VALENTIN EN VACANCES

34. RUDE MONTÉE


Il était presque onze heures du matin, sac de randonnée chargé sur les épaules, Valentin stoppa son VTT devant la maison des parents de Gilles. Sans qu’il eût besoin de sonner au petit portail, la porte d’entrée s’ouvrit. Le chien de son ami, Zoreille se précipita vers lui en remuant la queue.
— Tu me reconnais, hein mon brave Zoreille.
— Les animaux savent reconnaitre leurs amis, énonça Gilles qui suivait de près.
— Pas d’accord. Pense à tous ceux qui sont destinés à l’abattoir, au départ, ils aiment leur maitre.
— Oui, vu comme ça, tu as raison. Bon, je passe au garage et j’arrive.
Madame Arroux se présenta à son tour sur le seuil de la maison. Après les salutations d’usage, elle avoua :
— Gilles a tellement insisté pour qu’on l’autorise à effectuer cette sortie que nous avons cédé mais je suis quand même un peu inquiète. C’est bien parce que nous connaissons ton sérieux que nous avons accepté, la route est assez fréquentée en cette saison.
— Nous serons extrêmement prudents madame Arroux, je vous le promets. Nous vous enverrons régulièrement des messages.
— J’y compte bien.
La porte du garage attenant à la maison bascula et Gilles, casqué, sac sur le dos sortit en poussant son VTT.
— Onze heures pile, c’est parti ! On passe par le bout du lac et on se relaie tous les kilomètres, d’accord ? Je passe devant.
— OK comme ça. Au revoir madame Arroux.
— Au revoir m’man dit au revoir à papa quand il rentrera.

La première partie du trajet sur la magnifique piste cyclable du tour du lac leur fut très agréable. Valentin avait secrètement décidé de laisser l’initiative de l’allure et des relais à son ami qui, se sentant pour une fois un peu le chef, évitait de montrer tout signe de faiblesse, de fatigue ou de découragement. Quand, au bout d’une heure, après les quinze premiers kilomètres, ils abordèrent la rude côte du Roc de Chère, Gilles commença à prodiguer ses conseils à Valentin, oubliant qu’il les avait reçus de lui l’année précédente.
— Oxygène-toi bien.
— Mets tout à gauche.
— Chante dans ta tête.
— Tu me dis si je vais trop vite.
— Il vaut mieux mouliner des jambes qu’appuyer fort.
— Si tu as un coup de pompe, on peut s’arrêter.
Arrivés sur un replat en haut de la côte du Roc, Gilles magnanime déclara un peu hypocritement :
— Cinq minutes de pause, on boit, on mange une barre énergétique. Tu me dis quand ça va mieux. On va continuer par la route de Saint Germain puis on tournera à gauche vers le col de Bluffy…
— Tu es déjà venu en vélo par ici ? s’étonna Valentin.
— Non, mais j’ai appris la carte par cœur. C’est bon maintenant ? Alors en selle Adèle !
— Ça devrait aller, ne roule pas trop vite.
— Tu sais que cette côte est répertoriée au Tour de France ?
— Ah bon.
— Il est midi bon poids, on s’arrêtera à Thônes pour casser la croûte.
— Pas de refus, je te payerai un coca.
— D’ac, merci. Maintenant, on se tait, soldat, et on pédale. Passe devant.

— Ouf ! Ça fait du bien de s’arrêter, émit Valentin quand ils furent assis à la terrasse d’un café sous les arcades de Thônes. Dis-donc, j’ai promis à ta mère de lui envoyer des messages pour la rassurer. Rapproche-toi, je vais faire un selfy et le lui expédier.
— Montre la photo.
Valentin ouvrit l’album de son smartphone et le feuilleta devant son ami pour amener le selfy à l’écran. La photo d’Inge sur la plage apparut brièvement.
— Oh hé, ne confonds pas le selfy avec la photo de la fille avec les mouettes, ma mère ne comprendrait pas, se moqua Gilles intéressé.
Valentin rougit de confusion.
— Tu as l’œil trop exercé, je voulais garder ça secret.
— Excuse.
— Bon, je t’explique, c’est une fille que j’ai connue à l’océan la semaine dernière.
— Et elle se laisse photographier à poil !
— Ce n’est pas ce que tu crois, elle est danoise et adepte du naturisme.
— Et toi, tu as fait du nudisme aussi ?
— Non, pas vraiment.
— Cette fille, c’est ta nouvelle amie ?
— C’est une danoise qui habite au Danemark, Gilles ! répéta Valentin.
— Ah, oui, effectivement, difficile !
— Allez, si nous revenions au réel. Nous sommes à quelle altitude maintenant ?
— Environ six cent trente mètres.
— Hein ? Nous n’avons même pas fait deux cents mètres de dénivelée ! Et nous devons monter à mille trois cents mètres, ce qui fait encore six cent soixante dix mètres de montée si je calcule bien !
— Tu calcules toujours bien mais rassure-toi, à part un gros « coup de cul » à la sortie du village et les quatre ou cinq derniers kilomètres où il y a du cinq ou six pour cent, la pente est beaucoup plus douce. Mangeons nos sandwichs et buvons un coup, on peut bien s’accorder une demi-heure.
— Qu’appelles-tu un « coup de cul ? »
— C’est vrai que tu ne connais pas toutes les expressions cyclistes. C’est une côte rude mais courte.

Quand le clocher à bulbe de l’église du village sonna la demie de treize heures, Gilles demanda :
— Tu as récupéré ? Oui ? Alors roule ma poule !
— C’est la deuxième fois que tu utilises ce type d’expression, ça vient d’où ?
— De nulle part, on ajoute un prénom marrant à ce qu’on dit. Ça fait plus cool, plus sympa, par exemple tranquille Emile, à l’aise Blaise. Tu peux en inventer autant que tu veux comme heu… trop fort Victor, heu…
— Facile Gilles.
— Bien vu, malin Valentin. Alors, on y va ? Oui ? Nous voici Emily !
— Oui, et bien à son sujet, pas d’impair, pas d’allusion au passé, ni à la photo que tu viens de voir, n’est-ce pas ? Emily c’est une copine et rien d’autre. Allez, pédale Pascal !
— Je te suis Louis !

Après le premier kilomètre, Valentin qui menait s’arrêta.
— Tu en as déjà marre ? demanda Gilles.
— J’en ai marre des voitures qui nous rasent, j’ai même failli être touché par un rétroviseur.
— Il n’y a malheureusement pas d’autre route.
— J’ai envie d’essayer un truc. Actuellement nous roulons le plus à droite possible ce qui laisse quasiment toute la largeur de la route aux bagnoles. Je me demande si c’est la meilleure façon de rouler. Les conducteurs pensent avoir la place de nous doubler même quand il vient quelque chose en face et c’est ça qui ne va pas. Je te propose que nous roulions presque au milieu de notre moitié de chaussée, l’un derrière l’autre avec trois quatre mètres d’écart.
— Ça ne va pas plaire, on va se faire klaxonner.
— Je préfère un coup de klaxon à un coup de rétro ou un coup de parechoc.
Après une huitaine de kilomètres et le double de coups d’avertisseur dont ils ne tinrent aucun compte, les deux amis arrivèrent au rond-point de Saint Jean de Sixt. Gilles qui menait fit signe qu’il allait s’arrêter.
— Maintenant on va avoir une petite descente d’un kilomètre puis après ce sera la grande montée vers le col de la Colombière. Ça va être le moment de chanter en pédalant pour se donner des forces ! D’ailleurs avant ça, je te propose de grignoter une barre et de boire un coup d’eau. Courage mon vieux, dans une heure d’ici nous aurons rejoint Emily.

Emily était assise sur un vieux banc de bois devant le chalet des soldanelles. Elle ne lisait pas, ne tripotait pas son téléphone, elle scrutait la route. Vers quinze heures trente elle aperçut les deux amis qui moulinaient leurs pédales dans le raidillon menant à son chalet. Elle se leva et courut à leur rencontre.
— Valentin ! Gilles ! Vous avez pu venir ! Que je suis contente de vous voir. Vous avez soif ? Je vous ai préparé de quoi vous rafraichir. Vous voulez vous doucher tout de suite ? Vous voulez voir le mazot ?
— Nous voulons juste nous assoir là, sur ton banc, haleta Gilles.
Après quelques minutes de récupération, Valentin demanda à son ex-amie de cœur :
— Tes parents sont dans le chalet ?
— Ma mère est là mais mon père est à Saint Thomas pour régler des affaires, il ne montera pas avant le week-end.
— Donc nous ne le verrons pas.
— Vous ne voulez pas rester ?
— Tu nous invites combien de temps ?
— Trois jours, une semaine, toute la vie.
— Toute la vie, c’est trop long, répondit Valentin le plus sérieusement du monde. Il avait parfaitement saisi le sous-entendu.
— J’ai dit à mes parents deux ou trois jours, appuya Gilles.
— Pouvons-nous saluer ta mère ?
— Naturellement. M’mum, Valentin est arrivé !
— Valentin ET Gilles, Emily. Ah, bonjour Emilienne, nous vous remercions d’avoir permis à Emily de nous inviter, c’est très gentil. Je suis content de voir cet endroit en été, je ne le connaissais que sous la neige. C’est un coin magnifique.
— Bonjour les garçons, bienvenue aux soldanelles. Tu fais visiter le mazot Emily ? C’est là que vous allez loger.
— Yes m’mum. Vous allez voir comme c’est mignon.
— Vous savez ce qu’est un mazot ?
— Euh, oui, répondit Gilles, c’est comme un tout petit chalet.
— C’est un peu ça. À l’origine, le mazot est un ancien grenier savoyard en grosses poutres équarries superposées comme dans un jeu de construction. Il était destiné à sauvegarder les biens les plus précieux des habitants en cas d’incendie du chalet, comme les papiers, les habits du dimanche, une réserve de grain etc. Nous avons fait aménager le nôtre selon les idées et les désirs d’Emily.
Une porte cloutée au sommet en accolade ouvrait sur un intérieur de trois mètres sur trois. La paroi à droite de l’entrée supportait deux lits abattants à une place chacun. Contre la paroi d’en face percée d’une mini-fenêtre se trouvait une table de berger entourée de trois tabourets ainsi qu’un mini-bahut en mélèze. Le mur à l’opposé de la porte, présentait également une petite fenêtre ouvrant à l’Ouest ; inondée de soleil, elle se dessinait sur le plancher de grosses planches noueuses. À sa droite étaient fixées quelques étagères tandis qu’à gauche un petit lavabo d’angle complétait le confort du charmant petit logement.
— Emily a beaucoup de goût, félicita Gilles, faisant rougir la jeune fille.
— Installez-vous les garçons, ensuite vous pourrez venir vous doucher au chalet car je vois que la montée fut rude, conclut Emilienne en désignant les fronts emperlés de sueur des deux cyclistes.