, pour donner le change, nous allons faire comme si nous étions des estivants qui vont à la plage. Quand nous serons garés, si la Clio se gare près de nous, nous sortirons tout naturellement. Dans le coffre il y a un sac de plage avec des serviettes et un ballon. Tu prends le ballon et tu t’amuses avec sur place. Elisade prendra le sac et moi je placerai la mallette qui est à côté de toi dans le coffre. Il n’y a aucun danger, ils ne soupçonnent rien sinon ils ne nous suivraient pas. Allez, action !
Les trois occupants sortirent. L’adjudant appuya sur son « Plip » qui se montra inopérant. Il réappuya et le bruit caractéristique de la fermeture centralisée se fit entendre.
— À toi p’pa ! fit Valentin en lui lançant immédiatement le ballon.
— Attends au moins qu’on soit sur la plage, répondit son supposé père en lui relançant plutôt adroitement.
Le trio arpenta le parking sur sa longueur. Quand ils furent au niveau de la route non loin de l’escalier, l’adjudant Hirrigoyen dit à Valentin :
— Merci pour ton aide précieuse, mais maintenant c’est fini pour toi, va sur la plage, rester ici peut s’avérer dangereux.
— Entendu ! répondit l’adolescent, bien conscient qu’il mentait.
Il effectua les quelques pas le séparant du sommet de l’escalier et s’arrêta là où l’attendaient Olivier avec son surf et Inge.
L’adjudant et la brigadière descendirent vers une voiture de gendarmerie garée en bas de la montée le long de la petite route en cul-de-sac. Ils récupérèrent des brassards gris barrés de bleu blanc rouge, marqués du mot GENDARMERIE en majuscules, qu’ils scratchèrent autour de leur bras gauche.
— Montez à dix mètres de la sortie, tenez-vous prêts ! ordonna l’adjudant aux deux gendarmes dans la voiture officielle puis, suivi de sa subordonnée, il rebroussa chemin vers le parking.
Les voleurs les aperçurent au dernier moment, quand l’adjudant toqua la vitre fermée du chauffeur. « Gendarmerie nationale, sortez du véhicule s’il vous plait. » fit-il.
Le chauffeur sursauta, puis réagit avec une vitesse stupéfiante. Il lança le moteur et démarra en trombe, bousculant au passage le sous-officier.
« Attention, ils prennent la fuite ! » cria la gendarmette dans son t-shirt. « Clio grise, barrez la route ! Mettez la herse. »
Les roues de la voiture grise patinèrent sur le revêtement ensablé du parking ; moteur hurlant, le chauffeur maintint l’accélérateur enfoncé et la Clio prit de la vitesse, manqua de peu emboutir un van Volkswagen qui arrivait, réussit à prendre en dérapage le virage à angle droit pour se retrouver sur la route d’accès. Un gendarme en uniforme tira vivement la corde mettant en place la herse sur laquelle roulèrent les fuyards. Un double éclatement suivi du bruit de casserole de la herse cognant le soubassement de la Clio indiqua l’efficacité du dispositif. Les portes chauffeur et passager s’ouvrirent à la volée. Le plus âgé des deux malfrats tenta de fuir vers le bas, immédiatement arrêté par l’habile croc en jambe d’un gendarme tandis que le plus jeune fonçait vers le haut de l’escalier de la plage, encombré de touristes. Il en bouscula plusieurs, mit à terre une dame âgée qui, avec ses béquilles, s’apprêtait à descendre sur le sable.
Olivier qui n’avait rien perdu du spectacle, au moment ou le jeune malfrat sautait la première volée de marches, mit vivement son surf en travers de sa trajectoire. Déséquilibré, l’homme tomba contre la rambarde opposée puis roula jusqu’au bas des marches. Il se releva en boitant, tenant son bras droit avec sa main gauche, signe évident de blessure à l’épaule mais put néanmoins s’éloigner sur la plage sud, poursuivi par l’adjudant et sa gendarmette.
— Gendarmerie, arrêtez-vous ! haleta inutilement l’adjudant.
Plus jeune, plus légère, mieux entrainée, la gendarmette gagnait du terrain sur l’homme qui boitait bas. Arrivée à bonne distance, elle plongea, réussit à saisir une jambe du voleur qui s’écroula sur le ventre. Rapidement relevée, elle posa un pied sur la cheville blessée en articulant :
— Ne bougez plus ou j’appuie !
— C’est bon, c’est bon, je me rends, lâchez mon pied, j’ai atrocement mal.
— Mettez vos mains dans le dos.
— Obtempérez ! hurla l’adjudant Hirrigoyen qui les avait rejoints.
Il sortit un lacet en plastique cranté de la poche de son pantalon de toile et immobilisa les poignets du truand.
Autour des deux gendarmes et du voleur les touristes s’approchaient.
— Debout ! ordonna à nouveau le gradé.
— J’ai la cheville niquée, je peux pas.
— Nous allons t’aider. Relève-toi.
L’adjudant réalisa une rapide palpation pour s’assurer que son prisonnier n’avait pas d’arme sur lui.
— Appuie-toi sur moi et avance !
— J’ai mal aussi à l’épaule, je peux pas lever le bras.
— J’appelle la Jeep des secouristes mon adjudant ?
— Bonne idée, allez-y. Et vous autres, dispersez-vous, le spectacle est terminé.
Le véhicule de secours des surveillants de baignade conduisit le trio jusqu’au pied de l’escalier.
— Là tu vas être obligé de monter à pied.
— Pas possible, regardez ma cheville, elle a doublé.
— Elisalde, allez remplacer le plus costaud à la voiture et envoyez-le-moi. Précisez que c’est pour un portage, qu’il apporte le brancard souple. Toi, assieds-toi sur une marche !
Cinq minutes plus tard, le blessé fut porté en haut de l’escalier par l’adjudant et un de ses brigadiers. Les trois amis s’y trouvaient toujours. Au passage, l’adjudant fit un clin d’œil à Valentin qui le lui rendit.
Inge, qui avait remarqué le signe de connivence, demanda :
— C’est toi Valentin qui a déclenché tout ça ?
— Pas seulement, vous m’avez bien aidé à démêler cette affaire tous les deux. Olivier, je voulais te dire, tu te débrouilles vraiment bien avec ton surf, même hors de l’eau !