Malgré le soleil radieux qui infiltrait ses rayons entre les branches des grands pins, l’odeur pénétrante de la forêt, le chant des cigales, Valentin n’avait pas le moral en ce samedi midi du milieu du mois d’août. Inge venait de replier sa tente et s’apprêtait à se rendre au sanitaire pour faire la dernière vaisselle du séjour. Bien que n’ayant lui-même pas encore mangé, il se proposa pour l’aider, ce qu’Inge accepta par un grand sourire.
— À quelle heure partez-vous ?
— Mes parents veulent commencer à rouler vers seize heures, seize heures trente.
— Vous voulez faire étape à quel endroit ?
— Nous allons vers Royan par le bac de la Gironde.
— Vous allez dans un camping ?
— Non, nous allons dans une aire de camping-car quand nous ne sommes que de passage.
— Vous remontez vers le Danemark ?
— Oui mais par petites étapes, en suivant les côtes de France.
— Nous ne nous verrons plus alors, soupira Valentin.
— Moi aussi je vous regretterai, tu sais. J’ai beaucoup de bons souvenir d’ici, de toi, de vous deux, de tout.
— Tu ne veux pas aller nager une dernière fois ? Bronzer sur le sable ? Marcher au bord de l’eau ?
— Et toi, que veux-tu faire ?
— J’ai envie de marcher sur le sable jusqu’au village de Saint Gire vers le sud. Il y a environ dix kilomètres par la plage.
— Et Olivier ?
— Il va passer son diplôme de surf.
— Combien faut-il de temps pour faire dix kilomètres à pied ?
— Sur le sable dur, je dirai entre deux et trois heures.
— Donc en commençant à marcher à 2 PM, on peut y être à 5.
— Qui on ?
— Toi et moi. J’ai beaucoup envie de faire ça avec toi. Je demande tout de suite à mes parents. Ils pourront venir me chercher avec le camping-car, juste un petit détour pour eux. Va vite faire ton repas.
— OK, je prendrai mon sac à dos léger pour mettre nos baskets et de l’eau.
Il n’était que deux heures de l’après-midi quand les deux adolescents arrièrent au sommet de l’escalier de la plage. Inge s’arrêta, promena longuement son regard sur le sable, l’océan, les pins, comme pour en graver l’image dans son souvenir. Puis elle se déchaussa et confia ses baskets légères à Valentin qui les mit dans son sac à dos avec les siennes.
— On ne voit pas le village que tu dis, Saint Gire !
— C’est à cause de la brume des grosses vagues de la marée montante, mais il y a bien dix kilomètres, j’ai vérifié sur la carte.
Les deux amis marchaient d’un bon pas sur le sable durci, emplissant leurs poumons de l’air salin et iodé. Le sol vibrait sous l’écrasement des déferlantes. Inge se baissait de temps en temps pour ramasser un beau coquillage. Elle jetait le précédent quand elle en trouvait un plus joli.
— Je le mettrai sur mon bureau, comme ça je penserai à toi, à vous quatre, à tout ça, dit-elle avec un grand geste circulaire. C’est ici que nous avons pêché les lagagnons, se souvint-elle avec précision, c’était bon !
Ils avaient parcouru plus d’un kilomètre, les estivants sur la plage étaient devenus rares. Il faisait beau, la chaleur du mois d’août était à peine tempérée par une légère brise marine.
— Je veux encore faire naturisme, cela ne te gêne pas ?
Le cœur de Valentin fit un bond dans sa poitrine.
— Non pas du tout, réussit-il à dire d’un ton faussement dégagé.
Sans mimique, sans simagrées, naturellement, la jeune fille ôta prestement son t-shirt, son short, fit glisser la dentelle de son petit slip et tendit le tout à Valentin avec un sourire. Celui-ci tomba le sac à dos, enleva également son t-shirt et mit le tout dans le sac.
Sans parler, Inge le regarda d’un air interrogatif. Il eut une petite grimace d’excuse.
— Même sans mauvaise pensée, un garçon n’est pas comme une fille, tu sais.
Inge eut un petit rire puis lui prit la main et ils reprirent leur marche tantôt sur le sable, tantôt dans l’eau mousseuse des fins de vagues. Quelques mouettes cherchaient pitance sur le sable mouillé, Inge courut vers elles.
— Je peux te prendre en photo quand tu cours vers les oiseaux ?
— Pourquoi pas, tu es mon ami.
Valentin sortit et prépara son smartphone.
— Nous avons le soleil de face, ce n’est pas bon pour les photos. Attends, je vais te doubler et me mettre dos au soleil. Quand les mouettes se poseront, tu pourras recommencer.
— D’accord, j’attends ici.
Valentin dépassa son amie d’une vingtaine de mètres, posa un genou dans le sable et fit la meilleure photo souvenir de ses vacances.
Tantôt gambadant, tantôt tapant leurs pieds dans les vagues mourantes, tantôt marchant calmement en se tenant par la taille, les deux adolescents heureux avançaient vers le soleil.
— Regarde devant, un peu plus haut, à la limite du sable mouillé, un joli galet rond, je vais le ramasser, dit soudain Inge.
La jeune fille fit quelques pas courus, se pencha sans aucune gêne et saisit l’objet ovale, gris-jaunâtre.
« Un galet sur une plage uniquement sableuse, étonnant ! » se dit Valentin.
— Oh, qu’il est léger ce caillou ! Comme c’est étrange ! Tiens Valentin, respire, c’est un caillou qui sent bon. Bizarre, non ?
Le garçon saisit la pierre, surpris lui aussi par son faible poids. Il la sentit plusieurs fois.
— Ce caillou a une étrange odeur en effet. On dirait du tabac blond mélangé à une odeur de bois frais coupé et de mousse. C’est très agréable, enivrant même. Incroyable! De toute évidence, ce n’est pas une pierre, mais j’ignore totalement de quoi il peut s’agir.
— Je la garde. Ce sera mon souvenir de toi, mon bon souvenir. Tu peux la mettre dans le sac ?
— Bien sûr. Tu veux boire un peu d’eau ?
— Oui, je veux bien. Comment feras-tu pour rentrer? Tu veux que je demande à mes parents de te ramener ?
— Non, je rentrerai en footing, j’aime bien courir. Il y a un chemin dans la forêt derrière la dune. Ce chemin est parallèle à la plage, j’ai vérifié sur la carte. Cela me prendra un peu plus d’une heure.
— Il nous reste combien de kilomètres à marcher ?
— Attends, je vérifie sur mon smartphone.
Valentin activa son application de guidage, autorisa celle-ci à accéder à sa position.
— Nous en sommes à la moitié, encore cinq kilomètres. Tu es fatiguée ?
— Pas du tout, je suis en pleine forme, répondit Inge en esquissant quelques pas gambadés qui animèrent ses jeunes seins.
— Attention, il y a du monde là-bas, deux personnes. Tu veux te rhabiller ?
— Oh non, je pense que les gens qui viennent aussi loin sur la plage sont comme moi, ils aiment le naturisme.
— Comme tu veux, Inge.
Les deux amis continuèrent à avancer au bord de l’eau. L’océan avait fini de monter, la plage était rétrécie. Quand ils ne furent plus qu’à une vingtaine de mètres, une des deux personnes allongées sur le sable se redressa. Il avait l’air d’un grand adolescent d’environ seize ou dix-sept ans. Sur un mot de celui-ci, l’autre garçon, sensiblement du même âge, se redressa également. Comme Inge l’avait supposé, ils étaient nus sur leurs habits posés au sol.
— Ohé, bonjour, dit l’un d’eux.
— Bonjour, sourit Inge sans chercher à cacher quoi que ce soit de son anatomie.
Valentin se contenta de lever la main droite tandis que de la gauche il saisit le bras de son amie pour l’inciter à continuer leur chemin.
— Tu vas à Saint Gire ? On peut y aller ensemble, dit l’un d’eux, s’adressant visiblement à Inge.
— Non merci, dit sèchement Valentin.
— Ce n’est pas à toi que je cause !
— Viens Inge, ignore-les et ne leur souris pas, murmura Valentin. Ils ne te veulent pas du bien.
— Moi c’est Mathis et mon copain c’est Théo, on vient de la région parisienne, et toi ?
Inge regarda Valentin qui lui fit un léger signe négatif de la tête.
— Il faut qu’on avance, viens Inge.
— Inge, comme c’est joli. Tu veux savoir qui nous avons rencontré sur cette plage déserte ? proposa Mathis.
Inge embarrassée ne répondit pas.
— Nous avons rencontré une jolie jeune fille, toi.
— Ça suffit maintenant, allons-y Inge.
— Toi tu peux te casser mais elle, elle peut rester avec nous, n’est-ce pas ma belle ? fit Mathis en saisissant le bras de la jeune fille.
— Lâche-la! gronda Valentin, mâchoires serrées.
— Hé, ho, ce n’est pas une mauviette comme toi qui va me dicter sa loi.
— Lâchez-moi !
— Du calme ma belle, on ne veut pas te faire du mal, au contraire, fit Mathis en caressant un sein de la jeune fille. C’est bien joli tout ça !
— Vous n’êtes pas des gens corrects, lâchez-moi ! LÂCHEZ-MOI ! Lad mig gå !
— Vous avez compris ? Elle a dit non, lâchez-la ! hurla Valentin.
— Rien à foutre de ce qu’elle a dit ! Occupe-toi du minus Théo, moi je m’occupe de la fille !
— D’ac, mais tu m’en laisses un peu, hein? rigola son comparse en repoussant Valentin des deux mains.
Ce dernier fit trois pas en arrière et se laissa tomber près de son sac à dos toujours à terre. Il prit un air apeuré.
— C’est bon, c’est bon, je me chausse et je m’en vais.
Il sortit du sac la bouteille d’eau qu’il posa au sol, récupéra ses baskets qu’il enfila prestement. Profitant de ce que Théo regardait à nouveau la jeune fille, il saisit discrètement une poignée de sable sec, fit quelques pas en s’éloignant puis laissant tomber le sac, il changea brusquement de direction, fonça vers Mathis lequel, tirait toujours Inge par le bras et se dirigeait vers leur tas d’habits. Au moment où son acolyte Théo alerté cria « attention ! », Valentin sauta à califourchon sur le dos de Mathis, lui entoura le cou du bras gauche et lui balança la poignée de sable dans les yeux.
— Aïe, ouille, aïe putain, je n’y vois plus rien, dérouille-le ce bâtard, Théo ! commanda Mathis en lâchant la jeune fille pour se frotter les yeux.
— Prends le sac et sauve-toi ! hurla Valentin à l’intention d’Inge.
Il se tourna alors vers son nouvel adversaire qui, légèrement en contrebas montait vers lui, attendit qu’il soit à bonne distance. Soudain, courbé en avant, il plongea tête première dans l’abdomen de Théo lequel se plia en deux sous le choc. Tombé au sol sur le ventre, Valentin se retourna vivement et exécuta à l’aveuglette un double ciseau de jambes. En bout de course, la basket de son pied droit vint frapper Théo sur la pommette. Celui-ci, sonné, tomba à genoux sur le sable en frottant son visage tuméfié. Mathis, encore un œil fermé par le sable reçu, s’avança, menaçant. Valentin recula jusqu’au niveau de la bouteille encore pleine aux trois quarts, la saisit par le goulot. Au moment où son adversaire arrivait sur lui, il lui tourna le dos et, d’un grand mouvement circulaire vers la droite de tout son corps, bras écartés, il asséna un violent coup de bouteille sur le côté droit du visage de son assaillant. Surpris, un peu groggy, ce dernier resta néanmoins debout. Valentin, laissa tomber la bouteille et de l’extérieur de la semelle de son pied gauche racla de haut en bas le tibia de la jambe avancée de son adversaire puis, après avoir opéré un preste changement de pied, il shoota violemment du pied droit dans le sexe du garçon qui hurla, tomba dans le sable, se recroquevilla en chien de fusil, porta ses deux mains à son bas ventre en poussant un long gémissement de douleur.
Théo s’était relevé, sur ses gardes cette fois, il s’avança poings en avant. Son premier et seul coup fut un swing du bras droit vers le visage de Valentin qui bloqua le poing de l’autre avec son avant-bras gauche. Estimant que son adversaire était assez près de lui, il arqua son corps en reculant son buste et lâcha un violent coup de pied bas de sa jambe arrière sur le genou avant de la jambe de son vis-à-vis puis, reposant son pied, il enchaina par un direct du droit sur la pommette non encore tuméfiée de Théo. Il se baissa ensuite rapidement, ramassa une nouvelle poignée de sable et la lui lança dans les yeux à bout portant.
— Aïe mes yeux ! De l’eau, il me faut de l’eau pour mes yeux ! Putain, je n’y vois plus rien !
— Tu en as tout un océan, va te servir minable ! ricana Valentin.
— Démolis-le Mathis !
Mais Mathis, toujours recroquevillé dans le sable gémissait toujours.
— Vous voulez continuer la bagarre, espèces de salopards ? Non ? C’est bon ? Vous en avez assez ? Attendez, je vais quand même faire quelque chose pour vous.
Délibérément il se dirigea vers les habits de ses agresseurs, les ramassa en boule et alla les jeter à l’eau dans une vague déferlante.
— Un peu de fraicheur, ça calmera vos bobos et vos ardeurs quand vous vous rhabillerez ! s’amusa-t-il. Dépêchez-vous si vous voulez les récupérer, il y a un courant de baïne et la mer va commencer à redescendre.
Valentin se tourna ensuite vers la jeune fille qui, paralysée par l’inquiétude, était restée sur place près du sac à dos.
— Viens Inge, je crois que c’est fini maintenant. Tu as soif ? ajouta-t-il en récupérant la bouteille. Oh, flûte! le plastique est fendu, elle fuit, il faut la finir.
— Valentin, tu es excellent. Tu m’as sauvée dans l’océan quand le courant m’emportait, tu as battu les mauvais allemands et là, c’est la deuxième fois que tu prends ma défense. Où as-tu appris à te battre ainsi ?
— Tu sais Inge, contrairement à ce que tu pourrais croire, je déteste la brutalité autant que toi mais vois-tu, un jeune garçon comme moi, pas très épais de surcroit, doit savoir se défendre. Il y a toujours des brutes telles que ces deux-là qui veulent dominer les autres, les plus faibles bien sûr, donc j’ai appris à ne pas me laisser faire. J’ai un avantage, avec ma corpulence, je ne fais pas peur aux autres, alors je bénéficie toujours de l’effet de surprise. En plus, dans ma tête, j’ai des séquences d’actions de défense toute prêtes à faire selon les circonstances et selon les adversaires, comme ça, je ne suis jamais pris de court.
— Que fait-on pour ces deux-là ? demanda-t-elle, prête à compatir.
— Rien. Qu’ils se débrouillent ! Allez, viens Inge, ces salopards l’ont bien cherché et nous ont assez mis en retard. Tu veux te rhabiller avant de continuer ?
— Non, je veux encore profiter. Le soleil, le petit vent… Je me rhabillerai seulement quand il y aura des gens sur la plage.
— J’aime bien comme tu es Inge.
— Nue ?
— Non, naturelle. J’aime ta façon naturelle de te comporter.
Vers dix-sept heures, quand ils ne furent plus qu’à cinq cents mètres de la baignade surveillée de Saint Gire, Inge, toujours nue, s’arrêta et fit face à son ami.
— Valentin, je veux te dire au revoir ici, pas devant mes parents. Je n’oublierai jamais ces merveilleuses vacances, je ne t’oublierai jamais. Elle se colla au garçon, lui prit la tête entre ses mains, l’attira vers son visage pour un long baiser sur les lèvres.
— Tu sais Inge, ce n’est pas parce que je me contrôle que je n’ai pas les mêmes pulsions, les mêmes désirs que les autres garçons… Alors…
— Alors je me rhabille maintenant Valentin, fini le naturisme. Je suis triste de te quitter tu sais. S’il te plait, quand nous aurons rejoint mes parents, part tout de suite, je déteste les adieux qui trainent.
— D’accord, on se dit au revoir ici, Inge. Tiens voici ton coquillage, ajouta-t-il en fouillant dans son sac, et aussi ton caillou qui sent bon.
Valentin porta la pierre à son nez et huma longuement. Il en profita pours discrètement essuyer du dos de la main un début de larme incontrôlée.
— Elle sent vraiment très bon cette pierre… Je penserai souvent à toi moi aussi, Inge. Reste toujours la jolie jeune fille sportive dont je veux me souvenir, bien dans sa tête et bien dans son corps. Marchons maintenant s’il te plait, moi non plus je n’aime pas les adieux qui n’en finissent pas.