Valentin était épuisé quand, vers dix-neuf heures, il franchit le portail du camping. Olivier, assis sur un banc à l’extérieur de l’accueil, l’attendait avec une impatience mêlée d’anxiété.
— Ah, te voilà espèce de lâcheur ! Qu’est-ce que tu fabriquais ? J’étais mort d’inquiétude.
— Je viens de faire un semi-marathon, vingt bornes en marche et course, je suis vanné, haleta Valentin en se laissant tomber assis près de son ami.
— Tu t’entraines pourquoi ?
— J’ai accompagné Inge jusqu’au village de Saint Gire où ses parents l’ont récupérée. Nous y sommes allés par le bord de mer. Elle voulait marcher sur la plage une dernière fois, je ne pouvais pas refuser de l’accompagner, ajouta-t-il hypocritement. Je suis revenu en courant par la forêt. Et toi ? Ça s’est bien passé ton diplôme de stage de surf ?
— Dans la poche ! Le mono a dit que j’étais le meilleur du groupe.
— Et l’autre, le petit Lucas Deville à qui tu voulais vendre ta planche ?
— Ah oui, je lui ai demandé au sujet des voleurs. Ses parents sont allés à la gendarmerie du village et ils sont super contents d’avoir tout récupéré. Son diplôme, il l’a eu aussi, de justesse, et il m’achète la planche.
— Super. Bon, je commence à récupérer, je remets mon t-shirt. C’est vraiment long vingt kilomètres.
— Dis-donc, c’est quoi cette odeur sur toi ? Tu te parfumes ?
— Pas directement, c’est mon vêtement. Tiens, sens dans mon sac.
— Waouh, c’est fort et très agréable. Tu m’expliques ?
— Inge a trouvé un galet odorant sur la plage. Je l’ai transporté dans mon sac et il a tout parfumé.
— Un galet ? Tu te fous de moi !
— Je n’ai pas compris non plus mais je vais faire des recherches sur internet dès que j’aurai rechargé mon smartphone.
— Tu me raconteras. Rentons, le repas doit être prêt.
Triste du départ d’Inge, fatigué par la bataille livrée, les dix kilomètres de marche dans le sable, sa longue course de retour, Valentin s’était couché tôt mais il n’arrivait pas à trouver le sommeil d’autant plus que la tente était loin d’assurer l’obscurité propice. Il se demandait s’il n’était pas tombé amoureux de la jolie petite danoise. « Je l’aime bien et elle m’aime bien, mais elle m’a embrassé sur la bouche… Les filles que j’aime bien, je les embrasse sur la joue… Oui mais elle n’est pas française… Quand j’étais amoureux d’Emily, je l’embrassais sur les lèvres… Je ne suis plus amoureux d’Emily… mais le suis-je de Inge ? Elle n’a eu aucune honte à se mettre nue devant moi… Elle est un peu plus âgée que moi, elle doit savoir l’effet que cela fait sur les garçons. Mais elle l’a fait quand même… Maintenant elle est partie, elle habite loin, trop loin… Emily aussi habitait loin et pourtant j’avais tout fait pour la revoir… »
À ce moment précis, son téléphone fit retentir le petit jingle annonçant l’arrivée d’un SMS. Machinalement, il le sortit de la petite poche de rangement cousue à l’intérieur de sa tente. Il relança l’éclairage de l’écran. « Message d’Emily » indiquait celui-ci. Étonné par la coïncidence, il ouvrit le message. Emily n’était pas une adepte de l’écriture spontanée et intuitive des jeunes de leur âge, son SMS était écrit comme une lettre, sans fautes d’orthographe ni de français.
Mon cher Valentin,
Je suis revenue de Brighton et demeure quelques jours dans notre villa de Saint Thomas avant d’aller en station dans notre chalet des soldanelles.
Hier je suis passée devant la maison de tes grands-parents pour tenter de te voir, j’ai discuté un instant avec ton grand-père qui tondait la pelouse. Il m’a dit que tu es actuellement en vacances à l’océan dans les Landes françaises avec notre ami Olivier et que tu vas bientôt rentrer.
À ce sujet, quand tu seras de retour, j’ai quelque chose à te proposer, mais auparavant je veux te dire que, derrière les soldanelles, il y a un petit mazot qui appartient à ma mère et qu’elle a fait rénover et aménager. Il y a dedans deux lits escamotables, des tabourets, une table de berger. C’est adorable, une maison de poupée ! Donc, comme je sais que venir seul tu n’accepteras jamais, je t’invite à venir passer quelques jours ici, logé dans ce mazot avec un ami de ton choix, Florian, Olivier, Quentin ou Gilles ou qui tu veux. Fin août, la montagne est encore très agréable et je serais fort heureuse de passer quelques jours avec toi (vous).
Je t’embrasse Valentin,
Emily
Il venait à peine de finir la lecture que son téléphone émit une deuxième fois le signal d’arrivée d’un SMS. Rédigé dans un autre type d’écriture, il émanait de Gilles.
Slt toi
Pour qq qui ne 2v pas partir tu é tjr en vac
Suis rentré y a 5 j apl moi.
Valentin se demandait à qui il allait répondre en premier quand, loi des séries, un troisième SMS s’afficha. Il eut un petit coup au cœur quand l’écran lui annonça : « message de Inge. »
Nous campons cette nuit à Saint Brévin l’Océan. C’est un sympathique endroit.
Mon père connait le caillou qui sent bon, c’est de l’ambre gris, rare et très recherché par les parfumeurs. Tout le camping-car en a pris l’odeur.
Je te regrette.
Intrigué, Valentin commença immédiatement une recherche internet sur l’ambre gris et dans la foulée, ravis d’avoir une raison de lui écrire, il répondit à Inge.
J’ai fait une recherche sur l’ambre gris. Je ne sais pas si ton père t’a expliqué que cette matière, qui n’est pas un caillou, provient du vomi d’un cachalot mangeur de calmars. Il parait qu’au début cela possède une odeur épouvantable mais l’eau de mer transforme cette substance et l’odeur peu à peu devient celle que nous connaissons. Mon t-shirt, mon sac à dos et maintenant ma tente sentent comme votre camping-car.
Nous partons demain.
Je t’embrasse
Inge devait guetter l’arrivée de son message car sa réponse arriva dans la minute.
Merci Valentin, moi aussi je t’embrasse. Bonne nuit.
Pendant plusieurs minutes, l’odeur aidant, il laissa son esprit communier avec celui d’Inge. Il finit par se secouer et, avant de répondre à Gilles, il se mit à réfléchir.
« Que me veut exactement Emily ? Olivier pense qu’elle cherche à raccrocher et c’est peut-être effectivement son intention, mais pour moi pas question ! Maintenant, voir le Grand Bornand en été, et faire des activités en copains, pourquoi pas. Donc, hors de question d’y aller seul, ni de recommencer une histoire de cœur avec elle, mais rester bons copains, oui, je veux bien. Qui inviter ? Gilles semble avoir envie que nous ayons des activités communes. S’il peut se libérer deux ou trois jours… Mais comment y aller ? De Saint Thom au Chinaillon, il y a au moins 45 kilomètres ! En autocar ? Possible mais sur place nous serions bloqués. En VTT ? 45 kilomètres à quinze à l’heure, cela fait trois heures de route. Sûrement plus car il y a des côtes, mais c’est faisable. Il y a aussi le problème du change d’habits, de la nourriture, de l’argent, je ne veux pas être à la charge de ses parents et leur être redevable. Je ne lui réponds pas tout de suite, il me faut l’avis de Gilles, je lui écris. »
Salut mon vieux,
Nous repartons demain, serons à St Thom Dimanche soir.
Ça te dirait de faire 45 km en VTT (avec côtes) avec moi et de passer un jour ou deux en montagne dans un mini-chalet ?